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Bruno Blanckeman

Université de Rennes II

Assisterait-on en matière de fiction à un renversement de tendances — un effacement de latentation autoscopiquepar laquelle le roman français s’est naguère défini comme moderne, au profit d’une tension hétérosco-piquepar laquelle il retrouverait, depuis un quart de siècle, les voies de la Cité ? La réponse mérite d’être nuancée. Même en ses phases d’expérimen-tation les plus formelles, le roman en tant que genre n’a jamais délaissé le portrait de société ni renoncé, aux confins d’une axiologie éthique et politique, à toute mise en résonance sociale. La question coloniale accom-pagne l’œuvre de Duras1, la hantise carcérale celle de Genet2, le clin d’œil consuméristeLes Gommesde Robbe-Grillet etLes Chosesde Perec. Moins prestigieux mais également romanesques, les récits à succès de Roger Vailland, Claire Etcherelli, Robert Linhart multiplient, au fil des décen-nies et de leur évolution, les peintures d’un monde ouvrier en pleine méta-morphose3. Qu’en conclure, sinon que les situations de société, d’une position frontale qui furent la leur dans le roman classique et la tradi-tion académique la perpétuant, se sont retrouvées en positradi-tion latérale dans le roman moderne4. Autres temps, autres postures, nouveaux glis-sements : ni frontale, ni latérale, la représentation de la société relève davantage aujourd’hui d’une approcheprismatique. Le référent social

tra-1. Marguerite Duras,Un Barrage contre le Pacifique, Gallimard, 1950. 2. Jean Genet,Notre-dame des-Fleurs, Marc Barbezat-l’Arbalète,1948.

3. Roger Vailland,32 5000 francs, 1955 ; Claire Etcherelli,Élise ou la vraie vie, Gallimard 1972 ; Robert Linhart,L’Établi, Minuit 1981.

4. Si, dansLes Gommes, le premier des nouveaux romans, Alain Robbe-Grillet place au centre de la fiction une enquête ludique sur les automatismes rhétoriques, formels, langa-giers de la fiction romanesque, il n’oublie pas, en coin, de dresser les toutes premières des-criptions de nouveaux lieux de société — une société encore à peine nommée « de consom-mation » (Alain Robbe-Grillet,Les Gommes, Minuit, 1955).

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verse des romans qui ne cherchent plus à le composer sous forme de tableaux, mais le laissent circuler dans son animation hétéroclite — un référent social sans société de référence, en quelque sorte. Objets, situa-tions, lieux, mais aussi discours, parlures, signes et sigles constituent des instantanés de civilisation qui se superposent, interfèrent, se télescopent, dans des romans multipliant à l’identique les dénivelés narratifs. Par ces effets de turbulence, les écrivains tentent de saisirin vivoles mutations culturelles les plus significatives de notre tournant de siècle. Je propose-rai d’appelernéoréalisteleur écriture, non sans avoir circonscrit un bon usage de cette notion.

Le terme deréalismepeut surprendre — ceux du moins qui, oublieux de son historicité, le figent dans un emploi à succès renvoyant à la seule littérature romanesque française duxixesiècle ou à la seule écriture fil-mique italienne des années 1950. Travailler sur une littérature en train de s’écrire, c’est aussi redéfinir — recharger de sens et d’histoire — des notions critiques qu’on ne peut tenir, sinon par quelque réflexe acadé-mique, pour « empaillées » (la critique la plus autorisée ne parle-t-elle pas de réalisme pour commenter le développement d’un roman comique auxviiesiècle, sinon certaines orientations du roman courtois à la fin du Moyen Âge ?). Le préfixe « néo- » désigne moins dans cette perspective la volonté d’aborder le présent avec les grilles du passé que de percevoir les continuités, les échos, les emprunts, les démarcations entre ce qui se crée aujourd’hui et ce qui s’est inventé plus tôt. En finir, par la même occasion, avec la vaine objection qui consiste à remettre en cause l’intérêt de la lit-térature en cours sous prétexte que ses voies rappelleraient des tentatives plus anciennes, comme s’il en avait jamais été autrement (ou comme si l’on restait prisonnier du mythe romantique de l’originalité et de l’idéo-logie moderniste de latabula rasa). Penser le récit littéraire au présent en termes dedéplacementplutôt que dedépassement, c’est aussi l’un des enjeux de la notion de « néoréalisme » telle que je l’emploierai ici.

Plusieurs romans contemporains en témoignent : la fiction romanesque vise à comprendre des états de société en cours, aux deux sens du verbe « comprendre » : les intégrer dans une trame narrative commune, leur

don-ner sens par un travail de type herméneutique. DansLimitede François Bon, un personnage évoque ainsi

ces lycées (...) énormes. Trop. Aux franges de leur ville, coincés par sa rocade, isolés par ses boucles d’autoroute. Le nôtre alors gris ; c’est depuis, qu’ils l’ont peinturluré jaune et ocre, ce qui n’égaye pas forcément. Deux mille cinq cents élèves, nous les techniques, dont huit cents internes (...)1.

L’écriture néoréaliste est celle qui prélève par des notations ponctuelles, sur un mode ethnographique, quelques éléments de vie sensible. Elle tente de saisir les liens qui associent des figures humaines, des lieux situés, un milieu ambiant. Balisant le récit, desrealiasoutiennent un travail de déchiffrement interprétatif, orientent une lecture du monde contempo-rain et relancent de façon ouverte, sans excès de contcontempo-rainte discursive ni d’escorte idéologique, la ronde perdue du sens. Dans le passage de ce roman, une identité de société se profile à mi voix : un organisme qui rejette à la périphérie sa jeunesse en apprentissage, assigne dans des espaces incertains, entre rocade et autoroute, ses lieux de forma-tion, préfère à une politique de qualification substantielle (placer celui qui apprend au centre de la cité) des pis-aller de réhabilitation superfi-cielle (repeinturlurer les murs). Une posture néoréaliste mesurée articule donc une postulation politique ouverte, l’une et l’autre détachées de toute appartenance systématique, d’ordre esthétique pour la première, idéolo-gique pour la seconde.

C’est à des fins proches le même « monde extérieur » qu’aborde Mar-guerite Duras dans de courts récits qui portent ce titre, la même « vie exté-rieure » qu’Annie Ernaux consigne dans le deuxième volet de son Jour-nal du dehorsainsi intitulé. Si l’une, Duras, aborde des faits de société années 1980 au travers de chroniques qui flirtent avec la politique — celle d’un Mitterrand ou d’une Thatcher —, l’autre, Ernaux, annote des situa-tions de société qui relèvent du politique — des structures de groupe, des types de comportement, des études de mœurs propres à une cité moderne, Cergy-Pontoise. Par delà leurs différences, l’une et l’autre tentent d’ac-crocher une matière première du monde social sans l’abstraire du regard qui la perçoit ni du timbre qui la formule1. Nul droit de regard privilégié, nulle voix autorisée de l’écrivain sur les choses d’ici-bas pour autant, mais, dans les deux cas, unêtre au mondecollectif qui s’énonce. Annie Ernaux filtre ses émotions pour mieux se projeter au dehors d’elle-même, dans quelque zone urbaine de « non-moi » avec laquelle elle fait corps et qui fonctionne au quotidien comme un révélateur de personnalité. Mate, son écriture se distingue du style-spectacle de Duras qui, en relatant des faits de société, assume avec ostentation ses marques de distance singulières — la vérité de société n’étant, après tout, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre pour l’ensemble de ceux qui la composent. Les ouvrages en question indiquent comment de nouveaux projets se dessinent entre deux modèles à l’ancienne également refusés : celui de l’objectivité naturaliste,

1. Marguerite Duras,La Vie extérieure, outside 2, POL, 1993. Annie Ernaux,Le Monde exté-rieur, Gallimard, 2000.

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qui conduirait l’écrivain à refouler la part de soi impliquée dans la repré-sentation de sa société ; celui de la subjectivité psychoréaliste, qui absor-berait les contours et la matière du monde extérieur dans les réseaux d’une conscience dévorante.

Le premier modèle est à la fois accrédité et tourné en dérision par un autre écrivain, Michel Houellebecq, dansLes Particules élémentaires. Il recourt à certains acquis des sciences modernes — Loi de Boehr, théo-ries des mécaniques ondulatoires — pour instituer, chroniques de vies à l’appui, un discours de connaissance sur la civilisation occidentale post-soixante-huitarde. Cette démarche apparemment scientiste est tou-tefois piégée par sa mise en forme romanesque même. Intégrée dans un roman d’anticipation, elle agit autant comme un principe d’illusion futuriste à bon compte que comme l’application démonstrative d’une vérité de société1. Le second modèle — psychoréalisme subjectif — est quant à lui mis à distance par des romanciers comme Jean-Philippe Tous-saint, Jean Échenoz, Christian Oster, Christian Gailly. Tous engagent avec leur société une relation de questionnement critique. Des personnages-fétiches leur servent en cela de médiateurs, qui traversent des espaces urbains, manipulent des objets nouveaux, véhiculent des stéréotypes lan-gagiers, concentrent des imageries culturelles. Mais le regard que l’écri-vain leur prête ne leur permet pas de mettre en perspective ces don-nées, ni le degré de conscience dont il les dote d’établir entre elles des hiérarchies. Présence amorphe, le sujet humain est comme absorbé par une matière événementielle, topographique, objectale, matière à son tour doublée par des jeux d’images ou des représentations de seconde main, en l’occurrence de troisième œil, qui peu à peu la déréalisent. Portrait du personnage en ectoplasme, pour art du roman en distraction de la fiction : les écritures Minuit années 1990 rendent sensible, comme une caractéristique culturelle du temps, un double processus d’indifférencia-tion hommes/choses-choses/images, dernier avatar en date du principe de la réification, revisité en l’occurrence par la loi postmoderne du tout virtuel2.

Si certains écrivains revisitent ainsi sur un mode critique les grands paradigmes de la tradition réaliste, c’est pour en renouveler l’ambition, à côté de tout systématisme. Comment le roman peut-il assimiler un certain nombre de réalités — matérielles, circonstancielles, culturelles, intimes — et construire à partir d’elles du réel, c’est-à-dire agencer des

représen-1. Michel Houellebecq,Les Particules élémentaires, Flammarion, 1998.

2. On se reportera pour exemples àla Salle de bainsde Jean-Philippe Toussaint (Minuit, 1985),Lacde Jean Échenoz (Minuit, 1989),Les Évadésde Christian Gailly (Minuit, 1995),La Femme de ménagede Christian Oster (Minuit, 1998).

tations signifiantes de son temps, depuis des régimes textuels qu’il lui appartient de renouveler sous peine d’antidater ses propres productions ? Cette question appelle la définition denouvelles stratégies mimétiques, qui cherchent à établir des adéquations formelles entre la facture et l’écri-ture du roman, d’une part, les rythmes de vie et les énergies de pensées propres à notre civilisation, de l’autre. Certaines tentatives répondent à cette exigence exploratoire à la fois de leur société et de l’écriture de fic-tion. Elles ne font pas nécessairement école : face à un réel qui se pense de plus en plus comme fuyant et en état de refonte — un hologramme per-pétuel —, l’écriture néoréaliste la plus réussie serait celle qui ne connaît pas de lendemain, ne fige pas une démarche herméneutique en méthode scolastique.

Il en va ainsi de l’écriture-télex, revendiquée par Jean-Jacques Schuhl dans les années 1970 avecRose poussière, dans les années 1980 avecTélex n.1, dansIngrid Caven, à un moindre niveau, en 2000. L’écrivain s’en explique en tête de son premier livre :

J’aimerais un jour parvenir à la morne platitude distante des catalogues de la Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Étienne, du Comptoir commercial d’outillage, du Manuel de synthèse ostéologique de MM. Mül-ler, Allgöwer, Willeneger, ou des vitrines du magasin de pompes funèbres Borniol (ces beaux poncifs). En attendant, loin du compte, j’ai recopié des rouleaux de télex hippiques,France-Soir (avec toutes ses éditions), des paroles de chansons anglaises connues, des dialogues d’anciens films célèbres, des prospectus pharmaceutiques, des publicités de mode, lam-beaux sur lesquels furtivement, s’écrit le temps mieux que dans les œuvres. Le reste, hélas, est de moi ; probablement1.

L’écriture-télex retranscrit, comme par photo-impression, un certain nombre d’événements dont la somme, la disparité, la banalité même constituent une garantie de fidélité face à des actualités de société qui se ramènent toujours à une multitude de petits faits entrecroisés, au degré de sens passablement incertain. Il s’en dégage comme une sismographie des humeurs culturelles de l’époque. Georges Perec, dans certains textes des années 1980 publiés à titre posthume, esquisse un projet voisin en recensant des objets usuels, en consignant des états de lieux familiers, en notant des impressions de quartiers2. Le récit relève en ce cas de l’ar-chive critique : il rend possible la constitution d’une mémoire de société vivante, et d’une conscience de soi à travers elle, l’une et l’autre saisies, non par le biais de grilles intellectuelles ou de vrilles idéologiques, mais

1. Jean-Jacques Schuhl,Rose poussière, Gallimard, 1972. 2. Penser//classer, POL, 1985.

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à vif, dans des réseaux de détails élémentaires, d’automatismes culturels, de valeurs sous-jacentes qui implicitement les datent1. DansLes Particules élémentaires, Michel Houellebecq se livre à un travail similaire depuis la matière même d’une langue dont il amalgame à dessein les figures cultu-relles les plus saisissantes. Un patchwork pour toute énonciation, il brasse les discours, les voix, les énoncés d’un corps social ainsi évoqué sur plus de trente ans : documents statistiques, études sociologiques, bulles de BD, slogans publicitaires, tracts politiques ou religieux. Faute d’accord, ces paroles mineures ne constituent aucun concert, mais renvoie la civilisa-tion occidentale à sa propre atomisacivilisa-tion, un défaut de société — de liens, de tissu, de texture. Si l’on active la symbolique piégée du roman, cette absence peut se lire comme un symptôme de décadence — symptôme lui-même interprétable ou bien comme une dénonciation idéologique très marquée à droite (Spengler ressuscité) ou bien comme un dégagement nihiliste en touche (les idéologies, y compris réactionnaires, caractérisant dans le roman les mauvais penchants d’un genre humain révolu). Entre ébranlements et basculements, les mutations historiques de la fin du ving-tième siècle semblent ainsi légitimer des modes de représentation eux-mêmes extrêmisés.

Autre cas : l’écriture-fax, pratiquée par Hervé Guibert dans son trip-tyque autobiographique du sida2. L’écrivain retranscrit le quotidien d’un malade dans la France des années 1990 en adhérant le plus possible à ses états biocliniques — des bilans de santé sont régulièrement intégrés dans le récit — et à ses états psychosomatiques — douleur du corps et souf-frances de l’âme s’amalgament en un même processus de dégradation. L’écriture-fax veut conserver à même le récit les empreintes singulières de celui qui écrit sur fond de données concrètes, une psychographie sen-sible et des échappées d’émotions dessinant quelque imaginaire du mal, ou autofiction par laquelle l’écrivain tente de donner sens à sa maladie. Ce projet excède le simple témoignage personnel en recouvrant une fonc-tion d’explorafonc-tion civile. À travers son expérience, Hervé Guibert décrit en situation le développement d’une maladie qui s’affirme très vite aussi comme une pathologie culturelle, renvoyant la société à sa vulnérabi-lité institutionnelle — des connaissances médicales paralysées, des struc-tures hospitalières en coma dépassé — et à l’effondrement de ses défenses immunitaires symboliques — phobies irrationnelles et angoisses milléna-ristes ressurgissant face à ces nouveaux lépreux que d’aucuns appellent alors « sidaïques ».

1. Des fragments de ce projet ont été publiés dansEspèces d’espaces, Gallilée, 1974. 2. Hervé Guibert,À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie(Gallimard, 1989),Le Protocole com-passionnel(Gallimard, 1991),L’Homme au chapeau rouge(Gallimard, 1992).

Que possèdent donc en commun ces quelques œuvres ? Une dyna-mique d’écriture paradoxale, peut-être : l’extrême pression entre un texte littéraire, qui essaie de se générer en tant que tel, et un infratexte de société qui, par son excroissance, en compromet la prise narrative. Une masse interactive de référents, de discours, de supports matériels, de codes constitue cet infratexte, lequel conditionne notre rapport au monde, par le biais de la presse, des médias télévisuels, d’innombrables énoncés volants (sigles, panneaux, notices, modes d’emploi, chansons, fonds sonores). C’est cet objet foisonnant que tentent de saisir les écri-tures néoréalistes quand elles acclimatent avec une part de fantasme consenti le modèle du télex ou du fax, du tag ou du mail (mais là, on attend encore des réalisations crédibles). L’objectif consiste à représen-ter la réalité depuis les outils, les canaux, les cadres qui en constituent les modèles immédiats, lui impulsent ses formes et ses rythmes — des flux ou des ondes ou des battements de société qui échappent au suivi narratif, au composé de fiction, au fractionnement de la représentation. Dans ces quelques lignes, extraites de l’ouverture deTigres en papier d’Oli-vier Rolin, l’écriture semble calquer à la fois le dévidement des bandes-jingles propres à certaines radios privées et l’accumulation d’injonctions rétiniennes caractéristiques des villes modernes. Dans les deux cas, le texte romanesque s’écrit dans une relation d’assimilation/domination d’un infratexte de société qui, outre nos automatismes culturels, modèle notre personnalité intime en s’insinuant par sensations interposées en nous :

VINCENNES DORÉE STATION-SERVICE JOHNNY WALKER KEEP WAL-KING PÉRIPH FLUIDE ponts lumières jaunes Paris à droite sous un ciel de sombre lilas devant panneaux émeraude METZ NANCY PORTE DE BERCY DISNEYLAND 32 KM les pneus déchirent la soie noire-mordorée robe du soir espoir A4-A86 FLUIDE A4-A104 FLUIDE tout est fluide toi aussi Mr bricolage rouge bricoleur toi-même. Deux heures du matin. BERCY 2 vert CARREFOUR bleu BERCY EXPO rouge à droite grande barre noctiluque du Minfinances 300 M N19 le ciel s’éclaircit devant à l’approche de la Seine. Les fleuves répandent cette espèce de phosphorescence dans le noir du ciel. Quand tu étais allé à My Tho tu avais pressenti le Mékong cette lueur dans les nuages.1

Dans ce roman historique où l’écrivain se portraiture en ex-bricoleur rouge, le boulevard périphérique fonctionne :

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1 comme un décor de société (il polarise les indices éclatés du monde contemporain),

2 comme un lieu symbolique de la mémoire (les personnages y tournent, tels les souvenirs, à vitesse variable, sans y trouver toujours la bonne porte, pendant que des signalétiques clignotent de façon subliminaire), 3 comme une figure emblématique de la conscience (dans un monde qui

a théorisé son propre décentrement, dans une civilisation qui, de crise en crise, s’est décadrée, il n’est de définition de la réalité et de repré-sentation de la société légitimes que périphériques — à côté du centre, déplacées en leurs marges.)

Les récits néoréalistes figurent ainsi une civilisation dont les schèmes se transforment, dans des formes littéraires elles-mêmes modifiées. Annie Ernaux, François Bon, Hervé Guibert, Marguerite Duras disent, chacun à sa façon, une société dans laquelle les idées de collectivité et de commu-nauté ne se recoupent plus. Olivier Rolin, Jean Échenoz, Michel Houelle-becq, Jean-Jacques Schuhl, Philippe Sollers tendent vers des représenta-tions de la vie et de l’histoire ouvertes à l’entropie, un monde en cavale de l’univers — figure de l’ordre — et du globe — figure de l’ensemble - dans des textes marqués par un éclatement de la fiction et une saturation des signes romanesques. Le penchant pour la question de société observable dans le champ romanesque contemporain s’affirme alors moins comme

un retourque comme une poursuite : poursuite d’un objet improbable que le récit présume plus qu’il ne l’institue, poursuite d’une écriture de type expérimental, en partie déstructurée et désaxée, que sa nature indé-cidable cale au mieux sur cet objet.