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L’antiaméricanisme européen sous l’ère de Trump : le cas de la France et du Royaume-Uni

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Master

Reference

L'antiaméricanisme européen sous l'ère de Trump : le cas de la France et du Royaume-Uni

VIDAL BOVER, Miquel

Abstract

Dans le cadre des relations transatlantiques, les États-Unis et l'Union européenne passent aujourd'hui par un moment difficile, notamment à cause des politiques isolationnistes menées par le président Donald Trump. Tandis que pendant le mandat de Bush, une attitude antiaméricaine a émergé en Europe et que ceci a donné lieu à une littérature abondante, cette littérature ne s'est pas encore actualisée pendant le mandat de Trump. La présente étude vise à combler cette lacune dans la littérature en s'interrogeant sur la nature et la portée du phénomène de l'antiaméricanisme sous l'ère de Trump dans les sociétés française et britannique à travers l'analyse de leur presse. Cette analyse nous permettra aussi de déterminer le degré de convergence des visions critiques antiaméricaines entre les deux pays d'étude.

VIDAL BOVER, Miquel. L'antiaméricanisme européen sous l'ère de Trump : le cas de la France et du Royaume-Uni. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:136349

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GLOBAL STUDIES INSTITUTE DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE COLLECTION « MÉMOIRES ÉLECTRONIQUES »

Vol. 105-2020

L’antiaméricanisme européen sous l’ère de Trump : le cas de la France et du Royaume-Uni

Mémoire présenté pour l’obtention du Master en études européennes

par Miquel Vidal Bover

Rédigé sous la direction de Alessia Biava Juré : Maximos Aligisakis

Genève, juin 2019

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À mon grand-père Joan, promoteur de l’anti-ignorance

pendant toute sa vie

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Remerciements

J’adresse mes remerciements particulièrement à la Dr. Alessia Biava, ma directrice de mémoire, qui a su me transmettre tous les conseils, les critiques et la motivation nécessaires à cet exercice de recherche. Je remercie également le Professeur Dusan Sidjanski et toute son équipe pour leur soutien.

De même, j’adresse mes sincères remerciements à Emma Cerruti, correctrice linguistique de ce mémoire.

Enfin, je tiens à remercier mon frère, mes parents, mes grands-parents, toute ma famille, mes ami-e- s ainsi que ma famille suisse. Avec leur soutien inconditionnel et leur encouragement, ils m’ont tous permis de poursuivre ces études de maîtrise à l’Université de Genève et de rédiger ce mémoire.

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Résumé

Dans le cadre des relations transatlantiques, les États-Unis et l’Union européenne passent aujourd’hui par un moment difficile, notamment à cause des politiques isolationnistes menées par le président Donald Trump. Tandis que pendant le mandat de Bush, une attitude antiaméricaine a émergé en Europe et que ceci a donné lieu à une littérature abondante, cette littérature ne s’est pas encore actualisée pendant le mandat de Trump. La présente étude vise à combler cette lacune dans la littérature en s’interrogeant sur la nature et la portée du phénomène de l’antiaméricanisme sous l’ère de Trump dans les sociétés française et britannique à travers l’analyse de leur presse. Cette analyse nous permettra aussi de déterminer le degré de convergence des visions critiques antiaméricaines entre les deux pays d’étude.

Mots-clés

antiaméricanisme, anti-trumpisme, relations transatlantiques, Trump, psychologie sociale, États-Unis, Europe, France, Royaume-Uni

Abstract

In the framework of transatlantic relations, the United States and the European Union are going through a tough time today, especially due to the isolationist policies carried out by President Donald Trump. Whilst during the Bush presidency an anti-American attitude emerged in Europe, giving birth to abundant literature on the subject, this literature has not yet been updated during the Trump administration. This study aims to fill this gap in the academic literature available by examining the nature and the scope of anti-American sentiment during Donald Trump’s presidency in French and British societies through an analysis of their respective press coverage.

This analysis will also allow us to determine the degree of convergence in terms of anti-American criticism in both countries of study.

Keywords

antiamericanism, anti-trumpism, transatlantic relations, Trump, social psychology, United States, Europe, France, United Kingdom

(6)

Sommaire

Remerciements iii

Résumé iv

Sommaire v

Table des figures vi

1. Introduction 2

2. Cadre théorique

2.1. Considérations préliminaires 4

2.2. Les deux lignes de recherche classiques de l’antiaméricanisme 6

2.3. Une séparation plutôt floue 8

2.4. Notre définition d’antiaméricanisme et la typologie retenue 17

3. Cadre méthodologique

3.1. Considérations ontologiques et épistémologiques 21

3.2. Méthodologie 23

4. Cadre historique

4.1. Liaison avec notre cadre théorique 35

4.2. Cadre historique français 36

4.3. Cadre historique britannique 38

5. Partie empirique : analyse des cas d’étude

5.1. Cas d’étude 1 : l’accord de Paris 40

5.2. Cas d’étude 2 : l’accord JCPOA 50

5.3. Cas d’étude 3 : tarifs imposés sur l’acier et l’aluminium 59 5.4. Cas d’étude 4 : 100ème anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale 67

6. Conclusion 76

Bibliographie 80

Bibliographie annexe (classée selon le logiciel Zotero) 84

Table des matières 130

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Table des figures

Figure 1. Schéma de l’antiaméricain par nos soins 11

Figure 2. Classification de Katzenstein et Keohane selon l’ouverture à l’information 12 et l’attribution de celle-ci

Figure 3. Continuum de la classification établie par Katzenstein et Keohane 13 Figure 4. Typologie de l’antiaméricanisme sur un continuum

selon Katzenstein et Keohane 18

Figure 5. Journaux choisis par nos soins pour l’obtention d’articles 27

Figure 6. Événements choisis par nos soins 27

Figure 7. Événements choisis par nos soins et reliés à des thématiques plus générales 28

Figure 8. Idéologie des journaux français 30

Figure 9. Conclusion de l’étude YouGov des perceptions concernant

les journaux britanniques 31

Figure 10. Idéologie des journaux britanniques 31

Figure 11. Examen de nos hypothèses pour le cas d’étude 1 49

Figure 12. Examen de nos hypothèses pour le cas d’étude 2 59

Figure 13. Examen de nos hypothèses pour le cas d’étude 3 67

Figure 14. Examen de nos hypothèses pour le cas d’étude 4 75

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1. Introduction

Suite à l’arrivée de Trump à la tête des États-Unis, Libération publiait à la une de son journal

« Trumpocalypse »1 et The Independent priait avec la formule « So help us God »2. Ces réactions médiatiques négatives envers les États-Unis de Trump sont aujourd’hui soutenues statistiquement : un sondage YouGov dévoile que 45% des Européens considèrent que les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable pour l’Union européenne (UE)3. La discussion sur l’état et l’avenir de l’historique alliance transatlantique, comprenant l’UE et les États-Unis, est aujourd’hui très abondante, d’autant plus qu’il est difficile de soutenir que le virage idéologique national-populiste qu’a entrepris ce pays avec le mandat de Trump ne contraste pas avec les valeurs libérales, ciment de la construction européenne.

Si les hautes sphères du politique (autrement dit, le high politics) sont fondamentales pour l’évaluation du chemin politique parcouru par un pays, il reste toujours intéressant, dans un monde chaque jour plus interconnecté et interdépendant, de regarder les évolutions des perceptions et des jugements au niveau sociétal. Il est bien connu que les actions décidées et appliquées par le pouvoir ont des conséquences sur les populations d’un territoire déterminé ; si cela n’était pas le cas, le pouvoir ne pourrait pas être appelé d’une telle façon. Ainsi, pendant l’époque de la guerre d’Iraq entamée par les États-Unis, une attitude politique, généralement latente auparavant, s’est répandue dans certaines sociétés : l’antiaméricanisme. Cette attitude anti, contre les États-Unis, a été fort étudiée pendant la première décennie du XXIème siècle à cause du mandat de George W. Bush, un président qui n’a été guère apprécié par les Européens d’après les sondages d’opinion4.

À la lumière de la réaction sociale envers les États-Unis pendant l’époque de Bush et compte tenu des sondages et des réactions médiatiques exposées brièvement ci-dessus, il faudrait peut-être s’attendre à ce qu’un président républicain comme Donald Trump provoque une réémergence du phénomène antiaméricain. Néanmoins, il n’existe pas à ce jour d’étude académique sur ce sujet. Afin de combler cette lacune dans la littérature scientifique, notre travail gravite autour de la problématique suivante :

Dans quelle mesure et sous quelle forme l’antiaméricanisme européen se manifeste-t-il dans la critique des actions des États-Unis depuis l’arrivée de Trump au pouvoir de ce pays et dans quelle mesure existe-t-il aujourd’hui une convergence de ces visions critiques entre les Européens de certains pays ?

Cette interrogation est donc une question de degré et de forme. Notre travail cherche à déterminer s’il existe un antiaméricanisme en France ou au Royaume-Uni et, si la réponse est dans l’affirmative, quelles en sont la forme et les caractéristiques. Deuxièmement, nous chercherons à déterminer s’il existe une convergence des visions critiques envers les États-Unis, c’est-à-dire, si l’intensité et la nature des critiques aux États-Unis sont similaires entre les journaux des deux pays d’étude.

À part des raisons éminemment pratiques (connaissance de la langue du pays), le présent travail traite les cas des sociétés française et britannique pour des raisons précises. Quant à la France, elle est

1 Libération, « Trumpocalypse », 9 novembre 2016. Disponible à l’adresse:

https://boutique.liberation.fr/products/trumpocalypse-edition-speciale-09-novembre-2016

2 The Independent, « So Help Us God », 21 janvier 2017. Disponible à l’adresse:

https://www.pinterest.ch/pin/101331060346791119/

3 Nacho CATALÁN, « Inmigración y medio ambiente centran la inquietud de los europeos », El País.com,

Internacional, 13 mai 2019. Disponible à l’adresse:

https://elpais.com/internacional/2019/05/10/actualidad/1557507327_934513.html

4 Pew Research Center – Global Attitudes & Trends, « Bush Unpopular in Europe, Seen As Unilateralist | Pew Research Center », 15 août 2001. Disponible à l’adresse: https://www.pewglobal.org/2001/08/15/bush- unpopular-in-europe-seen-as-unilateralist/

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considérée par certains comme « le leader de l’antiaméricanisme dans le monde occidental »5. Il existe donc une histoire du phénomène antiaméricain français qui nous permettra de baser nos propos sur une continuation. Concernant le Royaume-Uni, la « relation spéciale »6 anglo-saxonne que ces pays entretiennent rend intéressante l’étude de l’antiaméricanisme précisément à cause des divergences qui pourraient se présenter en comparaison avec l’antiaméricanisme français.

Afin de répondre à notre question de recherche, cette étude teste quatre hypothèses différentes7. En nous basant sur les apports de la littérature académique en la matière et sur le cadre théorique que nous avons bâti, nous faisons, en premier lieu, l’hypothèse que, lorsque les États-Unis agissent différemment des pays européens, il y a une hausse des critiques envers les États-Unis.

Deuxièmement, que certaines de ces critiques se radicalisent jusqu’au point où l’Amérique serait le bouc émissaire de tous les maux à l’international, ce qui constitue, comme nous le verrons en détail, la définition que nous donnons au phénomène de l’antiaméricanisme. En troisième lieu, que les critiques systématiques qui émergent portent sur la figure et les caractéristiques du mandataire Donald Trump, d’autant plus que les traits considérés comme étant des défauts du président deviennent des critiques qui sont transposées au pays en général, encore une fois blâmé pour tout. Enfin, notre quatrième hypothèse établit que les antiaméricanismes français et britannique montreront une convergence, dans leur nature, des visions critiques envers les actions ou décisions politiques des États-Unis.

Afin d’obtenir des données empiriques valides et non biaisées, nous avons constitué un corpus de 704 articles de presse provenant de journaux français et britanniques divers (tant quotidiens qu’hebdomadaires). Dans l’optique de cadrer systématiquement les conclusions que nous pourrons extraire à partir de ces articles, nous avons choisi quatre événements concernant les relations transatlantiques qui sont à même de susciter des critiques et, par conséquent, de promouvoir la publication d’articles à cet égard. Ces quatre événements (i.e. le retrait des États-Unis de l’accord de Paris, le retrait des États-Unis de l’accord JCPOA, l’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium et enfin le 100ème anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale), divers quant à leur thématique, constituent nos quatre cas d’étude.

Le présent travail est organisé comme suit. D’abord, nous présentons une revue de la littérature sur le phénomène de l’antiaméricanisme (chapitre 2). Celle-ci nous permet de bâtir ensuite notre cadre théorique (chapitre 2), qui s’inscrit dans une logique interdisciplinaire combinant les domaines de la sociologie politique, la psychologie sociale et les relations internationales. Dans le chapitre suivant (chapitre 3) sont exposés les aspects méthodologiques, y compris l’explication de la problématique (3.2.1), des hypothèses (3.2.2) et des méthodes mobilisées (3.2.3). Le cadre historique (chapitre 4), succinct, vise à signaler les phases et les traits historiques, tant de l’antiaméricanisme en général que de l’antiaméricanisme particulier de la France (4.2) et du Royaume-Uni (4.3).

Une fois ces trois cadres exposés, la partie empirique de notre travail (chapitre 5) se divise en quatre cas d’étude correspondant aux quatre événements choisis pour délimiter l’examen de la presse, tant française que britannique. Finalement, la dernière partie (chapitre 6) est consacrée aux conclusions de ce travail. C’est aussi dans cette partie que sont indiqués les apports et les limites de notre démarche scientifique ainsi que les possibles voies de recherches futures sur le sujet de l’antiaméricanisme.

5 Sophie MEUNIER, « Anti-Americanisms in France », in French Politics, Culture & Society, 2005, Vol. 23, No. 2, p. 125. Disponible à l’adresse: https://www.jstor.org/stable/42843400

6 Winston S. CHURCHILL, « The Sinews of Peace », NATO On-line library, 5 mars 1946. Disponible à l’adresse: https://www.nato.int/docu/speech/1946/s460305a_e.htm

7 Pour plus d’informations à propos de nos hypothèses, voir le sous-chapitre 3.2.2. de la section méthodologique (chapitre 3).

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2. Cadre théorique

Cette première section passe en revue de manière exhaustive la littérature portant sur l’attitude politique connue sous le nom d’antiaméricanisme. Avec celle-ci, nous visons à transmettre une image générale de l’état de la recherche dans ce domaine ainsi qu’en mettre en évidence les limites, voire même les lacunes. Une revue extensive de la littérature est impérative afin de construire un cadre théorique utile pour répondre à notre question de recherche.

Cette section est divisée en plusieurs parties, permettant de montrer les deux lignes de recherche classiques (2.2), les limites et les nuances de celles-ci (2.3) pour ensuite finir avec la construction d’un cadre théorique solide (2.4) qui mobilise des notions définies et mentionnées tout au long de cette section.

2.1. Considérations préliminaires

La définition des concepts mobilisés lors d’une étude en science politique est une étape indispensable et cruciale. En effet, les phénomènes sociaux ont tendance à être approchés de façon différente selon les caractéristiques personnelles et sociologiques des chercheurs, mais aussi en fonction des objectifs poursuivis et englobés dans une problématique concrète. À titre d’exemple, le concept de participation politique peut être défini comme l’engagement dans des formes de participation conventionnelle comme le vote ou la présence à des manifestations civiques légales, et de participation non conventionnelle, comme la présence à des manifestations illégales ou encore la réalisation d’actions de boycott ; mais le concept de la participation politique pourrait aussi être défini de manière plus restreinte, ne tenant compte que du vote. Par conséquent, l’opérationnalisation ultérieure et les conclusions résultant de ces études seraient différentes, d’où l’importance de définir concrètement dès le départ les concepts primordiaux mobilisés.

L’antiaméricanisme n’est pas exempt de ces tribulations définitoires. Toute une série d’auteurs, notamment depuis les années quatre-vingt, ont tenté de cadrer le terme dans des conceptions qui ont certains traits en commun ainsi que certaines différences subtiles. Il paraît donc nécessaire de revoir ces conceptualisations afin de choisir les aspects qui s’articulent le mieux pour répondre à notre question de recherche.

Comme mentionné au préalable, les attitudes et les phénomènes politiques font l’objet de nombreuses cogitations théoriques. Au fil du temps, les auteurs qui étudient l’antiaméricanisme ne se sont mis d’accord que sur un point : la définition dudit phénomène est élusive8. Il n’existe toujours pas de définition généralement acceptée pour ce terme9, ce qui fait que souvent le terme soit utilisé vaguement et à des fins politiques spécifiques et, sans doute, opportunistes10.

Certains auteurs abandonnent dès le départ la recherche d’une logique définitoire du phénomène.

Krauthammer considère cette recherche « infructueuse » dans la mesure où l’antiaméricanisme constituerait uniquement un sentiment de ressentiment11 ou de jalousie propre à ceux qui ont essayé

8 Ivan KRASTEV, « The Anti-American Century? », in Journal of Democracy, 2004, Vol. 15, No. 2, p. 10.

Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.1353/jod.2004.0028

9 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », in Australasian Journal of American Studies, 2004, Vol. 23, No. 1, p. 77. Disponible à l’adresse:

https://www.jstor.org/stable/41053968

10 Brendon O’CONNOR, « Anti-Americanism », in George RITZER, (ed), Encyclopedia of Globalisation, Vol. 1, Chichester, Wiley Blackwell, 2012, pp. 66–68. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1002/9780470670590.wbeog023

11 Lars RENSMANN, « Europeanism and Americanism in the Age of Globalization: Hannah Arendt’s Reflections on Europe and America and Implications for a Post-National Identity of the EU Polity », in European Journal of Political Theory, 2006, Vol. 5, No. 2, pp. 139–170. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1177/1474885106061603

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mais n’ont pas réussi à obtenir ce à quoi ils aspiraient12. Par conséquent, l’antiaméricanisme est illogique et il serait inutile de le définir. Ce raisonnement émane des mots de l’ancien juge associé de la Cour suprême des États-Unis Potter Stewart qui, en 1964, argumentait qu’il y a des faits pour lesquels une définition n’est ni possible ni nécessaire puisque c’est à travers la constatation ou l’expérience empirique qu’on les définit le mieux. Ainsi estimait-il que la pornographie n’était pas un sujet à définir puisqu’il savait « ce que c’est quand [il] le vo[yait] »13. Comme le rappellent certains auteurs14, l’antiaméricanisme n’a nul besoin d’être défini puisqu’il serait « dans l’air » et loin de toute logique théorique pertinente.

Cependant, même si les auteurs les plus radicaux trouvent que la définition du phénomène ne mérite pas d’effort, et même si tous les chercheurs s’accordent à avouer cette indétermination théorique, ils pronostiquent aussi la fin de l’ère américaine15 et l’avènement du siècle antiaméricain16. Or si une époque antiaméricaine a fait son début dès les années 2000, il est impératif de définir en quoi consiste ce phénomène.

Un bon point de départ, indicatif mais pas exhaustif, est la définition relativement vague d’O’Connor qui écrit que l’antiaméricanisme est, tout simplement, « une série de critiques et préjudices concernant l’Amérique17 »18. Évidemment, cette définition n’est pas satisfaisante, mais elle nous indique, pour le moment, que l’antiaméricanisme est détectable dans des affirmations critiques qui concernent les États-Unis. Il faut donc s’attendre à un rejet de ce pays identifiable à travers des mots ou des actions.

Le problème définitoire s’affiche clairement lorsqu’on s’aperçoit des conséquences d’une certaine étendue de la définition. Admettons, comme le fait Spiro, que l’antiaméricanisme est une « persistance de critiques flagrantes des valeurs consacrées dans la Constitution des États-Unis »19. La définition est loin d’être satisfaisante, et ce pour deux raisons qui pourraient paraître contradictoires de prime abord : d’un côté, cette définition est trop vague, puisque ce qu’est une « critique flagrante » n’est explicité nulle part; de l’autre, elle est trop précise dans la mesure où elle ne prend en compte que les attaques aux valeurs inscrites dans la Constitution américaine. Il est donc évident qu’une définition vague mais surtout trop spécifique ne nous aide pas puisque nous négligeons des aspects significatifs20.

À l’autre extrême théorique, une définition trop étendue met en danger l’étude du phénomène et résulte stérile. En effet, se pose la question essentielle suivante : est-ce que toute personne exprimant

12 Charles KRAUTHAMMER, « To Hell With Sympathy », Time, 9 novembre 2003. Disponible à l’adresse:

http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,538977,00.html

13 William J. BRENNAN, « U.S. Reports: Jacobellis v. Ohio, 378 U.S. 184. », 1963, https://www.loc.gov/item/usrep378184/, cité dans Jessica C. E. GIENOW-HECHT, « Always Blame the Americans: Anti-Americanism in Europe in the Twentieth Century », in The American Historical Review, 2006, Vol. 111, No. 4, p. 1071. Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.1086/ahr.111.4.1067

14 Charles KRAUTHAMMER, « To Hell With Sympathy », op. cit.

15 Jeffrey D. SACHS, A New Foreign Policy: Beyond American Exceptionalism, New York, Columbia University Press, 2018.

16 Ivan KRASTEV, « The Anti-American Century? », op. cit.

17 Nous utilisons ici les mots « Amérique » et « Américain » (et dérivés) pour dénoter l’entité politique des États- Unis d’Amérique. Autrement dit, nous ne nous référons pas à tout le continent américain dans un sens géographique, quoique ce serait plus précis. Nous l’avons considéré pertinent puisque le phénomène appelé

« antiaméricanisme » ou l’attitude désignée comme « antiaméricaine », qui existent d’ailleurs depuis belle lurette, n’ont pas été conçus pour désigner tout le continent, mais les États-Unis. D’où que nous utilisions les mots

« Amérique » (et ses dérivés) et « États-Unis » comme synonymes dans le cadre de ce travail.

18 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., p. 77.

19 Herbert J. SPIRO, « Anti-Americanism in Western Europe », in The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, 1988, Vol. 497, No. 1, p. 122. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1177/0002716288497001010

20 Colin W. LAWSON, John HUDSON, « Who Is Anti-American in the European Union? », in Sage Open, 2015, Vol. 5, No. 2, p. 2. Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.1177/2158244015584163

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une affirmation critique à l’égard des États-Unis est, par nature et par défaut, une personne antiaméricaine ? Si la réponse est affirmative, le monde aurait un nombre d’antiaméricains égal à celui de personnes d’esprit critique. Voilà donc le résultat inutile d’une définition trop étendue : avoir un esprit critique équivaudrait à être antiaméricain.

De tout ce qui précède il faut trouver un point d’équilibre. Nous avons vu que l’antiaméricanisme comporte la réalisation de critiques à l’égard des États-Unis, mais nous avons aussi constaté que considérer toute personne critique comme antiaméricain revient à empêcher l’étude du phénomène.

Au fil des années, les chercheurs ont déjà fait face à cette complication. Progressivement, deux lignes d’étude se sont révélées clairement en fonction de l’objet de la critique émise. Nous proposons par la suite d’approfondir dans l’analyse de ces deux lignes prises par la littérature académique (dont la séparation, comme nous verrons, n’est pas aussi bien délimitée qu’il ne le paraît) et enfin proposer ce que nous retiendrons afin de mener à bien notre propre recherche.

2.2. Les deux lignes de recherche classiques de l’antiaméricanisme

Afin de catégoriser la réflexion sur l’antiaméricanisme, les chercheurs adoptent deux approches en fonction de l’objet qui est critiqué : soit les actions des États-Unis notamment en matière de politique étrangère, soit l’identité et, dans une certaine mesure, la culture des États-Unis de manière plus générale.

2.2.1. Les critiques de l’Amérique pour ce qu’elle fait

Dès 1988, certains chercheurs ont considéré que l’antiaméricanisme est exprimé par un groupe d’individus qui se montre critique à l’égard des actions entreprises par les États-Unis en matière de politique étrangère. Quoique minoritaire, cette approche correspond à la première catégorie de Rubistein et Smith21, qu’ils appellent l’antiaméricanisme « issue-oriented » (s’adressant aux actions)22. Depuis, cette approche a été principalement adoptée par certains chercheurs qui étudient l’antiaméricanisme au Moyen-Orient. Makdisi réfute l’explication contraire selon laquelle l’antiaméricanisme dans cette région serait le produit d’une guerre ou d’un choc des civilisations et de cultures d’époque23. D’autres auteurs y ajoutent que la nature de l’antiaméricanisme islamiste n’est pas culturelle ou identitaire, mais politique et parfois militaire24.

Les conséquences d’une telle approche ne sont pas négligeables. En effet, si les actions américaines déclenchent ce sentiment de critique et de rejet qui peut aller jusqu’à ce qu’un groupe d’individus décide de se suicider pour attaquer l’Amérique (comme cela a été le cas le 11 septembre 2001), nous devrions constater que, lorsque les politiques étrangères menées par l’Amérique changent envers un pays, les critiques provenant de ce pays-là disparaissent et que ce groupe d’individus jadis critiques soit réconcilié avec le rôle américain dans le monde.

21 Alvin Z. RUBINSTEIN, Donald E. SMITH, « Anti-Americanism in the Third World », in The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, 1988, Vol. 497, No. 1, pp. 35–45. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1177/0002716288497001003

22 Il est important de noter que Rubinstein et Smith (ibid.) ne font pas exclusivement partie de cette approche.

Ils distinguent plusieurs types d’antiaméricanisme, qu’ils définissent, tel que nous le montrerons par la suite, comme « toute action ou expression hostile qui devient partie intégrante d’une attaque indifférenciée à la politique étrangère, la société, la culture, et les valeurs des États-Unis » (ibid., p. 36). Mais de par leur catégorisation, ils sous-entendent que l’antiaméricanisme peut se manifester exclusivement à travers des critiques contre ce que l’Amérique fait.

23 Ussama MAKDISI, « “Anti-Americanism” in the Arab World: An Interpretation of a Brief History », in The Journal of American History, 2002, Vol. 89, No. 2, p. 538. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.2307/3092172

24 Lisa BLAYDES, Drew A. LINZER, « Elite Competition, Religiosity, and Anti-Americanism in the Islamic World », in The American Political Science Review, 2012, Vol. 106, No. 2, pp. 225–243. Disponible à l’adresse:

http://www.jstor.org/stable/41495077

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Pourtant, la réalité vient se heurter contre cet argument. Les critiques à l’Amérique, tant au Moyen- Orient qu’en Europe, ne cessent d’exister depuis longtemps, et cela est confirmé tant par des chercheurs quantitativistes25, utilisant des données de sondages comme Pew Social Research, que par des auteurs qualitativistes26, à travers l’analyse de contenu et de discours.

Il s’ensuit qu’une telle définition – c’est-à-dire, une définition qui établit que l’antiaméricanisme est une réaction aux actions de l’Amérique – n’est pas satisfaisante. En effet, nous ne saurions prétendre que, lorsque la définition ne correspond pas à la réalité, c’est la réalité qui est fausse et non pas la définition.

2.2.2. Les critiques de l’Amérique pour ce qu’elle est

Ainsi, d’autres experts, plus nombreux, coïncident à dire que les critiques à l’Amérique constituant l’antiaméricanisme sont celles qui sont émises à cause du rejet, non pas de la politique étrangère menée par ce pays, mais de ce que l’Amérique est. Il s’agirait donc d’une critique profondément et exclusivement culturelle et identitaire.

En 1985, Haseler publie un ouvrage où il expose ce postulat. Selon cet auteur, les critiques à l’Amérique émises par la population étrangère représentent une « opposition directe aux valeurs culturelles et politiques des États-Unis » et ce, souligne-t-il, « sans distinction de la politique que ce pays aurait menée ou serait en train de mener à un moment donné »27. Chez les critiques, leurs affirmations surgiraient à cause de la rage basée sur « le ressentiment et l’envie »28. Ceci implique que, lors d’un changement de politique américaine, les bases de l’antiaméricanisme resteraient présentes.

Autrement dit, l’antiaméricanisme fait partie d’une critique structurelle des États-Unis basée sur le ressentiment. Tant que l’Amérique continuera d’être ce qu’elle est, les critiques à l’Amérique seront toujours d’actualité. Ce postulat est pourtant dangereux dans la mesure où il invite à ignorer consciemment l’existence de l’antiaméricanisme29, raisonnant comme suit : « puisque nos actions n’affectent en rien les critiques que nous recevons, nous pouvons continuer d’agir comme nous le croyons plus adéquat sans tenir compte de ces critiques »30.

Dans la même ligne de pensée, la typologie de Rubinstein et Smith31 nous offre une catégorie qui reflète la même pensée de Haseler. En effet, leur deuxième catégorie (qu’ils appellent

« antiaméricanisme idéologique ») englobe toutes les critiques envers l’Amérique à cause de ce qu’elle est ou représente. Les individus s’inscrivant dans cette catégorie verraient l’Amérique comme le

« vilain central du monde d’aujourd’hui, représentant le bastion de la décadence bourgeoise et le matérialisme impie »32.

De même, Krauthammer considère que l’antiaméricanisme est formé par une « incohérence » qui serait systématique, une sorte de « double standard négatif » selon lequel on critiquerait les États-Unis

25 Voir, par exemple, Giacomo CHIOZZA, « Disaggregating Anti-Americanism: An Analysis of Individual Attitudes toward the United States », in Peter J. KATZENSTEIN, (ed), Anti-Americanisms in World Politics, Ithaca, Cornell University Press, 2007, pp. 93–126. Disponible à l’adresse:

https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.ctt7zc83.8

26 Voir, par exemple, Andrei S. MARKOVITS, « The Anti-Americanism Mindset », in Brendon O’CONNOR, (ed), Anti-Americanism: History, Causes, Themes 1: Causes and Sources, Westport, Greenwood World Pub, 2007, pp.

41–58.

27 Stephen HASELER, Varieties of Anti-Americanism: Reflex and Response, Washington D.C., Ethics & Public Policy Center, 1985, p. 6; Jessica C. E. GIENOW-HECHT, « Always Blame the Americans: Anti-Americanism in Europe in the Twentieth Century », op. cit., pp. 1071–1072.

28 Emphase dans l’original.

29 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., p. 77, p. 83.

30 Voir à cet égard notre partie historique ci-dessous (chapitre 4).

31 Alvin Z. RUBINSTEIN, Donald E. SMITH, « Anti-Americanism in the Third World », op. cit., p. 39.

32 Ibid.

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par rapport à ce qu’ils représentent, peu importe ce qu’ils fassent33. Bien évidemment, comme nous le montrerons ci-dessous, ce que l’Amérique « est » ou « représente » est sans aucun doute un produit social, une construction discursive qui varie selon les caractéristiques et les analyses qu’effectue tout individu, conscient ou inconsciemment.

Enfin, aussi bien qu’existaient les chercheurs qui prônaient un antiaméricanisme islamiste à cause des actions américaines, il existe également toute une série d’auteurs qui défendent l’idée selon laquelle l’antiaméricanisme islamiste ne serait qu’un produit d’une « guerre de cultures »34, notamment tenant compte du fait que les normes et les valeurs sociétales des États-Unis et celles du monde musulman seraient nettement différentes35.

2.3. Une séparation plutôt floue

Les deux lignes de réflexion exposées ci-dessus opposent, d’un côté, les critiques aux actions entreprises par les États-Unis et, de l’autre, les critiques aux fondements identitaires et culturels du pays. Cependant, la démarcation entre ces deux lignes de pensée n’est pas si claire36. Très habituellement, les critiques émises contre les États-Unis se dirigent à l’encontre des politiques menées par ce pays. Pourtant, puisque nous parlons de critiques exprimées par un sujet conscient, comment et où faut-il tracer la ligne entre ce qui serait une critique informée, argumentée (voire même constructive) de ce que l’Amérique fait (c’est-à-dire, de ses politiques), et une critique ou rejet systématique des États-Unis provenant non pas de la politique critiquée en elle-même mais d’un sentiment de rage, d’envie ou de haine envers ce que le sujet entend par « États-Unis » ?

Il s’ensuit que cette distinction, quoiqu’utile, n’est pas stricte, ce qui relève un problème épistémologique et, par conséquent, un manque de cadre théorique effectif pour appréhender le phénomène antiaméricain37. S’apercevant des problèmes théoriques qu’entraîne une telle catégorisation, Katzenstein publie en 2007 un ouvrage collectif sur l’antiaméricanisme qui s’établit rapidement comme la référence sur le sujet38. Leur grand apport en matière de conceptualisation est leur approche psychologique du phénomène qui, sans négliger ou contredire les postulats des deux approches précédentes, réussit à les combiner. C’est pourquoi cette approche nous paraît la plus adéquate et fructueuse, non seulement pour l’étude du phénomène en général, mais aussi pour le but poursuivi par notre recherche.

2.3.1. L’approche psychologique de Katzenstein et Keohane

Dû à l’intérêt que suscite l’ouvrage de Katzenstein (et en particulier le chapitre de Katzenstein et Keohane) pour notre travail, nous croyons aussi pertinent que nécessaire d’en développer les détails ci-dessous. Sur la base et du point de vue de ceux-ci, nous expliquerons brièvement dans la sous- section suivante (2.3.2) les approches d’autres auteurs à la question de l’antiaméricanisme.

Pour Katzenstein et Keohane, l’antiaméricanisme est avant tout une inclination ou « tendance psychologique » consistant à « avoir des visions négatives sur les États-Unis et sur la société

33 Charles KRAUTHAMMER, « To Hell With Sympathy », op. cit.

34 Reuven PAZ, « Islamists and Anti-Americanism », in Middle East Review of International Affairs, 2003, Vol. 7, No. 4, pp. 53–61.

35 Lisa BLAYDES, Drew A. LINZER, « Elite Competition, Religiosity, and Anti-Americanism in the Islamic World », op. cit., p. 225.

36 Hamid H. KIZILBASH, « Anti-Americanism in Pakistan », in The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science 1988, Vol. 497, No. 1, pp. 58–67. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1177/0002716288497001005

37 Pour plus de détails sur des considérations méthodologiques, voir le chapitre 3 de cette étude.

38 Peter J. KATZENSTEIN, Anti-Americanisms in world politics, Ithaca, Cornell University Press, 2007.

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américaine en général »39. Si cette définition est certes vague, une analyse psychologique en dévoile ses complexités.

L’antiaméricanisme peut être considéré comme une attitude d’un sujet conscient, puisque celle-ci est formée par une dimension affective et cognitive qui crée une disposition à agir d’une certaine manière face à un certain stimulus40. Il devient donc nécessaire de distinguer des concepts comme « opinion »,

« méfiance », « biais », « schéma » ou « émotion ».

D’abord, dans le jargon psychologique, un schéma représente une « structure cognitive »41, c’est-à- dire, un mécanisme de compréhension de la réalité qui nous entoure en tant que sujets conscients.

Cette structure cognitive a pour mission de réaliser, extraire ou relier des « analogies, symboles, métaphores, narratives de certains événements et de développements historiques généraux »42. Ainsi, être « schématique » signifie avoir les outils cognitifs pertinents afin de pouvoir comprendre ce qui nous entoure. Mais nos raisonnements, étant basés sur nos schémas, seront objectifs ou biaisés en fonction des connaissances et des connexions que nous permettront nos schémas. Autrement dit, si nos schémas sont basés sur une « vision cohérente » et une « interprétation raisonnable » des faits à notre disposition43, alors nos jugements seront à priori objectifs. Par contre, si nos schémas deviennent enracinés ou ancrés dans l’immobilisme, ils vont créer des jugements systématiquement biaisés. Dans le cas des États-Unis, des schémas biaisés vont encourager tout individu à critiquer les États-Unis tant pour ce qu’ils font que pour ce qu’ils sont.

Les auteurs Katzenstein et Keohane conceptualisent la tendance psychologique qu’est l’antiaméricanisme autour de deux composantes principales : la composante émotionnelle et la composante normative44. La première concerne l’intensité des affirmations négatives exprimées, un facteur difficile à constater si ce n’est que par l’analyse sociopsychologique du sujet.

Plus importante et pertinente pour notre étude est la deuxième composante, la composante normative. Dans ce sens, l’attitude de l’antiaméricanisme doit être analysée par ce qu’elle explicite à travers les critiques émises par les sujets, mais aussi par ce qui reste implicite. En effet, les messages antiaméricains disent tant voire plus de celui qui les vocalise que de celui vers lequel ils sont dirigés45. Ainsi l’antiaméricanisme devient-il un outil aidant à la création d’une identité46 qui, autrement, peinerait à émerger.

Compte tenu que le phénomène de l’antiaméricanisme se profile dans la littérature académique comme un outil à usage identitaire contre l’Amérique et que notre recherche vise à en décrire les

39 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », in Anti-Americanisms in World Politics, in Peter J. KATZENSTEIN, (ed), Anti-Americanisms in World Politics, Ithaca, Cornell University Press, 2007, p. 12. Disponible à l’adresse:

https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.ctt7zc83.5

40 Yaacov VERTZBERGER, The World in Their Minds : Information Processing, Cognition, and Perception in Foreign Policy Decisionmaking, Stanford, Stanford University Press, 1990, p. 127.

41 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., p. 12.

42 Susan T. FISKE, Shelley E. TAYLOR, Social Cognition, New York, McGraw-Hill, 1991, p. 98; Deborah W.

LARSON, Origins of Containment: A Psychological Explanation, Princeton, Princeton University Press, 1985, pp.

50–57; Ziva KUNDA, Social Cognition: Making Sense of People, Cambridge Massachusetts, The Massachusetts Institute of Technology Press, 1999, cité dans Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., pp. 12–13.

43 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., p. 13.

44 Ibid.

45 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., p. 89.

46 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., p. 13.

(16)

contours et à déterminer l’existence d’une convergence des visions critiques envers les États-Unis entre les deux pays d’étude, il y a lieu d’explorer en détail les affirmations énoncées dans les paragraphes ci-dessus.

2.3.1.1. L’antiaméricanisme comme créateur d’une identité collective

Depuis longtemps, les chercheurs en sciences sociales ont convenu que l’identité, tant individuelle que collective, est un construit social47 qui se fait par l’opposition du self (le « moi » ou le « nous ») au other (l’autre, le « lui » ou l’« eux » 48). Autrement dit, ce qu’un individu comprend comme caractéristique de son identité est en réalité créé en comparaison avec un autre individu perçu comme étant différent du premier sujet en question. Par conséquent, la création d’une identité personnelle est en fait la détermination, la catégorisation et, plus simplement, la définition de l’autre.

Ce processus d’altérité (ou, peut-être plus fréquemment en anglais, othering49) se trouve au cœur de l’antiaméricanisme. En effet, le sujet antiaméricain doit signaler les aspects de la culture et la société américaine qui lui déplaisent pour, ensuite, se définir lui-même en contraposition à ces caractéristiques.

Ce qui est encore plus frappant est que l’individu (ou la société de manière collective) choisit subjectivement les traits qui caractérisent l’autre, dans notre cas, l’Amérique. Cependant, il est intéressant de constater que, dans le cas de l’antiaméricanisme50, l’individu attribue ses propres traits considérés négatifs par lui-même à l’Amérique. C’est ce que Beyer et Liebe appellent pathic projection : l’individu projette sur les États-Unis les défauts qui le caractérisent lui-même51. L’Amérique devient donc source de tous les maux, dont souvent le matérialisme, l’individualisme et l’hédonisme52. Dans un deuxième temps, l’individu (et, par extension, la société collectivement) attache cognitivement à cet objet externe identifié comme source de tous les maux (dans notre cas, les États- Unis) toute une série de phénomènes qui sont associés directement avec les traits dénoncés comme le capitalisme. À mode d’illustration, si les États-Unis reçoivent l’étiquette de « capitalistes », d’autres phénomènes comme la globalisation l’accompagneront, même si ces derniers ne sont

47 L’identité en tant que construit social est le sujet d’étude de plusieurs disciplines sociales. Voir, à cet égard, David CAMPBELL, Writing Security: United States Foreign Policy and the Politics of Identity, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1992; Erik H. ERIKSON, Identity: Youth and Crisis, New York, W. W. Norton, 1994; Lev S. VYGOTSKY, Mind in Society: The Development of Higher Psychological Processes, Cambridge Massachusetts, Harvard University Press, 1978; pour une approche de politique comparée, voir Donald L. HOROWITZ, Ethnic Groups in Conflict, Berkeley, University of California Press, 1985; Anthony D. SMITH, National Identity, Reno, University of Nevada Press, 1991; Francis M. DENG, War of Visions: Conflict of Identities in the Sudan, Washington D.C., Brookings Institution Press, 1995; pour une approche basée sur les relations internationales, voir Alexander WENDT, « Anarchy is what States Make of it: The Social Construction of Power Politics », in International Organization, 1992, Vol. 46, No. 2, pp. 391–425. Disponible à l’adresse:

https://www.jstor.org/stable/2706858; Peter KATZENSTEIN, The Culture of National Security, New York, Columbia University Press, 1996; Thomas J. BIERSTEKER, Cynthia WEBER, State Sovereignty as Social Construct, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.

48 Joane NAGEL, « Constructing Ethnicity: Creating and Recreating Ethnic Identity and Culture », in Social Problems, 1994, Vol. 41, No. 1, pp. 152–176. Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.2307/3096847; Dan P.

MCADAMS, (et al.), Identity And Story: Creating Self in Narrative, Washington D.C., American Psychological Association, 2006.

49 Anna TRIANDAFYLLIDOU, Immigrants and National Identity in Europe, London, New York, Routledge, 2001, p. 5.

50 Les auteurs ne limitent pas le concept de pathic projection au sujet de leur étude, qui est aussi le nôtre (l’antiaméricanisme). Ce concept fut initialement appliqué par Horkheimer et Adorno (1947) au phénomène de l’antisémitisme. À cet égard, voir Max HORKHEIMER, Theodor W. ADORNO, Dialectic of Enlightment:

Philosophical Fragments, Stanford, Stanford University Press, 1947.

51 Heiko BEYER, Ulf LIEBE, « Anti-Americanism in Europe: Theoretical Mechanisms and Empirical Evidence », in European Sociological Review, 2014, Vol. 30, No. 1, p. 95. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1093/esr/jct024

52 Ibid., p. 91.

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qu’indirectement liés aux États-Unis. Autrement dit, l’individu relie ou regroupe des phénomènes qui n’ont vraisemblablement qu’une relation partielle avec les États-Unis dû aux caractéristiques qu’il leur a attribué moyennant le processus de pathic projection.

Figure 1. Schéma de l’antiaméricain réalisé par nos soins.

En utilisant le vocabulaire précédent, nous sommes ici en présence d’un schéma antiaméricain qui offre à l’individu un cadre ou une structure cognitive à partir de laquelle il peut réduire la complexité de la réalité sociale qui l’entoure ; c’est ce que la psychologie appelle une « réduction de la dissonance cognitive »53. Ainsi est-il logiquement plus facile de comprendre les phénomènes comme la globalisation si nous les attachons d’abord au capitalisme d’aujourd’hui, qui, par la suite, est modelé afin d’être complètement attribué aux États-Unis. La conséquence en est que les individus utilisant ce cadre cognitif (ou schéma) considèreront dorénavant que les États-Unis sont à blâmer pour tous les maux dont souffrent leurs propres sociétés. Le cadre cognitif poussera ainsi à des comportements déterminés54, soit passifs (critiques verbales) soit actifs (boycott économique, violence), chez ces individus.

Nous ne sommes pas en train d’affirmer ci-dessus que les États-Unis sont innocents de tous les événements qui se succèdent à présent sur la scène internationale et dans nos sociétés nationales actuelles. Nous ne soutenons pas non plus le contraire. Ce que nous retenons des réflexions précédentes n’est pas le contenu des propositions des antiaméricains, mais le fonctionnement de leur raisonnement pour en arriver à de telles conclusions.

Quoi qu’il en soit, ce qui ressort de l’analyse au niveau individuel est que la création de l’identité se fait par opposition au sujet même. Lorsque cela se reproduit au niveau de la société, les individus compris dans celle-ci nouent des liens plus forts en opposition à l’entité nommée « l’autre » ; l’opposition collective à l’autre agit comme « colle sociale »55. Cela constitue l’identité sociale qui, si elle coïncide avec les limites d’une nation, sera typiquement appelée « identité nationale ». C’est cette sorte de construction sociale qui caractérise les processus d’identification, présents tant dans le nationalisme que dans l’antiaméricanisme.

53 Ibid., mais initialement dans Leon FESTINGER, A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford, Stanford University Press, 1957.

54 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., p. 13.

55 Ibid.

(18)

2.3.1.2. L’opinion, la méfiance et le biais

Comme nous l’avons mentionné, si un schéma, comme celui de l’antiaméricain, s’enracine fortement, il risque de devenir biaisé de manière systématique56. Peu importe ce que l’Amérique fasse, dise, représente ou devienne ; l’antiaméricain agira toujours à l’encontre des États-Unis. L’opinion négative que l’individu a sur les États-Unis devient plus fixe et plus radicale selon le degré d’intensité que lui suscite l’entité perçue comme externe, étrangère ou, simplement, différente.

Deux ouvrages illustrent des concepts clés pour comprendre l’antiaméricanisme au stade où nous sommes maintenant. Katzenstein et Keohane font la première contribution à cet égard en disposant sur un continuum l’opinion, la méfiance (distrust) et le biais. Ces concepts sont cruciaux non seulement pour en proposer une conceptualisation adéquate, mais aussi car ils seront mobilisés dans notre partie empirique, où nous analyserons des articles de presse en utilisant ces termes. Assurément, la compréhension de ces concepts nous permettra de valider ou réfuter les hypothèses explicitées dans l’introduction (chapitre 1) et dans la partie méthodologique (chapitre 3).

Nous pouvons considérer qu’une opinion est un jugement sur un individu, un phénomène, un objet, etc., qui est construite par l’individu selon ses conditions sociologiques, cognitives et émotionnelles.

Une opinion n’est pas fixe, dans la mesure où peuvent s’opérer des changements de ces conditions sociologiques, cognitives ou émotionnelles57. Autrement dit, les opinions changent au fur et à mesure que l’individu change de couche sociale, rencontre d’autres individus avec des valeurs différentes, reçoit une certaine forme d’éducation académique, ou entend des idées persuasives de la part d’autres individus58.

Selon Katzenstein et Keohane, les opinions peuvent pourtant s’enraciner profondément59. Selon l’intensité de ces « opinions fixes », les auteurs les considèrent distrust (méfiance) ou biais. Dans tous les cas, une opinion fixe génère des prédispositions à traiter la nouvelle information acquise de manière particulière. Nous citons ci-dessous le tableau de Katzenstein et Keohane et nous élaborons ensuite la vision en continuum que les auteurs soutiennent.

Degré d’ouverture à plus

d’information Attribution de l’information

à l’essence de l’Amérique Attribution de l’information à des facteurs situationnels

Bas Biais —

Moyen Méfiance forte Méfiance modérée

Élevé — Opinion

(pas de prédisposition) Figure 2. Classification de Katzenstein et Keohane selon l’ouverture à l’information et l’attribution de celle-ci.

Élaboration modifiée par nos soins et traduite de Katzenstein et Keohane60.

56 Ibid., p. 19.

57 Irving L. JANIS, Bert T. KING, « The influence of role playing on opinion change », in The Journal of Abnormal and Social Psychology, 1955, Vol. 49, No. 2, pp. 211–218. Disponible à l’adresse:

https://doi.org/10.1037/h0056957

58 Irving B. WEINER, Handbook of Psychology, Research Methods in Psychology, Hoboken New Jersey, John Wiley &

Sons, 2003.

59 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., p. 21.

60 Ibid., p. 22.

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Figure 3. Continuum de la classification établie par Katzenstein et Keohane.

Élaboration par nos soins.

Comme nous pouvons le constater, au fur et à mesure que la prédisposition à critiquer les États-Unis augmente, moindre est la quantité d’information requise pour émettre ces jugements critiques61. Les personnes avec une prédisposition très élevée sont celles qui attribuent les actions et les événements négatifs à l’entité appelée « États-Unis », souvent sans la définir précisément62. Dans ce cas, nous parlons de « biais », puisque les jugements n’ont presque pas besoin d’information pour être exprimés et ils sont le produit d’une opinion enracinée fortement émotive, comme le montrera Mercer63. Par contre, il est possible de trouver des opinions qui sont relativement ouvertes à analyser l’information nouvelle reçue ; en même temps, ces opinions peuvent attribuer des actions et des événements négatifs soit à la situation dans sa dimension concrète (espace où se trouvent aussi les États-Unis) soit aux caractéristiques intrinsèques des États-Unis. Dans le premier cas, Katzenstein et Keohane parlent de méfiance modérée et, dans le deuxième, de méfiance forte. De toute façon, ce qui est crucial est de réaliser que la prédisposition à critiquer les États-Unis augmente au même temps que le besoin d’information diminue64.

De ces réflexions il faut en extraire que ce que nous entendons par « l’antiaméricain » est une personne systématiquement biaisée, porteuse d’une tendance psychologique ou une prédisposition qui l’encourage à émettre des jugements négatifs sur l’Amérique en tant qu’entité et non pas en tant qu’acteur.

61 Ibid., p. 21.

62 Sergio FABBRINI, « The Domestic Sources of European Anti-Americanism », in Government and Opposition, 2002, Vol. 37, No. 1, pp. 3–14. Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.1111/1477-7053.00084

63 Jonathan MERCER, « Emotional Beliefs », in International Organization, 2010, Vol. 64, No. 1, pp. 1–31.

Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.1017/S0020818309990221

64 Nous sommes conscients que ceci peut être contesté. En effet, les jugements antiaméricains peuvent parfois être des jugements basés sur des faits, des données et de l’information. Autrement dit, nous pouvons être systématiquement contre une entité sans pour autant être biaisés. Ceci est en lien direct avec notre partie 3.1.2 et peut ouvrir la porte à des discussions méthodologiques intéressantes sur l’analyse de phénomènes ou attitudes psychologiques.

(20)

Dans notre recherche, dans les cas où un type d’antiaméricanisme serait détecté, les notions d’« opinion », « méfiance » et surtout celle de « biais » seront mobilisées pour classifier le message des articles de presse sélectionnés. En effet, dans les articles de presse concernant l’Amérique, l’auteur fait-il preuve de rigueur intellectuelle en citant ou en mobilisant des arguments de la littérature académique ou des données officielles, ou, au contraire, se limite-t-il à donner une opinion basée sur la construction d’un « autre » qui n’est défini qu’à travers des stéréotypes et images préconçues ? Autrement dit, l’auteur a-t-il des opinions ou des biais ? C’est dans cette optique que les concepts nous seront utiles et mobilisables lors de l’analyse empirique.

2.3.1.3. L’antiaméricanisme : une opinion émotionnelle

Suivant les réflexions de Katzenstein et Keohane, Mercer confirme que le schéma de l’antiaméricain est une question de degré et fait une précision en ajoutant un terme qui nous paraît intéressant pour notre recherche et pour notre partie empirique. Pour ce psychologue, qui ne traite pas explicitement l’antiaméricanisme, ce phénomène constitue une opinion émotionnelle (emotional belief) puisque l’émotion, au même titre que la cognition, « constitue et renforce une opinion » ce qui permet à l’individu d’effectuer des généralisations sur un acteur (comme les États-Unis) tout en brandissant sa profonde conviction sans pour autant avoir de preuves contrastées65.

Depuis cette perspective, une analogie peut s’opérer entre l’antiaméricanisme et le nationalisme. Sans rentrer dans des considérations théoriques qui ne constituent pas l’objet principal du présent travail, le nationalisme fait usage de la même rationalité et des mêmes mécanismes de production d’identité sociale discutés ci-dessus. Bien évidemment, les structures cognitives de l’individu perçoivent et interprètent un entourage, un discours, mais l’individu ne peut pas se détacher de sa partie émotionnelle ; autrement dit, cognition et émotion agissent simultanément, et donc l’émotion n’est pas postérieure à la compréhension du phénomène. L’émotion joue un rôle important puisqu’elle

« ajoute de la valeur et saisit une manière distincte d’interpréter une situation »66. En effet, si l’individu avait déjà un point de vue sur une question (i.e. si l’individu avait déjà une opinion sur ce sujet), l’émotion créée peut ancrer cette opinion d’une certaine façon et peut, plus dangereusement, annuler l’esprit véritablement critique et le besoin d’information que tout jugement informé nécessite.

Comme l’émotion dépend de la situation et des circonstances personnelles, l’antiaméricanisme sera forcément multidimensionnel et hétérogène67 : certains individus antiaméricains rejetteront l’Amérique pour certaines raisons (mais pas d’autres) et le degré d’antiaméricanisme qu’ils exprimeront variera de celui exprimé par d’autres individus ou sociétés. L’antiaméricanisme n’est pas un bloc monolithique et constitue un phénomène dynamique par essence68.

Ainsi pouvons-nous affirmer que l’antiaméricanisme est une tendance psychologique fortement émotionnelle à être biaisée de manière systématique, qui varie selon l’expérience et les circonstances d’un individu (ou d’une société). L’individu émet des opinions émotionnelles, enracinées, fixes sans nul besoin de contraster ses informations : « l’Amérique est à blâmer parce qu’elle est la globalisation, elle est individualiste, et parce qu’elle agit en conséquence ».

Plus exactement, le concept d’opinion émotionnelle précise la nature du concept du biais de Katzenstein et Keohane. Cette conceptualisation et caractérisation du biais est donc importante et sera mobilisée lors de notre analyse empirique des articles de presse dans les cas où un type d’antiaméricanisme sera détecté.

65 Ibid.

66 Karen JONES, « Trust as an Affective Attitude », in Ethics, 1996, Vol. 107, No. 1, pp. 4–25. Disponible à l’adresse: https://www.jstor.org/stable/2382241, cité dans Jonathan MERCER, « Emotional Beliefs », op. cit., p. 6.

67 Peter J. KATZENSTEIN, Robert O. KEOHANE, « Varieties of Anti-Americanism: A Framework for Analysis », op. cit., p. 16.

68 Giacomo CHIOZZA, Anti-Americanism and the American World Order, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2009.

(21)

2.3.2. Approches psychologiques précédentes et postérieures à celle de Katzenstein et Keohane

L’approche psychologique nous montre comment fonctionne la mentalité (mindset) d’un antiaméricain (et de ceux qui ne le sont pas). Dans une certaine mesure, il combine les critiques à ce que l’Amérique fait et à ce que l’Amérique est, comme nous l’avons vu. D’autres auteurs sur cette question, antérieurs et postérieurs à Katzenstein et Keohane, ont contribué à la recherche. Même si certains ont publié leurs travaux avant celui de Katzenstein et Keohane, il ne convient de les exposer que maintenant, après l’explication en détail de ces deux auteurs. Cela est ainsi parce que, comme nous le verrons, ces auteurs ne se réfèrent pas explicitement à la psychologie et, donc, nous croyons qu’ils ne justifient pas suffisamment leurs arguments. Pourtant, ils font allusion aux notions mobilisées postérieurement par Katzenstein et Keohane et, par conséquent, ils nous servent à compléter notre revue de la littérature sur le sujet et à fournir au lecteur une image complète des débats concernant l’antiaméricanisme.

Tout d’abord, Toinet parle d’une « réaction allergique »69 aux États-Unis à cause de ce qu’ils sont.

Évidemment, souligne-t-elle, les États-Unis ne sont à aucun moment définis de manière précise. Sans le mentionner, Toinet parle du biais de Katzenstein et Keohane, cette sorte d’opposition systématique contre l’Amérique.

Un autre auteur très connu sur la question de l’antiaméricanisme est Paul Hollander qui, en 1992, publie un ouvrage sur la question. Dans celui-ci il définit l’antiaméricanisme comme « une prédisposition à l’hostilité envers les États-Unis et leur société américaine, les institutions politiques, économiques et sociales, en plus des valeurs et des traditions américaines »70. C’est une « aversion viscérale, diffuse et largement irrationnelle »71. Même s’il mentionne ces termes psychologiques, il ne les définit pourtant pas. Qu’est-ce qu’une aversion irrationnelle ? Comme nous l’avons vu, une opinion peut avoir un degré émotionnel élevé. Est-ce que cela la fait devenir irrationnelle ? Selon Mercer, et nous y souscrivons, pas vraiment. Le fait qu’une opinion soit ancrée dans une émotion n’est pas irrationnel ; en fait, se détacher de toute émotion, si cela était possible, amènerait à des comportements irrationnels72. Il faut donc se méfier de ce genre d’adjectifs collés à l’antiaméricanisme, puisqu’ils servent par la suite à des discours politiques73. Comme l’indique O’Connor, Hollander caractérise, par le biais de cet adjectif et d’autres considérations définitoires, l’antiaméricanisme comme une position irrationnelle largement adoptée par la gauche américaine et internationale qui serait à ignorer74.

De toute façon, Hollander ne se trompe pas en parlant de « prédisposition à l’hostilité », encore une fois, vocabulaire repris par Katzenstein et Keohane. Il parle aussi d’un rejet de la politique étrangère américaine75. Smith et Wertman reprennent ces arguments et constatent que même si l’antiaméricanisme se base sur l’essence attribuée à l’entité (i.e. les États-Unis), selon le type et les effets des politiques étrangères américaines, cela peut encourager la visibilité et le degré d’antiaméricanisme sur la planète76.

69 Marie-France TOINET, « Does Anti-Americanism Exist? », in Denis LACORNE, (et al.), (ed), The Rise and Fall of Anti-Americanism, Basingstoke, Macmillan, 1990.

70 Paul HOLLANDER, Anti-Americanism: Critiques at Home and Abroad, 1965-1990, New York, Oxford University Press, 1992.

71 Ibid., pp. 334–335.

72 Jonathan MERCER, « Emotional Beliefs », op. cit., p. 6.

73 Peter KILFOYLE, « US and Them », The Guardian, US news, 18 novembre 2003. Disponible à l’adresse:

https://www.theguardian.com/world/2003/nov/18/usa.foreignpolicy

74 Brendon O’CONNOR, « A Brief History of Anti-Americanism: from Cultural Criticism to Terrorism », op.

cit., p. 83.

75 Paul HOLLANDER, Anti-Americanism: Critiques at Home and Abroad, 1965-1990, op. cit., pp. 334–335.

76 Steven K. SMITH, Douglas A. WERTMAN, « Redefining U.S.-West European Relations in the 1990s: West European Public Opinion in the Post-Cold War Era », in PS: Political Science & Politics, 1992, Vol. 25, No. 2, pp.

188–195. Disponible à l’adresse: https://doi.org/10.2307/419706

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