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Partie 1 : Origine et internationalisation des think tanks : entre les États-Unis et la

2.3 Un cadre légal, fiscal différent : l’exportation de la philanthropie

Comme on a pu le voir dans le Chapitre 1, la philanthropie fait partie des phénomènes qui, de pair avec les think tanks, sont nés et se sont développés aux États-Unis et qui restent donc très difficiles à exporter à l’extérieur de ceux-ci. Il est vrai que la philanthropie ne peut fonctionner que dans un cadre où elle s’insère du point de vue de la loi, des habitudes politiques, économiques et culturelles.

111 STONE, “Think tank transnationalisation…”, op. cit. p.26. 112 BOUCHER et ROYO, op. cit. p.5.

48 Il est vrai qu’il existe moins en Europe l’habitude pour les industriels d’investir dans la recherche. Le don à des œuvres de charité est davantage dans les habitudes sociétales des gens fortunés, plutôt que l’investissement dans la recherche privée. C’est pour cela que l'environnement légal et fiscal pose parfois problème aux think tanks qui tentent de s’implanter ou de se créer dans des sociétés européennes comme la Belgique ou la France par exemple, avec la question du statut et des taxes. Car pour permettre le financement privé de la recherche, il faut un environnement fiscal favorable qui incite à investir, notamment avec des régimes de réduction d’impôt par exemple. Martin Michelot explique en effet qu’aux États- Unis « la grande majorité des think tanks bénéficie d'un régime de réduction d'impôt qui est spécifique à ces institutions », 114 ce qui n’est pas toujours le cas en Europe.

C’est ici que le statut des think tanks peut poser problème, car il faut qu’ils soient reconnus comme organisme d’utilité publique pour que les grandes entreprises, fondations d’entreprises et mécènes puissent défiscaliser leurs dons.115 Mc Gann et Sabatani pensent toutefois qu’il est possible de pallier à l’absence de culture philanthropique en dehors des États-Unis par un environnement de très forte interaction entre le monde universitaire, le journalisme et le monde des décideurs.116

Pour conclure, l’exportation des think tanks en dehors des États-Unis est donc difficile, et particulièrement obstruée par les différences de culture politique avec les sociétés où le modèle tente de s’exporter. C’est le cas dans les pays d’Europe occidentale à cause d’une vision différente de la sphère privée et du rôle de l’expertise, des différences que l’on peut qualifier de culturelles entre des systèmes qui n’ont pas les mêmes règles ni la même histoire. L’exportation du modèle des think tanks dans d’autres pays et régions où le régime politique n’est pas une démocratie est donc logiquement encore plus difficile, et peut parfois aller jusqu’à changer la nature profonde de ceux-ci.

114 MICHELOT, « Les modes d'influence des think tanks dans le jeu politique américain », p.102. 115 LENGLET et VILAIN, op. cit. p.8.

116 “While think tanks originally implied some safe, secure, isolated place away from the outside world, this is,

sociologically speaking, the opposite of what strive for today” MC GANN et SABATANI, Global think tanks, p. 60.

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Chapitre 4 : le modèle des think tanks est-il vraiment pertinent ?

Souvent l’internationalisation des think tanks – implantation de filiales d’un think tank américain ou création de think tanks dans des pays autres que les États-Unis – est considérée comme permettant une meilleure qualité du travail produit par les think tanks ainsi que le dépassement de nombreuses limites à la pertinence de leur action. Pourtant, si d’autres sociétés ont pu exister sans eux jusqu’à récemment, c’est peut-être que ce modèle n’est pas réellement pertinent. Il s’agit en effet d’une forme d’organisation très particulière, qui comme toutes les autres, renferme de nombreux défauts et montre ses limites. Si au début, la production d’expertise privée a montré des preuves de son efficacité, il est vrai qu’au fil des années le modèle a évolué et montré peu à peu ses imperfections. En cause notamment, le problème toujours central de l’influence du travail des boites à idées par des facteurs extérieurs, dont le plus structurant reste celui des financements, sans oublier l’impact de la mondialisation.

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1. Influence et démocratie : les think tanks sont-ils toujours des agents

du pluralisme ?

Les think tanks étaient pendant longtemps considérés aux États-Unis comme le signe d’une démocratie dynamique et saine, car participant à l’intervention de la société civile dans la conduite de la politique et permettant le contrôle et l’influence des décideurs. Cependant, avec les années les centres de recherche privés ont de plus en plus fait l’objet de critiques concernant leur rapport au pouvoir, à l’argent et ont souvent été accusés de participer à la reproduction d’un élitisme nauséabond pour les sphères de pouvoir. Ceci est en partie dû à l’ambiguïté qui entoure cette forme hybride d’organisation politique, que Lucile Desmoulins considère comme « propice à l’instrumentalisation ».117 De même, Sally Covington, citée par Olivier Vilain et Roger Lenglet, affirme que les think tanks seraient également les acteurs d’une « réduction des possibilités pour les personnes disposant de bas revenus d’exercer une influence, tout en augmentant cette opportunité pour les ménages les plus aisés », participant ainsi à la fermeture des débats dans un contexte général où la participation électorale est de moins en moins importante.118