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Bruit utile et traitement des images

Dans un premier temps [62], les d´eveloppements de la r´esonance stochastique se sont op´er´ees sur un mode de preuve de faisabilit´e montrant la diversit´e des formes d’effets de bruit utile. Ceci a essentiellement ´et´e obtenu sur des traitements de signaux monodimensionnels. Pour autant, comme ph´enom`ene non lin´eaire g´en´eral, la r´esonance stochastique n’est a priori pas limit´e `a une dimension et doit pouvoir s’appliquer au domaine de l’image. Une approche innovante demande toutefois de mettre en ´evidence des formes de la r´esonance stochastique qui soient sp´ecifiques aux images et non des transpositions triviales `a l’´echelle du pixel d’effets de bruit utile d´ej`a connus en 1D. Il s’agit l`a d’une piste que j’ai initi´ee et d´evelopp´ee `a partir de 2006. Pour structurer mon questionnement, je me suis appuy´e sur les 4 ingr´edients rappel´es dans la section 3.1 de ce chapitre qui avaient guid´e les ´evolutions de la r´esonance stochastique sur les signaux 1D. Je me suis ainsi pos´e les questions suivantes :

• Existe-t-il des bruits sp´ecifiques aux images ? Des effets de bruits utiles sont-ils possibles dans ces images naturellement bruit´ees lorsque des non-lin´earit´es sont pr´esentes ?

• Existe-t-il des processus non lin´eaires en traitement d’image qui impliquent naturellement des non-lin´earit´es connues pour se prˆeter aux effets de bruit utiles ?

• Existe-t-il des mesures de performances sp´ecifiques aux images ?

Cette section synth´etise les ´el´ements de r´eponses que j’ai apport´es `a ces interrogations `a travers mes travaux [16, 13, 17, 41, 18, 51, 129, 72, 73].

3.4.1 Utilisation du speckle en imagerie coh´erente

Un domaine o`u les images sont naturellement bruit´ees est l’imagerie coh´erente avec le bruit de speckle. Ces fluctuations spatiales dans l’image s’observent lorsqu’une onde monochroma-tique ´eclaire la sc`ene `a imager avec une phase uniforme ou quasi-uniforme dans l’espace. En se r´efl´echissant ou en traversant, l’onde incidente voit sa phase perturb´ee par les variations microscopiques dues `a la rugosit´e inh´erente de la sc`ene `a l’´echelle de la longueur d’onde. Sur un capteur d’image, certaines variations s’additionnent constructivement donnant de fortes in-tensit´es, d’autres interf`erent destructivement en donnant de faibles intensit´es. Il en r´esulte dans l’image coh´erente des variations d’intensit´e d’apparence granuleuse que l’on appelle bruit de speckle. En optique (coh´erente ou non) lorsqu’un faisceau parall`ele de lumi`ere traverse un milieu transparent, le profil de l’intensit´e du faisceau transmis est le produit de l’intensit´e du faisceau par la transparence spatiale du milieu. Ainsi, l’effet du bruit de speckle se mod´elise [66] comme la multiplication par un pattern 2D al´eatoire N (u, v) avec u et v les coordonn´ees spatiales des images. Il existe de multiples mod`eles de densit´e de probabilit´e de speckle suivant que l’onde est polaris´ee ou non, suivant la taille du grain de speckle devant la taille du pixel du

capteur d’image ou encore suivant l’homog´en´eit´e de la r´epartition des irr´egularit´es `a l’´echelle de la longueur d’onde dans la sc`ene `a imager [65]. De tels mod`eles de densit´e de probabilit´e permettent de calculer des quantit´es utiles comme un contraste

C = σN

N , (3.20)

rapport entre l’´ecart-type σN du speckle et la valeur moyenne N ou encore un rapport signal sur bruit en calculant

S/B = 1

C . (3.21)

Un fait caract´eristique des bruits de speckle est que les fluctuations mesur´ees par l’´ecart type σN sont du mˆeme ordre de grandeur que la moyenne N . Ainsi, les quantit´es contraste C et rapport signal `a bruit S/B sont en g´en´eral ind´ependantes de l’amplitude du bruit de speckle.

`

A titre d’illustration, consid´erons le mod`ele simple du speckle pleinement d´evelopp´e valide pour une sc`ene uniforme, avec une onde incidente polaris´ee et une taille du pixel beaucoup plus petite que la taille d’un grain de speckle. La densit´e de probabilit´e du speckle pleinement d´evelopp´e s’exprime comme pN(j) = 1 σN exp µ j σN, j ≥ 0 . (3.22)

pour laquelle on a N = σN et donc C = 1 et S/B = 1 ind´ependamment de l’amplitude du speckle. Ce r´esultat, g´en´eral pour une large vari´et´e de mod`eles de bruit de speckle, suppose que le capteur qui recueille les images speckl´ees est parfaitement lin´eaire sans restriction d’´echelle d’amplitude sur cette lin´earit´e. En pratique, les capteurs ne peuvent pas ˆetre lin´eaires sur une gamme infinie d’´echelle. Le seuil de d´etectabilit´e (li´e par exemple au signal d’obscurit´e), la r´esolution (li´ee au pas de quantification du convertisseur analogique num´erique associ´e au cap-teur), la saturation (li´ee `a la dynamique n´ecessairement finie du capteur) visible sont autant de non-lin´earit´es qui introduisent des ´echelles qui doivent a priori modifier les mesures de con-trastes C ou de rapport signal sur bruit S/B de l’´Eq. (3.22). Pour autant, j’ai constat´e que ces impacts des non-lin´earit´es des capteurs sur les images speckl´ees avaient peu ´et´e analys´es dans une perspective li´ee aux capteurs. Dans les ´etudes [16, 13, 17, 41, 18, 51] (voir [16] et [41]) que j’ai initi´ees et d´evelopp´ees `a l’occasion de la th`ese de Solenna BLANCHARD, nous avons consid´er´e une probl´ematique de transmission d’images perturb´ees par du speckle en pr´esence de non-lin´earit´e `a seuil ou `a saturation. En pr´esence de ces non-lin´earit´es, nous avons analys´e la d´ependance de la qualit´e de la transmission des images speckl´ees en fonction du niveau du bruit de speckle. Les explorations dans [16, 13, 17, 41, 18, 51] ont port´e sur :

• le type de mesure de performance (information mutuelle [16], intercovariance [16, 41, 18], ´ecart quadratique moyen [16, 17, 51].

• le type d’image `a transmettre binaires [16, 41, 18] ou distribu´ees sur de multiples niveaux de gris [13].

• le type de mod`ele de speckle polaris´e (avec capteur immobile [16, 13, 41] ou capteur en mou-vement [18]), d´epolaris´e [51].

• le type de validation des r´esultats par confrontation de simulation num´erique et de d´eveloppe-ments th´eorique allant jusqu’`a l’´etablissement de r´esultats analytiques explicites [16, 13, 18] ou par l’apport suppl´ementaire d’une confrontation avec des r´esultats issus de l’exp´erimentation optique [16, 41].

L’ensemble des travaux [16, 13, 17, 41, 18, 51] montre qu’il existe des conditions pour lesquelles le niveau de bruit de speckle peut ˆetre ajust´e optimalement afin de tirer des b´en´efices des non-lin´earit´es pour la transmission des images speckl´ees. Il s’agit d’un effet non lin´eaire o`u, `a la mani`ere des ´etudes de r´esonance stochastique, une mesure de performance ´evolue de fa¸con non monotone en fonction du niveau du bruit pr´esent dans le processus de traitement de l’information en culminant pour un niveau de bruit non nul qui maximise la qualit´e du traitement. Il est possible de continuer `a d´evelopper ces travaux dans diff´erentes directions. Dans le domaine de l’imagerie coh´erente, les mesures de performances utilis´ees sont des mesures g´en´erales de similarit´es dites de bas niveau de traitement de l’information. Il conviendrait d’analyser l’impact b´en´efique des non-lin´earit´es montr´e dans [16, 13, 17, 41, 18, 51] au moyen de mesures sp´ecifiquement adapt´ees dans des contextes d´etermin´es de plus haut niveau de traite-ment de l’information comme de la d´etection ou de la reconnaissance de forme en s’inspirant de la d´emarche que j’ai suivie pour les signaux 1D. Il existe d’autres domaines de l’imagerie o`u les images sont naturellement bruit´ees et d´efinies par leurs propri´et´es statistiques. Je pense en particulier au domaine de l’imagerie par r´esonance magn´etique o`u le couplage image-bruit n’est ni additif ni multiplicatif. L`a aussi des non-lin´earit´es sont pr´esentes : inhomog´en´eit´e et saturation des bobines cr´eant les champs magn´etiques, saturation de l’antenne de r´eception ou du convertisseur analogique num´erique en charge de l’acquisition dans le domaine de Fourier. L’impact de ces non-lin´earit´es sur le traitement de l’image est peu connu. Il serait int´eressant d’analyser s’il existe l`a aussi des r´egimes o`u il est possible de tirer profit des non-lin´earit´es en jouant notamment sur le niveau de bruit. Il s’agit d’une piste que nous consid´erons dans le cadre de la th`ese d’Agn`es DELAHAIES [50].

3.4.2 Quantification psychovisuelle de la r´esonance stochastique

L’´evaluation automatique de la qualit´e des images est une tˆache importante pour de nombreux domaines du traitement des images. Les mesures traditionnelles habituellement utilis´ees comme mesures de qualit´e telles que l’´ecart quadratique moyen, ou encore le rapport signal sur bruit sont simples `a implanter mais se cantonnent `a fournir une indication tr`es bas-niveau de traitement de l’information. R´ecemment, un indice sous l’acronyme d’indice SSIM (pour structural similarity) a ´et´e propos´e comme nouvelle mesure de similarit´e [150, 151], avec des potentialit´es pour rendre compte de similarit´e structurelle ´evalu´ee par trois facteurs : la perte de corr´elation, les distorsions de luminance et de contraste. Il a ´et´e montr´e que l’indice SSIM ´etait pour certaines tˆaches de traitement des images (compression, recalage de dynamique, d´ebruitage,. . . ) plus proche de la perception humaine que les mesures traditionnelles tout en ´evitant une mod´elisation explicite complexe du syst`eme visuel humain [150, 151]. Pour autant, en tant que nouvelle mesure, les potentialit´es de l’indice SSIM restent `a consolider. Pour ce faire, il est int´eressant de tester l’indice SSIM dans de nouveaux contextes. La r´esonance stochastique a ´et´e enregistr´ee dans des exp´eriences de psychovision o`u la mesure de performance est la perception humaine [141, 152, 111, 137]. Il nous a donc sembl´e int´eressant de mettre l’indice SSIM `a l’´epreuve dans un cadre de r´esonance stochastique. Nous montrons dans [129] que l’indice SSIM est capable d’enregistrer l’am´elioration apport´ee par le bruit lors d’une transmission non lin´eaire d’une image parfois mˆeme quand les mesures traditionnelles ne traduisent pas cet effet pourtant per¸cu par l’oeil

humain.

Les images dans [129] sont bruit´ees par un bruit additif. Il serait int´eressant de consid´erer des couplages multiplicatifs comme ceux produits en imagerie coh´erentes en pr´esence de speckle. Au del`a de ces extensions naturelles (voir ´egalement celles d´ecrites en conclusion de [129]) l’´etude [129] montre comment la r´esonance stochastique peut servir de banc de test pour de nouvelles mesures informationnelles. D’autres mesures de qualit´e des images pourraient ˆetre ´evalu´ees dans un contexte de r´esonance stochastique comme les mesures r´ecentes de saillance propos´ees par [87]. On pourrait mˆeme imaginer de transposer cette approche `a d’autres types de stimuli. La r´esonance stochastique a en effet ´egalement ´et´e montr´ee en psychoacoustique (en particulier pour les personnes ´equip´ees d’implantes cochl´eaires [42]). Ces exp´eriences psychosensorielles sont fondamentales puisqu’elles montrent qu’au stade ultime d’int´egration du syst`eme nerveux des effets de bruit utile existent. Une question ouverte est de connaˆıtre les m´echanismes et ´echelles qui expliquent ces effets de bruits utiles observ´es sur nos propres sens. L’´evaluation de mesures de qualit´e des images ou des sons inspir´ee `a des degr´es de complexit´e divers du syst`eme sensoriel dans le contexte de la r´esonance stochastique constitue une voie int´eressante pour construire des ´el´ements de r´eponse.

3.4.3 Diffusion non lin´eaire fa¸conn´ee par le bruit

Le processus de diffusion non lin´eaire appliqu´e au traitement des images a ´et´e introduit his-toriquement par PERONA et MALIK [109]. Il s’agit d’un processus inspir´e de la diffusion de la temp´erature dans lequel une image bruit´ee ψ0 est restaur´ee en consid´erant la solution de l’´equation aux d´eriv´ees partielles

∂ψ

∂t = div(g(k∇ψk)∇ψ), ψ(x, y, t = 0) = ψ0 , (3.23)

o`u le coefficient de diffusion est contrˆol´e par g(·) une fonction statique non lin´eaire d´ecroissante de la norme du gradient ∇ψ. Des exemples de fonction g(·) propos´ees dans [109] sont

g(u) = ekuk2k2 , (3.24)

ou encore

g(u) = 1 1 +kukk22

, (3.25)

avec le param`etre k qui peut ˆetre vu comme un seuil permettant d’ajuster l’amplitude des gradients qui sont pr´eserv´es par le processus de diffusion. Le terme g(k∇ψk) joue en effet le rˆole de coefficient de diffusion dans l’´Eq. (3.23). Ainsi, les forts gradients de l’image se voient attribuer un faible coefficient de diffusion. Ils sont pr´eserv´es. Les faibles gradients de l’image anticip´es comme des bruits sont diffus´es par le processus de l’´Eq. (3.23). Les choix de la fonction non lin´eaire et du seuil ´etant arbitraires, on ne peut garantir leur optimalit´e qui d´epend du contenu de l’image. Il est alors possible en partant d’un choix de fonction non lin´eaire et de param`etre k donn´es de fa¸conner la fonction non lin´eaire g(·) au moyen du bruit. Pour ce faire, on remplace la fonction g(u) dans l’´Eq. (3.23) par la fonction gη(u)

gη(u) = g(u + η(x, y)) , (3.26)

o`u η est un bruit ind´ependant et identiquement distribu´e d’amplitude efficace ση. Contrairement au bruit originel dans ψ0, le bruit η est volontairement inject´e et on contrˆole son niveau ση. La possibilit´e d’un effet b´en´efique via le fa¸connage par le bruit du coefficient de diffusion est

pr´esent´e de fa¸con condens´ee dans [72] pour une image bruit´ee ψ0 par du bruit impulsionnel. L’effet b´en´efique du bruit pour la diffusion non lin´eaire est en fait g´en´eral et ne se restreint pas `a ce type de couplage comme le montre visuellement les Fig. 3.7 et 3.8 extraites de [73]. L’int´erˆet de ces ´etudes ´etait double. Il s’agissait d’illustrer le fa¸connage par le bruit expos´e dans la section 3.1 de ce chapitre sur un exemple non trivial de traitement d’image. Cela m’a permis ´egalement de m’initier aux m´ethodes r´ecentes d’´equation aux d´eriv´ees partielles.

A B

C D

Figure 3.7 : Image originale non bruit´ee cameraman (A) perturb´ee par 3 types de bruits diff´erents : (B) additif gaussien centr´e, (C) multiplicatif gaussien de moyenne unit´e, (D) impul-sionnel. Les amplitudes efficaces de ces bruits sont ajust´ees s´epar´emment de fa¸con `a avoir pour chacune des images (B,C,D) le mˆeme similarit´e (mesur´ee par l’intercovariance normalis´ee) avec l’image originale (d).