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Le bruit en ville : un mal nécessaire

2. La perception du son dans le monde contemporain : entre bruits et mise en scène

2.1 Le bruit en ville : un mal nécessaire

Revenons dans un premier temps sur la sémantique qui permet de parler des sons dans la ville.

Dans le cadre de son mémoire de recherche en 2006, La recherche intelligente de sons, afin d’obtenir son diplôme en Sciences, Art et Technique de l’Image et du Son, Olivier Claude s’est interrogé dans son mémoire sur notre trop grande propension à qualifier tout type de son non musical comme un

« bruit ». Les sons musicaux font eux l’objet d’une qualification très rigoureuse puisqu’ils sont classés par tonalité, fréquence, gamme, genre musical, instrument, etc. L’auteur propose donc une taxonomie des sons.

« Comment regrouper les sons dans différentes catégories ? Lesquelles ? Avec quelle logique ? Dans quel ordre hiérarchique ? Il existe quatre grandes familles de sources sonores : les sons provenant de la Nature, les sons produits par les Animaux, les sons produits par l’Homme et les sons des Objets/Machines. » Le classement prend en compte des niveaux qui correspondent à la source du son, le lieu de la source, son caractère d’ambiance ou d’événement sonore et la densité du son (soit le nombre de sources différentes incluses dans une prise de son d’ambiance).

Jacques Cheyronnaud, né en 1949 à Limoges, est docteur en ethnologie ainsi que chercheur au Musée National des Arts et Traditions populaires. Dans son ouvrage, Un endroit tranquille, il explique que le terme de bruit comporte une dimension d’incertitude qui en fait une ressource pratique pour qualifier toute gêne auditive. L’auteur cherche à qualifier et définir la situation de bruit afin de rendre compte de notre habitude d’essentialiser le son comme un « bruit ». La théorie événementielle du son l’envisage comme la réunion entre une entité physique et un intermédiaire perceptif. En effet, « les sons sont toujours des effets » selon John Dewey.

Dans le cadre d’une approche scientifique qui empêcherait ce biais de l’essentialisation, l’auteur appelle la relation d’Entendre le lien qui s’établit entre la source du son et l’agent de perception. Il explique que le contrôle de la relation d’Entendre avec l’environnement de chacun au quotidien se traduit par une mesure objective des effets négatifs des sons sur les individus, et une réglementation qui permet de prévenir, de supprimer ou de sanctionner ces effets en les encadrant dans une législation.

L’auteur saisit ainsi ce qui est à la base de notre rapport à notre environnement sonore et ce sur quoi nous nous concentrons lorsque nous étudions la perception culturelle du son : la relation d’Entendre.

La deuxième partie du XXe siècle a été marquée par l’avènement de la voiture, qui s’est démocratisée et a investi les villes. Les bruits de moteur, de klaxons et autres crissements de pneus ont envahi les rues et ont couvert d’autres sons au niveau de décibels moins élevés.

De prime abord, la qualification de nombreux bruits grâce au terme de « bruit » semble traduire une approche seulement négative. Pourtant, imagine-t-on une ville silencieuse ?

Anthony Pecqueux, chercheur au CRESSON et chargé de recherche au CNRS, il est sociologue et s’intéresse particulièrement à l’ethnographie de la perception et de l’action.

Il explicite dans Le son des choses, les bruits de la ville notre rapport ambigu aux sons de la ville. Le son dans la ville est au cœur d’un paradoxe : il fait partie de l’essence de la ville puisque son caractère sensible donne à l’individu l’accès au paysage des activités urbaines et constitue un enjeu de coordination des agents entre eux puisqu’il leur délivre des informations (notamment relatives aux dangers). Cependant, il apparaît aujourd’hui une baisse du seuil de tolérance auditive et une perception généralisée du son comme du bruit gênant. Le son est ainsi une « gêne nécessaire » qui constitue l’un des enjeux de la régulation de l’usage de l’espace public. Il cristallise un certain nombre de tensions concernant l’occupation de l’espace public en

raison de son caractère subi, car on ne peut pas « fermer ses oreilles ». Le son dans la ville est donc une problématique riche dont l’auteur souligne l’importance d’en diversifier l’approche aujourd’hui.

En poursuivant son raisonnement, l’auteur s’attache à détailler comment la perception des sons modifie les comportements et régule une partie des interactions sociales. Il explicite donc la menace que présente une ville trop silencieuse, dans laquelle les dangers ne seraient pas annoncés par des signaux troublant le passant peu vigilant ou perdu dans ses pensées.

Anthony Pecqueux propose, dans un autre article intitulé Les affordances des événements : des sons aux événements urbains, une analyse précise du comportement de l’individu soumis quotidiennement à des signaux sonores porteurs d’informations. Il note d’abord que les sciences sociales ont tardé à se pencher sur la portée sociale de la perception. Pourtant, le monde social dépend des spécificités de l’individu et de l’environnement qui entrent en interaction. L’auteur propose une approche en termes d’« affordance des événements », afin de faire réaliser que les perceptions impliquent une mobilisation de tout l’appareil sensoriel et s’imposent parfois à nos activités qui sont de fait perturbées, obligeant l’individu à se réorganiser.

L’exemple des sirènes illustre comment l’interaction entre l’individu et son environnement est une source d’action, chaque son ayant une signification :

« [Le bruit de la sirène] contient des informations (la survenue d’un événement alentour), mais en outre il invite à une action (se ranger sur le côté ou ne pas s’engager sur une voie prioritaire pour laisser passer un véhicule d’urgence) ».

Au contraire, les vélos et voitures électriques mettent en péril la bonne coordination des agents puisqu’ils ne permettent pas à l’individu d’anticiper leur venue et de les éviter.

2.2 Un univers sonore maîtrisé : spectacle et mise