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Cailyn relâche son étreinte : sa victime s’affale sur la table, agonisante

Françoise Yip, actrice fatale

22. Cailyn relâche son étreinte : sa victime s’affale sur la table, agonisante

BLACK MASK DE DANIEL LEE 43

60. Cf. infra, « Parmi les destins pulsionnels », p. 163 ; « La reprise », p. 476 sq.

61. Dick Tomasovic, op. cit., p. 134.

62. David S. Goyer, Blade Trinity, États-Unis, 2004.

63. La vamp peut être considérée comme un synonyme de la femme fatale. Le terme provient bien du mot vampire et décrit l'image d'une femme dont le pouvoir de séduction est la cause de la perte de ceux qu'elle séduit, à la manière dont un vampire épuise ses victimes tout en les attirant de manière irrésistible.

64. Cf. Noël Burch, « Viragophilie », in Dictionnaire de la pornographie, Paris, PUF, 2005, pp. 519-521.

On peut noter, dans un premier temps, que le décor est déjà très fortement lié à la mort et à la destruction. Le quartier général du yakusa se situe au cœur de ruines industrielles et la pièce dans laquelle l’action se déroule ne peut être plus morbide : c’est ici que le Caïd a entreposé les sacs renfermant les cadavres démembrés des membres de sa famille que lui ont adressés ses ennemis. La mise en scène est riche en détails qui expriment le lien étroit qui unit érotisme et violence : le découpage les met en évidence. Maintenant résumons : systématiquement, Cailyn met ses charmes au profit de son crime. Les gestes dont elle fait usage sont pervertis, dans le sens où leurs connotations premières érotiques – le baiser d’abord, puis l’étreinte – sont substituées par des connotations funestes. Tout joue de cette ambiguïté, jusqu’aux dernières images où le cri de Cailyn, son rire de tueuse alors qu’elle garrotte sa victime, se prolonge et résonne comme le cri d’une jouissance sexuelle.

Cailyn est un personnage on ne peut plus ambivalent en ce qu’en elle, se manifestent simul-tanément des tendances, des attitudes et des sentiments contraires, ici par excellence le couple d’opposés Éros et Thanatos, l’amour et la haine, la pulsion de vie et la pulsion de mort 60. Pour résumer, on peut dire que Cailyn exprime parfaitement ce que Dick Tomasovic dit être le sadisme :

Le sadisme est peut-être non pas tant le plaisir à voir souffrir les autres que la recherche d’une certaine sensualité dans l’acte de violence. Ce ne serait qu’un masque derrière lequel s’unirait et se mêlerait l’Éros à la mort 61.

Il est assez impressionnant de voir, à travers toutes sortes de petits détails, à quel point la filmographie de Françoise Yip est imprégnée par ce personnage fatal. En effet, cette analyse, on pourrait la poursuivre, de film en film, jusqu’à l’un de ses derniers, Blade Trinity 62, où elle joue un petit rôle, mais significatif : Virago, une vampire, l’aboutissement en quelque sorte du rôle de vamp 63. Ce nom, Virago, comme celui de Cailyn dans Black Mask, possède une signifi-cation particulière qui, là encore, relie explicitement ce personnage à celui de la femme fatale : une « virago » désigne initialement une femme qui a le courage et la force d'un homme. Dans un article du Dictionnaire de la pornographie, Noël Burch, désigne sous le terme de « viragophilie », le goût essentiellement masculin d’être dominé par une femme dans un combat au corps à corps érotisé. Il s’agit d’une forme particulière de masochisme où la dominante – la « virago » – peut (doit) être une « femme violente », « dotée d’une force surhumaine », parfois « rompue au jiu-jitsu »,

« catcheuse », « boxeuse », « bodybuildée », etc. Noël Burch précise également qu’aujourd’hui,

« des films de tous budgets reconnaissent implicitement le caractère érotique du spectacle d’une belle femme qui bat les hommes 64 ».

ÉROS &THANATOS 45

65. On peut remarquer qu’à l’encontre de la femme fatale du film noir classique des années quarante, qui reste une présence spectrale (une ombre dans la brume…), la femme fatale contemporaine telle Linda Fiorentino dans Last Séduction se caractérise par une agressivité sexuelle directe et explicite, verbale et physique, par la marchan-disation et la manipulation de soi : « l’esprit d’un maquereau dans le corps d’une pute ». Slavoj Žižek, Lacrimae rerum, op. cit., p. 231. Le Cinquième fantasme, par le recul qu’il prend envers ce personnage, a la volonté de revenir à cette « présence spectrale » : c’est ce que nous confirme la disparition finale de Françoise dans un long fondu qui nous en révèle la vraie nature, imaginaire, fantasmatique, cinématographique.

66. Autrement dit, elle se sacrifie au profit de son image fantasmatique. Slavoj Žižek qui a insisté sur le statut subversif de la femme fatale à l’égard de la loi paternelle notamment du discours, dit qu’elle est « détruite » pour avoir fait preuve d’assurance et pour avoir porté atteinte à la domination patriarcale, pour l’avoir menacée. Il cite notamment les propos de Janey Place : « le mythe de la femme forte, sexuellement agressive, permet dans un premier temps l’expression sensuelle de son dangereux pouvoir et de ses conséquences effroyables, avant qu’elle ne soit détruite, traduisant ainsi l’inquiétude refoulée suscitée par la menace féminine qui pèse sur la domination masculine ».

Janey Place cité par Slavoj Žižek, in Lacrimae rerum, op. cit., p. 231.

67. Quentin Tarantino, par exemple, a écrit Kill Bill « pour » Uma Thurman. Alain Robbe-Grillet a écrit Gradiva

« pour » Arielle Dombasle.

68. Pavel Cazenove, Marilyn Monroe, Rennes, mémoire de maîtrise sous la direction de Christophe Viart, 2002.

69. Cf. supra, note n° 6, p. 18.

70. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 9.

71. Ibid., p. 181 (je souligne).

Notons enfin que dans presque tous les films que l’on vient de citer, les personnages qu’incarne Françoise Yip finissent par trouver la mort. C’est là une caractéristique fondamentale du person-nage de la femme fatale, qui échappe ainsi et pour toujours à l’emprise de l’homme, en demeurant dans l’ombre, immortelle et inaccessible, tel un spectre 65, un fantôme… ou un fantasme 66.

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