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Le phénomène antiaméricain n’est pas nouveau. Il n’est pas non plus apparu lors des politiques de Bush. Bien au contraire, le sentiment antiaméricain a existé, selon la plupart des acteurs, depuis la Grande Découverte de l’Amérique au XVème siècle141. L’objet de notre étude n’est bien évidemment pas de fournir au lecteur un compte rendu exhaustif de l’histoire du phénomène que l’on cherche à étudier dans l’état actuel. Cependant, nous croyons essentiel de présenter ci-après les phases historiques par lesquelles l’attitude antiaméricaine est passée afin que nous puissions par la suite relier notre choix de cadre théorique avec l’histoire du phénomène et de la littérature académique produite auparavant.

Brendon O’Connor identifie essentiellement quatre étapes distinctes de l’attitude antiaméricaine142. La première est celle qui s’étend depuis la conception de l’Amérique en tant que colonie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Cette étape se caractérise notamment par la nature culturelle et élitiste de l’antiaméricanisme143. En effet, les élites européennes critiquent, particulièrement depuis la création des États-Unis en 1776, ce qu’elles considèrent comme un « manque de goût, grâce et civilité »144. Elles rejettent « l’égocentrisme » des Américains et leur arrogance145. Ces critiques culturelles sont tout particulièrement féroces lorsque l’Amérique s’industrialise et devient le premier rempart du matérialisme et de l’industrialisme. Il est curieux que ces critiques ou même réclamations antimatérialistes adressées aux États-Unis continuent encore aujourd’hui, même si ces critiques actuelles reçoivent l’appellation plus courante d’anti-globalisation. Les protestations en France organisées par l’altermondialiste et actuel chef de liste des Verts au Parlement européen José Bové tout au long de la deuxième moitié du 20ème siècle et de la première décennie du 21ème siècle en sont un bon exemple.

Une note de précision est ici de mise. Il est de justice de mentionner que, même si nous nous basons sur l’évolution historique de l’attitude antiaméricaine, il y a également eu, en Europe voire même en France, une attitude pro- ou philo-américaine depuis la révolution américaine de 1776. Après la Révolution française, l’Amérique représentait, pour les libéraux français, le seul exemple des principes du siècle des Lumières. Ce philo-américanisme a continué à être présent et a configuré le revers de la médaille de l’(anti)américanisme.

Dans tous les cas, à l’exception des groupes libéraux, l’antiaméricanisme culturel de cette première étape est allé très loin. Certains auteurs ont défendu la « théorie de la dégénérescence », selon laquelle non seulement les espèces animales et végétales étaient inférieures à celles existantes en Europe, mais aussi les institutions politiques américaines et « les Américains » eux-mêmes étaient plus « déformés, faibles et fragiles »146. De plus, les Européens qui émigraient aux États-Unis allaient subir un

« processus de dégénérescence » (attribuable, d’ailleurs, à toute adaptation) qui leur ferait devenir plus proches des Américains et, par extension, inférieurs147.

141 Brendon O’CONNOR, Anti-Americanism: History, Causes, Themes, 4: In the 21st century, Westport, Greenwood World Pub, 2007; Jessica C. E. GIENOW-HECHT, « Always Blame the Americans: Anti-Americanism in Europe in the Twentieth Century », op. cit.

142 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit.

143 Ibid., pp. 79–80 ; Heiko BEYER, Ulf LIEBE, « Anti-Americanism in Europe: Theoretical Mechanisms and Empirical Evidence », op. cit., p. 92.

144 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., p. 79.

145 Ibid.

146 Heiko BEYER, Ulf LIEBE, « Anti-Americanism in Europe: Theoretical Mechanisms and Empirical Evidence », op. cit., p. 92.

147 Ibid. ; Gerrit-Jan BERENDSE, « German Anti-Americanism in Context », in Journal of European Studies, 2003, Vol. 33, No. 3-4, p. 340, p. 344. Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.1177/0047244103040422

Au sortir de la Première Guerre mondiale, l’antiaméricanisme, auparavant un trait distinctif des élites européennes, se répand aux milieux intellectuels, mais ne perd pas son caractère culturel. C’est l’époque de la mise en œuvre du Fordisme, qui entraîne le passage d’une économie agricole à une économie industrielle de masse ; c’est aussi l’époque de la dépression économique suite au crash de 1929, qui a suffi aux antiaméricains pour le déclarer la « faillite du capitalisme américain ». Cependant, c’est la montée en force d’une autre attitude « anti » qui s’est ajoutée à l’antiaméricanisme : l’antisémitisme. Selon les idées préconçues de certains critiques, les juifs sont associés à la modernité et au capitalisme. Même si le président Wilson était presbytérien, « sa prétendue jewishness » était suffisante pour permettre à ces individus antiaméricains de clamer que l’Amérique était au service et dirigée par les juifs148. C’est ainsi que les antiaméricains, dont notamment les fascistes européens comme Adolf Hitler ou Benito Mussolini, se sont opposés à l’Amérique par le rattachement des attitudes antisémites à l’Amérique en tant qu’objet ou image du juif par excellence149150.

La deuxième étape de l’antiaméricanisme selon l’auteur Brendon O’Connor est celle qui s’étend de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989151. C’est pendant cette étape et, notamment avec l’émergence du Maccarthysme, que l’antiaméricanisme, longtemps culturel et élitiste, devient plus politique. Pendant cette étape, les antiaméricains sont majoritairement (mais pas uniquement) plutôt à gauche et revendiquent la protection de leur pays face à une Amérique qui se voudrait « la nouvelle impérialiste »152.

Cette deuxième étape est aussi caractérisée par la hausse de l’antiaméricanisme, causée par les événements de politique extérieure des États-Unis. En effet, les conflits en Corée et, dans une plus large mesure, au Vietnam ont mobilisé les opinions antiaméricaines, non seulement à l’extérieur mais également à l’intérieur des États-Unis. Les États-Unis sont perçus comme ne remplissant pas les idéaux dont ils se revendiquent les principaux promoteurs. À cet égard, certains auteurs parlent de

« viol publique des idéaux américains »153154. Lors de ces événements, l’antiaméricanisme constitue un lien entre les sociétés étrangères et américaine, les premières en « détestant » l’Amérique pour ce qu’elle représente et la deuxième en « détestant » son gouvernement155.

148 Heiko BEYER, Ulf LIEBE, « Anti-Americanism in Europe: Theoretical Mechanisms and Empirical Evidence », op. cit., p. 92.

149 Ceci mérite cependant une nuance. Les dictateurs fascistes européens connus mondialement aujourd’hui et mentionnés ci-dessus ne furent pas exclusivement antiaméricains. En effet, leur mentalité s’établissait sur une tension perpétuelle entre l’admiration et le rejet, la haine et l’amour pour l’Amérique. Hitler utilisait notamment l’Amérique pour mobiliser ses propos et ses actions antisémites. L’Amérique, dont le président montrerait une sorte de « jewishness », remplissait la fonction d’ennemi, elle constituait donc l’autre avec qui l’Allemagne hitlérienne construisait sa propre identité antisémite. Néanmoins, même si Hitler rejetait la culture américaine de masse, Hitler s’intéressait énormément et approuvait le Taylorisme, le Fordisme, la production de masse et les développements technologiques. Il est donc partiellement faux de soutenir que Hitler (et les fascistes européens par extension) était complètement antiaméricain.

150 Au vu du retour des manifestations antisémites qui se succèdent à présent en Europe, notamment en France, il serait intelligent de regarder si cette montée de l’antisémitisme entraîne aussi une montée de l’antiaméricanisme. Autrement dit, il serait intéressant d’étudier si la corrélation entre antisémitisme et antiaméricanisme se reproduit actuellement ou dans le future proche. Voir à cet égard Andrei S. MARKOVITS,

« The Anti-Americanism Mindset », op. cit.; Maxime TELLIER, « Inquiétude européenne sur le retour de l’antisémitisme », France Culture, 12 février 2019. Disponible à l’adresse:

https://www.franceculture.fr/societe/inquietude-europeenne-sur-le-retour-de-lantisemitisme

151 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., pp. 81–84.

152 Ibid., p. 81.

153 Jessica C. E. GIENOW-HECHT, « Always Blame the Americans: Anti-Americanism in Europe in the Twentieth Century », op. cit., p. 1082.

154 Il est tout de même intéressant de constater que si, comme nous l’avons évoqué dans la partie théorique, l’individu antiaméricain voit dans l’Amérique des valeurs qu’il rejette (e.g. l’individualisme, le matérialisme, etc.), lors de la Guerre au Vietnam, c’était l’absence, et non pas la présence, de la promotion de ces valeurs à l’extérieur des États-Unis ce qui amenait les antiaméricains à manifester à l’encontre de ce pays.

155 Sergio FABBRINI, « The Domestic Sources of European Anti-Americanism », op. cit.

L’antiaméricanisme d’après-guerre est aussi très visible en France, où il avait déjà été très présent dès l’époque coloniale, mais aussi en Allemagne. Au Royaume-Uni, par contre, leur culture commune anglo-saxonne et leur ancienne relation colonie-colonisateur a amenuisé le degré d’antiaméricanisme au Royaume-Uni. En même temps, pendant les années 1970, l’antiaméricanisme européen est moins présent dans la société, avec Kohl et Thatcher qui défendent leur alliance transatlantique156, mais aussi en France avec un mouvement anti-antiaméricain dirigé par des personnalités comme Bernard-Henri Lévy157.

La troisième phase de l’antiaméricanisme peut être située entre l’après-Guerre froide et l’avant 11 septembre 2001. Pendant ces années, l’antiaméricanisme se transforme en une crainte de l’Amérique comme principal moteur de la globalisation. Ainsi se produit l’équivalence entre antiaméricanisme et antiglobalisation. L’Amérique n’a désormais plus de rival et peut donc « gouverner le monde » comme elle l’entend mieux. Cette macroliberté américaine est perçue comme une véritable menace par les antiaméricains, qui attachent à l’Amérique l’entière responsabilité pour tous les maux existants sur la planète : la pauvreté mondiale, la dégradation environnementale, les conflits globaux, etc.158. Finalement, la dernière étape de l’antiaméricanisme peut être appréhendée comme celle post-attentats du 11 septembre aux États-Unis. Ces événements représentent sans doute le résultat le plus radical d’une forme d’antiaméricanisme extrême. Il serait cependant faux d’attribuer à cet antiaméricanisme une haine systématique et profonde envers les valeurs que représenterait l’Amérique. Il y a certes une partie de cela chez les plus radicaux, mais d’après l’analyse des discours des antiaméricains au Moyen- Orient159, il s’avère que leurs demandes ne portent pas sur le sujet des valeurs américaines ou, plus précisément, sur la religion, mais sur des craintes territoriales liées aux missions militaires entreprises par l’Amérique. Et s’il est vrai que les réponses des Européens envers l’Amérique ont été d’une remarquable solidarité, il a fallu très peu de temps pour dessiner les contours d’une scission profonde entre Européens pro-atlantistes et non atlantistes : la guerre d’Iraq, à laquelle certains pays comme l’Espagne et le Royaume-Uni ont participé (mais pas la France ou l’Allemagne, par exemple), s’est avérée encore une fois un facteur de rejet de l’Amérique. Dans les pays étrangers dont les dirigeants ont décidé de participer à la guerre avec les États-Unis, ces leaders ont bientôt perdu le pouvoir160. La contestation de l’Amérique s’est accrue visiblement dans des pays qui auparavant étaient très pro-américains (e.g. le Royaume-Uni).

Les discours antiaméricains, notamment les plus radicaux, nous amènent à faire mention d’une question qui apparaît notamment depuis la transformation de l’antiaméricanisme culturel vers le champ politique. En effet, il ne serait pas illogique de se demander si l’idéologie traditionnelle de gauche et de droite a un impact sur le degré ou le type d’antiaméricanisme qu’un individu peut éprouver et, deuxièmement, sur l’interprétation que les gouvernements des États-Unis (républicains ou démocrates) en font. D’abord, les études historiques montrent que, au début, c’est surtout l’aristocratie et l’élite européenne (donc, à droite) qui se manifeste contre l’Amérique. Ensuite, toutefois, l’antiaméricanisme se répand avec l’expansion du modèle capitaliste de consommation de masse, surtout pendant la Guerre froide et l’après-chute du mur de Berlin. Dans tous les cas, et indépendamment des idéologies, l’Amérique remplit une fonction de bouc émissaire si besoin il y a, ce qui se concrétise d’autant plus au Moyen-Orient161.

156 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., p. 84.

157 Ibid., p. 83 ; Adam GOPNIK, « The Anti-Anti-Americans », New Yorker.com, 25 août 2003. Disponible à l’adresse: https://www.newyorker.com/magazine/2003/09/01/the-anti-anti-americans

158 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., pp. 84–85.

159 Ibid., pp. 85–89.

160 José María Aznar (Espagne) et Tony Blair (Royaume-Uni) perdirent leur pouvoir en 2004 et en 2007 respectivement.

161 Ibid., pp. 85–89; Lisa BLAYDES, Drew A. LINZER, « Elite Competition, Religiosity, and Anti-Americanism in the Islamic World », op. cit.

Deuxièmement, du point de vue des gouvernements étatsuniens, l’antiaméricanisme est perçu très différemment. Les démocrates soutiennent très souvent que l’antiaméricanisme est la conséquence ou le produit des politiques étrangères négatives, souvent menées à bien par des gouvernements républicains. Pourtant, ces derniers adoptent une attitude à l’opposé de celle des démocrates, qui leur permet à son tour de négliger l’antiaméricanisme. Les républicains voient l’antiaméricanisme comme un biais permanent contre ce que l’Amérique est, non pas fait. Cela n’est pas tout à fait faux comme nous l’avons vu dans la section théorique : l’antiaméricain rejette systématiquement ce qu’il croit que représente l’Amérique. Cependant, les républicains finissent par tout inclure dans la catégorie de l’antiaméricanisme le plus extrême et négligent les effets sur le soft power que certaines actions de hard power (i.e. interventions militaires) peuvent avoir sur l’Amérique. Voici donc deux attitudes très différentes envers l’antiaméricanisme à l’étranger.

4.1. Liaison avec notre cadre théorique

L’histoire de l’antiaméricanisme tracée ci-dessus fait appel aux concepts que nous avons mobilisés et à notre cadre théorique défendu dans les parties antérieures (chapitres 2 et 3).

D’abord, l’antiaméricanisme est paru bien avant que les États-Unis n’aient acquis leur statut actuel de puissance de l’ordre global international. Il s’ensuit que, comme nous l’avons constaté dans la partie théorique, il est impossible de soutenir que l’antiaméricanisme apparaît uniquement à partir du moment où les politiques étrangères des États-Unis sont contestées. L’antiaméricanisme n’est donc pas la conséquence des politiques étrangères menées par l’Amérique, mais découle d’attitudes historiquement acquises et, bien sûr, activées plus ou moins vivement selon les circonstances de l’époque ou les caractéristiques des effets des politiques entreprises par les États-Unis.

Deuxièmement, nous voyons à travers le temps et l’évolution de l’antiaméricanisme qu’il s’agit d’une attitude totalement plastique, non seulement parce que cette attitude évolue et englobe alternativement des critiques culturelles et des critiques politiques, mais aussi parce que les objets critiqués se transforment : selon l’étape et selon l’endroit, l’antiaméricain critique soit l’aspect de la religion en Amérique, soit son matérialisme, soit son sémitisme, soit encore ses politiques impérialistes. Révolutionnaires et réactionnaires se servent donc de l’antiaméricanisme. Nous voyons ainsi que l’antiaméricanisme est, dans des termes psychologiques, un biais systématique qui se borne à critiquer l’Amérique quoi qu’il arrive. Comme nous l’avons vu notamment pendant l’époque post-1989, c’est également un moyen de blâmer l’Amérique pour tous les maux, ce qui nous rappelle nos concepts de pathic projection et de réduction de la dissonance cognitive : l’anti-globalisation, la pauvreté mondiale, les défis climatiques se réduisent à une opposition, parfois féroce, à l’Amérique. La théorie de la dégénérescence est un exemple historique de plus de cette application de la réduction de la dissonance cognitive. En définitive, l’histoire nous montre que les attitudes « anti » (e.g.

antiaméricanisme, antisémitisme) sont basées sur une irrationalité, sur une opinion émotionnelle (emotional belief) qui est constructrice de l’identité du soi.

Troisièmement, l’examen historique révèle que la séparation entre ce que l’Amérique est et ce qu’elle fait est pratiquement infaisable. Après les conclusions de la littérature exposée ci-dessus, nous serions tentés de trancher que l’antiaméricanisme incarne exclusivement la haine envers ce que l’Amérique représente. Pourtant, pendant la Guerre froide, les opérations militaires menées par les États-Unis, notamment les guerres en Corée et au Vietnam, ont beaucoup attisé l’attitude politique qui nous concerne. Par conséquent, une ligne de séparation entre l’« être » et le « faire » n’est pratiquement pas faisable pour l’antiaméricanisme et l’histoire dans ce cas justifie le choix de notre cadre théorique présenté ci-dessus (chapitre 2) ainsi que notre cadre méthodologique.

Quatrièmement, nous l’avons vu, l’antiaméricanisme est un phénomène multidimensionnel et hétérogène. Il se manifeste différemment en fonction de la localisation géographique, des circonstances des pays où cette attitude émerge, mais émerge aussi dans des domaines différents.

L’antiaméricanisme au Moyen-Orient appelle à un retrait des troupes américaines et exige le respect de leur territorialité. Pourtant, en France, l’antiaméricanisme émerge et continue pendant longtemps en se focalisant plutôt sur les aspects culturels (jugés inférieurs) de l’Amérique. Ceci resurgira

peut-être dans notre partie empirique (chapitre 5). Cette diversité du phénomène sert finalement à rassembler, malgré les différences, les individus qui l’embrassent, sans tenir forcément compte des idéologies politiques traditionnelles sur le spectre politique gauche-droite.

Enfin, l’évolution du phénomène nous prévient du fait que les gouvernements républicains ont tendance à négliger les attitudes antiaméricaines, avec la conséquence d’agir sans tenir compte d’une potentielle création ou promotion subséquente de ces attitudes. Il est donc probable que Donald Trump suive ce même modèle, c’est-à-dire, qu’il attache peu d’importance à la création de l’antiaméricanisme et que, par extension, agisse sans tenir compte des conséquences sur les sociétés étrangères tant qu’il s’assure de maintenir le soutien de la société américaine.

4.2. Cadre historique français

L’antiaméricanisme français est probablement l’antiaméricanisme le plus étudié dans la littérature. Ce n’est pas pour rien que la France est considérée par certains comme « le leader de l’antiaméricanisme dans le monde occidental »162. Pour Roger, l’antiaméricanisme français est une attitude qui varie dans sa forme et son degré selon les conflits politiques, économiques ou culturels du moment163. Il n’y a pas pour autant lieu de considérer que l’antiaméricanisme français, quoique bien connu par la littérature, soit majoritaire. C’est un phénomène volatile et multidimensionnel qui émerge entre ces deux pays notamment parce que « les deux sont profondément universalistes [… et s’imposent] une tâche d’illuminer le reste »164. Pour mieux appréhender l’évolution du phénomène en France, il convient de le revoir chronologiquement par étapes.

Tout d’abord, la période de l’entre-deux-guerres a vu la gratitude de la France aux États-Unis s’effondrer lors de leur retrait suivant la fin de la Première Guerre mondiale. De plus, la volonté des États-Unis de dicter les modalités des développements en Europe ainsi que les investissements américains en Allemagne ont profondément irrité la France, qui craignait l’impérialisme américain en Europe alors qu’elle-même perdait la grandeur qu’elle avait connue auparavant165. Même si pendant cette période les Français étaient ravis de consommer la culture américaine (notamment les films), les plus conservateurs qualifiaient la culture américaine comme la « décadence » ou la « bassesse »166. Les critiques de l’époque de l’entre-deux-guerres étaient fortement intellectuelles. Ceci est attesté avec des ouvrages de Georges Duhamel (Scènes de la vie future) ou André Siegfried (Les États-Unis d’aujourd’hui), ses livres étant considérés comme « la principale fondation de la tradition intellectuelle française de l’antiaméricanisme »167. Plus parlant est l’ouvrage de Robert Aron et Arnaud Dandieu intitulé Le cancer américain, où l’auteur voit dans les États-Unis une forme de modernisme menaçant pour l’Europe et fait ressortir une certaine nostalgie de la France du passé168.

Lors de l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne, la France et sa société prêtent beaucoup plus d’attention à ce phénomène. C’est l’époque où l’antiaméricanisme rejoint donc l’antisémitisme avec des ouvrages comme ceux de Louis-Ferdinand Céline (Bagatelles pour un massacre [1937] ou L’école des cadavres [1938]), qui fusionne les « défauts » des États-Unis avec une sorte de conspiration juive pour

162 Sophie MEUNIER, « Anti-Americanisms in France », op. cit., p. 95.

163 Philippe ROGER, L’ennemi américain : généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Éditions du Seuil, 2002.

164 Jean-François REVEL, L’obsession anti-américaine : son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences, Paris, Plon, 2003; Colin NETTELBECK, « Anti-Americanism in France », in Brendon O’CONNOR, (ed),

164 Jean-François REVEL, L’obsession anti-américaine : son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences, Paris, Plon, 2003; Colin NETTELBECK, « Anti-Americanism in France », in Brendon O’CONNOR, (ed),

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