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5 Le « business du partenariat » : stratégies juvéniles de valorisation

Dans le document Organisations et Territoires (Page 42-47)

du foncier

La situation du foncier est contrastée dans le delta du Saloum. L’accès des jeunes à la terre n’est pas uniforme selon qu’on est dans la partie insulaire ou continentale ou en fonction du groupe ethnique dominant. Diverses stratégies de valorisation du fon- cier peuvent être notées chez les jeunes. La plus notable reste le modèle du partenariat d’affaires avec un expatrié occidental qui apporte des capitaux et le jeune du delta la terre. De l’avis d’un jeune du village de Dionewar qui a été l’un des pionniers de ce type de collaboration, il a réussi à constituer un groupement d’intérêt économique (GIE) avec quatre autres de ses pairs. Ils ont effectué les démarches auprès du conseil rural pour l’enregistrement formel de leur structure jusqu’à l’obtention de leur agrément auprès de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Fatick. Ensuite, ils ont élaboré un projet de dévelop- pement de l’apiculture en collaboration avec un Fran- çais qui venait séjourner régulièrement à Dionewar et avec qui ils avaient développé des affinités et une relation de confiance. Ce dernier possédait des com- pétences et avait un intérêt pour l’apiculture. Sitôt le projet élaboré, les jeunes ont introduit auprès du conseil rural9 une demande d’attribution d’une par-

celle qui a été acceptée du fait du caractère original du projet et de ses retombées socio-économiques. Sitôt la parcelle attribuée, ils l’ont présentée comme leur apport dans le modèle d’affaires conclu avec le Fran- çais qui a apporté l’argent nécessaire pour ériger un bâtiment composé d’un bloc d’habitations et d’un autre utilisé pour la miellerie. Le premier bloc est uti- lisé comme logement par le Français pendant ses séjours à Dionewar. En son absence, le bâtiment est rentabilisé par les jeunes à travers un système de loca- tion courte durée pour des touristes et des visiteurs. Ce modèle de partenariat a fait tache d’huile auprès des jeunes de Dionewar d’où la multiplication de pro- jets similaires. Certains se sont associés avec leur conjoint(e), d’autres avec des touristes occidentaux réguliers pour édifier des campements comme loge- ment personnel ou locatif. Chez les Occidentaux, les motivations tournent autour de raisons humanitaires et compassionnelles (soutien à de jeunes désœuvrés dans des territoires pauvres), de confort personnel, voire pécuniaires (disposer d’un pied à terre pendant les vacances).

Ainsi, 8 à 12 projets de campements touristiques ont été réalisés à Dionewar dans le cadre de partenariats entre Français qui viennent régulièrement dans les îles et jeunes du village. Le développement de telles initia- tives à Dionewar n’est pas surprenant. Ce village pré- sente beaucoup d’attraits touristiques et a abrité un

lodge qui a joué un rôle socio-économique important

tout en contribuant au rayonnement du village. Il s’agit du delta Niominka, mais qui est cependant fermé depuis 201410. La plupart des projets de parte-

nariat portent sur les campements touristiques étant donné les besoins dans ce secteur.

Conclusion

Globalement, le delta du Saloum présente une singu- larité quant à l’accès au foncier. On est ici dans le con- texte d’une localité où les disponibilités foncières sont limitées par la configuration de l’écosystème. Néan- moins, les populations sont toujours arrivées à faire prévaloir des mécanismes de gestion ayant permis l’absence de conflits majeurs dans la zone contraire- ment à d’autres localités du Sénégal où les problèmes fonciers suscitent leur lot de tension, voire de vio- lence. Cela ne signifie pas que le phénomène de l’exclusion foncière est inconnu dans le delta du Saloum. Nous avons montré comment les jeunes y étaient exposés et les stratégies qu’ils mettent en place pour accéder à la terre tout comme les usages qu’ils en font pour rentabiliser les terres qui leur sont attri- buées. Si certains s’orientent vers une mise en valeur agricole, d’autres en font un usage marchand pour financer des projets d’autonomisation personnelle à travers l’émigration ou pour développer des relations d’affaires autour de projets touristiques.

Dans une localité où les revenus s’acquièrent pour l’essentiel à travers les activités agricoles, il est clair que l’accès à la terre représente une dimension fondamen- tale dans les dynamiques d’autonomisation socio- économique des jeunes. Dans les politiques pu- bliques, les jeunes ruraux n’ont pas encore attiré l’attention des décideurs à la mesure de l’intensité de leur précarité socioprofessionnelle inhérente à la situation de dépendance socio-économique dans laquelle la majorité d’entre eux est plongée. Dans le delta du Saloum, le chômage et le sous-emploi des jeunes sont des problèmes préoccupants à l’instar de la majorité des jeunes en milieu rural.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics semblent mesurer l’ampleur de ce défi. Cela s’est traduit par la mise en place d’initiatives prônant le retour vers l’agriculture

et la promotion des activités entrepreneuriales des jeunes ruraux au moyen de programmes comme les Domaines agricoles communautaires (DAC) et des projets de jeunes financés par l’Agence nationale pour l’insertion et le développement agricole (ANIDA) et l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (ANPEJ). Mais les jeunes rencontrés dans le delta du Saloum disent ne pas encore bénéficier de l’appui de ces programmes étatiques.

Globalement, les jeunes, malgré leur poids démogra- phique, continuent d’être en position de vulnérabilité

sur le plan foncier. Les prescriptions et les normes cul- turelles dominantes sont souvent à leur désavantage tout comme pour les femmes. Associé à d’autres fac- teurs socio-économiques comme l’étroitesse du mar- ché du travail en zone rurale et l’accès limité au crédit, le manque de contrôle sur le foncier est un obstacle rédhibitoire à l’autonomisation des jeunes. De ce fait, tout programme désireux de contribuer à la promo- tion socio-économique de ces jeunes devrait veiller à trouver les moyens d’adapter les modes de tenure coutumière et de contribuer à une plus grande équité générationnelle dans l’accès à la terre.

NOTES

1 Toubab désigne en langue wolof un Blanc. Ce terme restitue mieux la charge symbolique attachée à la personne blanche dans les imaginaires des populations locales pour qui toubab est synonyme de personne nantie et capable d’apporter des bienfaits (argent, opportunités économiques, projets de développement, savoir-faire) dans des zones où les populations soutiennent avoir des potentialités mais sans moyens (financiers, techniques et matériels) pour les exploiter.

2 Un projet de réforme de cette loi est en cours. Une Commission nationale de la réforme foncière (CNRF) a été mise sur pied en 2014 pour faire un diagnostic exhaustif de la situation foncière et formuler un ensemble de propositions pour « améliorer la gestion foncière pour répondre aux besoins de développement et de cohésion sociale » (repéré à www.cnrf.sn). Les pouvoirs publics semblent opter pour la prudence et la recherche du maximum de consensus étant donné le caractère hautement explosif des enjeux fonciers au Sénégal. La CNRF a débouché sur un document de politique foncière toujours en attente d’être officiellement validé et mis en œuvre par les pouvoirs publics.

3 Le Sénégal a connu depuis son indépendance plusieurs réformes majeures dans le cadre de la décentralisation. On est aujourd’hui dans la troisième phase surnommée Acte 3 de la décentralisation qui consacre le département comme collectivité locale et une communalisation intégrale. Il y a eu en 1996 une réforme majeure qui a conduit à la naissance des régions et au transfert de neuf domaines de compétence par l’État vers les collectivités locales (conseils ruraux, communes) et celle de 1972 qui a donné naissance aux communautés rurales.

4 Les lois et décrets relatifs à la gestion environnementale ont été étudiés et interprétés article par article dans le but de faire ressortir les éléments qui nous renseignaient le mieux sur l’application des règlements dans les aires protégées.

5 Pour plus de détails, voir : http://www.au-senegal.com/IMG/pdf/snarga_loi_nc991.pdf, repéré le 03 septembre 2018. 6 Voir http://www.servicepublic.gouv.sn/assets/textes/loi-transfert-region.pdf, repéré le 3 septembre 2018.

7 Version intégrale de la Loi à l’adresse http://www.jo.gouv.sn/spip.php?article10120, repéré le 20 juin 2018.

8 http://www.droit-afrique.com/upload/doc/senegal/Senegal-Code-1998-forestier.pdf, repéré le 30 août 2018. Un nouveau Code forestier a été adopté le 24 janvier 2018 par le Conseil des ministres. Les principales nouveautés sont dans le durcissement des peines pour les infractions liées à l’exploitation forestière.

9 La communalisation intégrale qui est entrée en vigueur en 2013 avec ce qui est communément appelé l’Acte 3 de la

décentralisation a consacré la disparition du conseil rural qui était jusqu’alors l’organe doté de la compétence foncière à l’échelle des communautés rurales.

10 Les propriétaires du delta Niominka ont invoqué diverses raisons pour justifier sa fermeture : le coût élevé des charges (cherté des taxes touristiques), le coût élevé d’approvisionnement en eau et en électricité, l’accès difficile à la zone reliée à l’époque à la ville de Joal par une route cahoteuse en latérite, la baisse des fréquentations consécutive, entre autres, à l’instauration d’un visa d’entrée au Sénégal et à l’épidémie d’Ebola.

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