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Brève histoire du Petit Journal

Dans le document Jeux-concours et référendums de presse (Page 42-45)

4. Le Petit Journal

4.1. Brève histoire du Petit Journal

"Né le 1

er

février 1863, Le Petit Journal était très vite devenu un phénomène de la

presse mondiale. Aucune feuille ne pouvait lui être comparée et ses imitateurs n'avaient pas

réussi à mettre sa suprématie en cause" (Albert 1977 : 1323). "De toutes les feuilles de la

période, Le Petit Journal est de loin la plus originale et peut-être la plus importante. Les

multiples feuilles de petit format (44 cm × 30 cm) à 5 centimes cherchèrent à l'imiter mais

aucune ne réussit à égaler son art de « raconter » la politique, de mélanger le macabre et

l'instructif, de jouer de l'indignation ou de l'enthousiasme moralisants, de traiter le lecteur

tantôt comme un témoin et tantôt comme un juge" (Albert 1976 : 220). En outre, Le Petit

Journal est le quotidien pour lequel nous avons relevé le nombre de jeux-concours,

plébiscites, référendums, etc. le plus élevé.

Le développement du Petit Journal a été favorisé par les progrès techniques. En 1866,

Hippolyte Marinoni avait mis au point une petite rotative à quatre cylindres, capable de tirer

10 000 exemplaires à l'heure. Le Petit Journal en acquit quatre. "Ces rotatives permirent de

remplacer 10 presses à réaction qui utilisaient 90 ouvriers ; elles n'exigeaient que 28 ouvriers.

[…] En 1868, Marinoni donna au Petit Journal une rotative à 6 cylindres et 6 margeurs

capable d'imprimer 36 000 exemplaires d'un petit journal" (Albert 1977 : 208-209). Après

avoir atteint son apogée vers 1890, avec un million d'exemplaires, le tirage du Petit Journal a

ensuite décliné jusqu'à descendre en dessous de 200 000 exemplaires après 1936.

1872 220 000 1881 634 000 1905 850 000

1873 281 000 1882 700 000 1910 835 000

1874 308 000 1883 726 000 1912 850 000

1875 345 000 1884 825 000 1913 800 000

1876 423 000 1885 880 000 1917 515 000

1877 475 000 1886 900 000 1919 400 000

1878 523 000 1887 879 000 1936 220 000

1879 562 000 1890 1 000 000 1937 156 000

1880 582 000 1902 900 000 1939 178 000

Tirage moyen du Petit Journal

(Albert 1976 : 221, 301 note 1, 428, 516

18

; Delporte et al. 2016 : 18).

18

Pour la période 1872-1883, certains des chiffres présentés ici par Pierre Albert diffèrent très légèrement de

4.1.1. La naissance et l'essor du Petit Journal (1863-1880).

"Pour la clientèle populaire, Millaud crée, en 1863, Le Petit Journal à 1 sou, qui monte,

en quatre mois, à 83 000 exemplaires et en deux ans à 260 000" (Terrou 1962 : 30). Les

journaux se vendaient alors presque exclusivement sur abonnement ; c'est Le Petit Journal qui

a inventé la formule à un sou, et la vente au numéro (Delporte et al. 2016 : 13). Pierre Albert

relate ainsi la naissance et le développement du Petit Journal jusqu'à la fin du XIX

e

siècle :

"Moïse Polydore Millaud avait cinquante ans lorsqu'il lança le 1

er

février 1863, Le Petit

Journal, quotidien non politique, de petit format, à un sou. […] Moïse Millaud et son parent

et associé Alphonse Millaud surent lancer l'affaire en employant toutes les recettes de la

réclame : grande campagne d'affiches en janvier 1863, distribution gratuite de prospectus et

des premiers numéros, recrutement de nombreux camelots revêtus d'uniformes et doués de

grosse voix, création d'un parc de voitures de livraison aux couleurs voyantes et couvertes de

slogans publicitaires, installation dans le hall de l'immeuble Frascati au coin du boulevard

Montmartre et de la rue de Richelieu, d'une sorte de bazar exposition. […] Le succès fut assez

lent à se dessiner, aussi bien fallut-il plusieurs mois pour trouver la bonne formule. Léo

Lespès, ancien rédacteur de réclames et chroniqueur judiciaire, spécialiste des faits divers, fut

arraché à prix d'or (50 000 frs par an) au Figaro et inaugura le 25 juillet 1863 l'article

quotidien de première page qu'il signait Timothée Trim ; son bavardage niais et moralisateur

touchait à tous les sujets avec le même bonheur et le même style à phrases courtes et au

vocabulaire pauvre ; ils n'avaient la plupart du temps que peu de rapports avec l'actualité. Le

succès de sa chronique fut considérable et les tirages passèrent de 30 000 exemplaires en

juillet à 83 000 en octobre. Le roman feuilleton fut la seconde cause du succès ; lorsque

Ponson du Terrail y porta son "Rocambole", né en 1859 à La Patrie, le tirage monta à

154 000 exemplaires. […] La troisième cause du succès du Petit Journal fut l'exploitation du

fait divers pour lequel il sut trouver un style très proche de celui des romans feuilletons, qui

savait judicieusement doser l'émotion, l'horreur, jouer de l'apitoiement et de l'indignation ;

jamais l'art d'exploiter le frisson ne fut plus magnifiquement pratiqué dans la presse. […] Le

chef d'œuvre fut atteint avec l'assassinat du siècle, celui des huit membres de la famille Kinck

par Tropmann. Cette affaire fit en une semaine monter le tirage à 357 000 exemplaires le jour

de la découverte des cinq premiers cadavres le 23 septembre 1869, à 467 000 lors de la

découverte du 8

e

et à 596 000 le jour du procès en décembre" (Albert 1977 : 121-122, et 190,

note 50).

"J.B. Troppmann, jeune mécanicien, avait, dans l'espoir d'un gain de quelques milliers

de francs, assassiné les 8 membres de la famille Kinck. Chacun des épisodes de l'affaire

entraîna une augmentation formidable de la diffusion du Petit Journal. Le 20 septembre, on

découvrit les six premiers cadavres dans la plaine de Pantin (357 000 ex.), le 24 septembre

Troppmann fut arrêté (448 000 ex.), le 25 novembre, on finit, enfin, par découvrir en Alsace

celui du père qu'on avait longtemps soupçonné d'avoir été le complice de Troppmann dans

cette horrible affaire (467 000 ex.). Le procès aux assises de la Seine eut lieu du 28 au 30

décembre (593 000 ex.) : l'exécution suivit le 19 janvier 1870. On comprend que Millaud ait

alors déclaré : « Il n'y a plus rien à faire ; Troppmann a gâché le métier. On ne peut plus

raconter de crime : il faudrait en commettre soi-même »" (Albert 1977 : 1367, note 4).

"Avec la suppression du timbre, Le Petit Journal était devenu politique et il avait tout

naturellement choisi le camp républicain : s'il s'était rangé dans le camp conservateur il se

serait aliéné la plupart de ses lecteurs. Mais, à la différence de toutes les autres feuilles de la

période, la politique n'était pas la raison fondamentale de son succès : celui-ci tenait à son

style, à sa conception rédactionnelle, mais aussi à sa très efficace politique de diffusion, très

en avance sur les méthodes et l'organisation de vente des autres journaux" (Albert 1977 :

1324). "Politiquement, Le Petit Journal fut républicain et jamais il ne faillit à défendre une

République idéale, modérée, réconciliatrice. […] Sur le plan social il ne pouvait ignorer la

question ouvrière, puisqu'une bonne partie de ses lecteurs se recrutaient dans le monde

ouvrier, mais il avait aussi beaucoup de lecteurs dans les petites villes et les bourgs des

campagnes et sa position était très conservatrice" (Albert 1976 : 221). "Le Petit Journal rendit

d'éminents services à la cause républicaine et son influence sur les votes de ses lecteurs fut

décisive. […] Cette influence fut d'autant plus grande que ses positions républicaines furent

plus modérées : le souci d'élargir sans cesse sa clientèle empêchait ses dirigeants de l'engager

dans les polémiques et dans le journalisme de combat ; ses lecteurs, en majorité provinciaux,

auraient mal reçu un journal trop ouvertement engagé à gauche. […] L'idéologie du Petit

Journal était clairement centre gauche et reflétait celle des notables républicains. Pourtant, par

delà cette modération et ce désir de conciliation, la fermeté de ses positions dans les grandes

crises, son refus exprimé, sans éclat, mais aussi sans nuances, de transiger avec l'ordre moral,

en firent un des plus solides soutiens de la cause républicaine" (Albert 1977 : 1343-1344).

4.1.2. L'apogée et l'amorce du déclin (1881-1914).

Après la mort de Moïse Polydore Millaud en 1871, la mauvaise gestion du journal avait

entraîné une accumulation de dettes ; l'entreprise fut finalement sauvée par la Société

d'exploitation du Petit Journal, et, en 1880, celle-ci était bénéficiaire. "En 1880, à lui seul, Le

Petit Journal assurait plus du quart du tirage des quotidiens parisiens. Aucun journal au

monde ne pouvait alors se comparer à ce « petit » géant. Certes l'actualité pouvait affecter le

tirage : ainsi en 1873 le procès Bazaine le fit, à la mi-octobre, monter de 280 000 à 380 000, et

au 24 mai la chute de Thiers lui fit gagner quelque 30 000 acheteurs supplémentaires. Lors de

la crise du 16 mai, les interdictions de vente sur la voie publique entraînèrent une forte chute

du tirage qui, de 550 000 en mai, passa à moins de 430 000 pour la période de mai à

novembre. Certes encore, un « bon » roman-feuilleton pouvait faire gagner quelques milliers

d'exemplaires supplémentaires, mais dans l'élan de la croissance, les à-coup étaient désormais

beaucoup moins sensibles que sous le Second Empire : indice très net de la régularité d'achat

du journal par la clientèle populaire qui n'était plus seulement attirée par des événements ou

des textes exceptionnels, mais qui avait acquis l'habitude de lire son petit journal tous les

jours". À cette date, malgré la modicité du prix de l'abonnement, la vente au numéro

représente environ 96 % des ventes (Albert 1977 : 1325-1326).

À partir de 1890, Le Petit Journal s'est trouvé exposé à la concurrence du Petit Parisien,

qui, sous la direction de Jean Dupuy, amorçait un développement spectaculaire. D'un million

d'exemplaires en 1890, Le Petit Journal ne tire plus qu'à 835 000 exemplaires en 1914

(Delporte et al. 2016 : 14), tandis que son concurrent atteint le million en 1902 et culmine à

1,45 million en 1914. La réussite du Petit Parisien est due en partie à la création d'un réseau

et breton. L'organisateur de ce réseau, J. Manceau, y gagna le surnom de "tombeur du Petit

Journal" (Albert 1976 : 309).

4.1.3. La décadence (1914-1939).

À partir de 1914, le tirage continue à baisser, "du fait surtout de la chute de ses ventes à

Paris car, dans les départements, les lecteurs ruraux lui restaient plus fidèles" (Albert 1976 :

430). Divers avatars accentuèrent sa chute (changements de propriétaires, changements de

rédacteurs), mais, "faute de renseignements précis sur les divers changements survenus dans

sa propriété, son histoire reste mal connue" (Albert 1976 : 516). En 1932, la modernisation de

la formule du journal (plus grand nombre de photos, passage à dix-huit pages), visant à

reconquérir la clientèle des grandes villes, n'apporte pas les résultats escomptés. En 1936, les

prises de position du journal (soucieux de l'affaiblissement de notre défense nationale ;

anti-hitlérien, mais moins critique envers l'Italie fasciste) éloignent les anciens lecteurs sans lui en

gagner de nouveaux. Enfin, le 14 juillet 1937, Le Petit Journal devient officiellement l'organe

du Parti Social Français (PSF) du colonel François de la Roque (Albert 1976 : 517-518). En

première page, on peut lire : "DIRECTEUR : LA ROQUE", ainsi que l'encart en haut à

gauche : "L'ordre français a toujours reposé sur trois éléments : TRAVAIL, FAMILLE,

PATRIE". Désormais, de journal d'information, Le Petit Journal est devenu un organe

militant du PSF. La ligne éditoriale change brutalement : soutien aux nationalistes espagnols,

anticommunisme, critique quotidienne du Front populaire, éditoriaux presque quotidiens de

La Roque, louanges de l'action sociale du PSF, etc. Sous l'occupation, Le Petit Journal se

replia à Clermont-Ferrand, et continua à paraître jusqu'en 1944, malgré l'arrestation, le 9 mars

1943, de son directeur, passé à la Résistance.

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