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Cadrage théorique : complexité et approche écologique en éducation à la santé

Dans le document Éducation à la santé et complexité (Page 29-33)

entre simplification et complexité : Recherche, Formation et Intervention

2. Cadrage théorique : complexité et approche écologique en éducation à la santé

Les interventions en éducation à la santé, comme toute pratique professionnelle, procèdent à un choix d’objectifs, de méthodes et de moyens parmi un ensemble d’options (Jourdan (dir.), 2004). Ces choix ne sont pas neutres. Ils sont influencés par le mode d’explication que l’on a des situations auxquelles on est confronté, et des points de vue professionnel et personnel (Deccache & Meremans, 2000). Dans la littérature, deux types de modèles en éducation à la santé sont proposés : les modèles construits à partir d’une approche anthropologique visant

à donner du sens aux pratiques, et les modèles fondés sur des théories psychologiques centrées sur les changements de comportements (Jourdan & Berger, 2005). Selon Fortin (2004), ces modèles s’inscrivent dans quatre paradigmes éducationnels : le paradigme rationnel, le paradigme humaniste, le paradigme de la dialectique sociale et le paradigme écologique (Jourdan (dir.), 2004 ; Jourdan, 2010). L’éducation à la santé

selon le paradigme rationnel ou biomédical est limitée à la transmission

linéaire des connaissances en matière de santé. Selon le paradigme

humaniste, cette forme d’éducation à la santé tient compte, en plus des objectifs cognitifs, des désirs, des émotions et des perceptions de la personne. Alors que d’après le paradigme de la dialectique sociale,

l’éducation à la santé s’intéresse à l’interaction entre l’homme et la société ; en contrepartie, l’éducation à la santé selon le paradigme écologique, s’intéresse à la personne dans sa globalité et également à ses interrelations avec son environnement. Le paradigme écologique s’inspire du modèle environnementaliste d’analyse du développement humain, en particulier du développement des relations « parents-enfants », systématisé par le psychologue développementaliste Urie Bronfenbrenner (1979) (Massé, 1990). Ce paradigme considère que le sujet construit son environnement qui, par voie de retour, influe sur la construction du sujet lui-même (Ibid.). « L’écologie est la science qui a pour objet l’étude des interrelations établies entre les organismes vivants et leur milieu biotique (vivant) et non biotique (non vivant), on conçoit que cette approche est de nature systémique. »(Jourdan (dir.), 2004, p. 63). Le paradigme écologique de la santé s’articule parfaitement avec les principes de la complexité tels qu’énoncés par Edgar Morin (1999).

2.1. L’éducation à la santé et les principes de la complexité

Selon Edgar Morin (1999), la pensée complexe est une pensée qui relie, elle aspire à la connaissance multidimensionnelle. La complexité porte aussi, en son principe, la reconnaissance des liens entre les entités que notre pensée doit nécessairement distinguer, mais non isoler les unes des autres. C’est le sens le plus proche du terme « complexus » (ce qui est tissé ensemble). De la sorte, la pensée complexe considère l’objet d’étude comme un système dans son ensemble, et procède par des navettes entre analyse/séparation et synthèse/reliance (Morin, 1999). Elle est constamment animée par une tension entre l’aspiration à un

savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur, et la reconnaissance de l’inachèvement et de l’incomplétude de toute connaissance.

A son tour, la démarche écologique en éducation à la santé considère le sujet en situation, en d’autres termes, faisant partie d’un ou de plusieurs systèmes. Elle convoite le développement des capacités de résolution de problèmes de la vie courante et des aptitudes d’adaptation aux changements de la vie. En pratique, cette démarche écarte le risque de figer l’individu, le groupe ou le système sous une étiquette simpliste et réductrice, comme par exemple l’identité sexuelle, le groupe des toxicomanes, etc., parce qu’elle considère tous les facteurs internes et externes qui pourraient agir sur leur santé et sur leur mode de vie. En effet, l’expérience en éducation à la santé a prouvé que l’isolement du sujet de son environnement physique, psychique et social qui influence le développement de sa personne et de ses choix dans la vie pourrait induire l’échec des interventions dans ce domaine. Par conséquent, la tendance actuelle en éducation à la santé est de concevoir des projets interdisciplinaires et intégrateurs, au croisement des disciplines. Eduquer à la santé selon les principes de la complexité implique donc la reconnaissance de la diversité dans une même personne, mais aussi la relativité, l’altérité, les incertitudes, les ambiguïtés, les dualités, les scissions, les antagonismes, etc.

Dans son entretien avec Nelson Valejo-Gomez (2008), Morin rappelle les sept principes d’une pensée complexe qui relie. Ces principes sont complémentaires et interdépendants. Nous les présentons dans ce qui suit tout en les reliant à l’éducation à la santé :

• Le principe de la boucle rétroactive permet de briser la causalité linéaire en faisant concevoir le paradoxe d’un système causal dont l’effet retentit sur la cause et la modifie = causalité en boucle. La régulation des hormones sexuelles par des feed-back positifs et négatifs pourrait constituer un exemple simpliste de boucle rétroactive.

• Le principe de la boucle récursive dépasse la notion de régularisation vers celle d’autoproduction et d’auto-organisation.

Nous sommes le produit d’un processus sexuel, mais nous en sommes en même temps des producteurs, puisque le processus continue.

De la sorte, le phénomène, le comportement ou le sujet étudiés peuvent être considérés comme une organisation active produisant les éléments et engendrant les effets qui sont nécessaires à leur propre génération ou existence. En effet, les troubles psychiques et

les manifestations de dépendance dans le cas de l’addiction à la drogue, à l’alimentation, au tabac, à l’autre… sont des symptômes, des solutions et sont en même temps nécessaires à la génération des troubles psychiques ré-générateurs de la dépendance.

• Le principe dialogique relie des thèmes antagonistes, qui semblent à la limite contradictoires « unidualité, unitas

multiplex ». Ce principe unit deux concepts devant s’exclure

l’un l’autre, mais qui sont indissociables en une même réalité.

La structure du cerveau humain en forme un exemple : elle témoigne de la complexité humaine qui intègre l’animalité (mésocéphale des mammifères et paléocéphale reptilien) dans l’humanité et l’humanité dans l’animalité (Favre, 2010).

• Le principe d’auto-éco-organisation (autonomie - dépendance) permet de s’autoproduire et de s’auto-organiser en dépensant et en puisant de l’énergie, de l’information et de l’organisation grâce à l’interaction avec l’environnement. En effet, selon les

théories de l’évolution, l’évolution de toute espèce vivante est le résultat des interactions entre facteurs génétiques et environnementaux internes et externes.

• Le principe systémique ou organisationnel relie la connaissance des parties à la connaissance du tout. Ce principe considère que toute organisation fait apparaître des qualités nouvelles, qui n’existaient pas dans les parties isolées, et qui sont les émergences

organisationnelles. Ainsi, la santé d’un être humain ne se limite

pas au bon fonctionnement des systèmes physiologiques, elle concerne également son état psychique et les interactions avec son environnement. De même, le fonctionnement du cerveau humain présente une « émergence cérébrale » qui dépasse la somme des fonctionnalités des neurones qui le constituent.

Le principe hologrammique considère que l’information de la

partie est dans le tout et que l’information du tout est à l’intérieur des parties. En effet, chaque cellule contient la totalité du

patrimoine génétique d’un organisme polycellulaire. De même, la société en tant que tout est présente à l’intérieur de chaque individu dans son langage, son savoir, ses obligations, ses normes.

Après avoir explicité les liens qui existent entre l’approche écologique de l’éducation à la santé et la théorie de la complexité, nous présenterons dans ce qui suit des exemples d’application des principes de la complexité aux niveaux de la recherche, de la formation des acteurs de l’éducation, et des interventions éducatives en éducation à la santé.

Dans le document Éducation à la santé et complexité (Page 29-33)