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Brève histoire de Paris-Soir

Dans le document Jeux-concours et référendums de presse (Page 116-120)

8. Paris-Soir

8.1. Brève histoire de Paris-Soir

"Son succès marque dans l'histoire de la presse française une étape comparable en

importance à la naissance du Petit Journal à la fin du Second Empire, mais cette révolution

n'eut pas la chance de produire tous ses effets car la guerre l'interrompit brutalement, en plein

succès" (Albert 1976 : 522). Toutefois, le succès ne vint réellement qu'à partir de la prise en

main de Paris-Soir par Jean Prouvost, en 1930. On estime le tirage de Paris-Soir à 50 000

exemplaires en 1930 (Delporte et al. 2016 : 104) ; Jean Prouvost lui fera dépasser les deux

millions en 1936.

octobre 1931 : 130 000 juin 1933 : 1 000 000 août 1936 : 2 375 000

mars 1932 : 260 000 septembre 1933 : 880 000 juin 1937 : 1 600 000

octobre 1932 : 260 000 septembre 1934 : 1 000 000 mars 1939 : 1 700 000

Estimation du tirage de Paris-Soir au cours des années 1930

(Barillon 1959 : 97 ; Albert 1976 : 524).

8.1.1. Le Paris-Soir d'Eugène Merle et d'Alexis Caille (1924-1930).

Paris-Soir a été fondé en 1923 par Eugène Merle, dans l'espoir de conquérir la sixième

place des quotidiens parisiens, après les cinq grands quotidiens du matin (L'Écho de Paris, Le

Journal, Le Matin, Le Petit Journal, Le Petit Parisien). L'entreprise n'allait pas de soi : "Les

« Cinq grands » attirent à eux chaque matin la plus grande partie de la clientèle parisienne. Un

quotidien du soir a-t-il quelque chance de conquérir la sixième place ? Alors que depuis

toujours l'immense majorité des Parisiens a l'habitude de lire son journal dans le métro ou

l'autobus du matin, peut-on concevoir un tel bouleversement, non seulement journalistique,

mais aussi sociologique ?" (Barrillon 1959 : 22).

Lors de sa création, Paris-Soir se situe très à gauche. Son fondateur, Eugène Merlot, dit

Merle, a milité dans des groupes révolutionnaires marseillais et à collaboré à des feuilles

anarchistes, comme La Guerre Sociale de Gustave Hervé. En mai 1919, il a créé le journal

satirique Le Merle Blanc, qui a obtenu un certain succès. En février 1923, il lance un journal

financier, Paris-Soir, qu'il transformera ensuite en journal politique (Albert 1976 : 522-523).

Dans le premier éditorial de ce Paris-Soir nouvelle formule (4 octobre 1923), il présente en

ces termes le nouveau venu :

Voici P

ARIS

-S

OIR

Je vous en prie, ne cherchez pas !

Derrière « PARIS-SOIR » il n'y a personne. Mais il y a quelque chose : la confiance que

des milliers de braves gens n'ont cessé de me témoigner depuis la constitution de notre Société -

la S.E.P.T. - pour réaliser l'œuvre que nous présentons aujourd'hui au grand public de la

Capitale. […]

Est-ce bien utile de dire, puisqu'une déclaration accompagne toujours la naissance d'un

journal, que « PARIS-SOIR » n'est pas l'organe d'un groupement d'intérêts financiers ou

économiques ;

ni le bulletin d'un clan électoral ;

ni la gazette d'un parti politique étroitement délimité ;

ni l'oracle de quelque chapelle parlementaire bien en cour, ou en passe de le devenir ;

Je vais plus loin : ni même un journal d'opinion, suivant l'acception courante du terme.

Ce qui ne veut pas dire, évidemment, que « P

ARIS

-S

OIR

» ne publiera pas des opinions.

Attention ! Des opinions républicaines, il va de soi. Car « P

ARIS

-S

OIR

» est comme le grand

cœur de Paris - à gauche !

Dans sa présentation, le Paris-Soir d'Eugène Merle se distingue peu des autres

quotidiens ; mais il est le seul journal du soir à présenter un fait divers en première page (ce

que font tous les grands journaux du matin). En outre, il donne aux événements extérieurs une

plus grande place que ne le font les quotidiens du matin (Barrillon 1959 : 25). Mais malgré la

qualité de son équipe rédactionnelle (Henri Béraud, Victor Méric, Paul Reboux) et de ses

collaborateurs occasionnels (Herriot, Laval, Paul-Boncour, Painlevé, Daladier), le journal est

en déficit dès 1924, et le taux d'invendus atteint 18 % des tirages. Merle trouve alors un appui

auprès du Journal, dont il devient "une sorte de satellite du soir", qui vire progressivement à

droite ; Eugène Merle cesse d'y écrire dès juin 1926 (Albert 1976 : 524, et note 3).

Entre le départ d'Eugène Merle et l'arrivée d'un nouveau directeur, Alexis Caille, en

1928, "il y a peu à dire de cette nouvelle et brève période. Paris-Soir multiplie les concours,

illustre son feuilleton, et a de plus en plus tendance à suggérer à ses lecteurs de médiocres

sujets de méditation". Bien que le nouveau directeur ait développé les faits divers et lancé une

troisième édition de huit pages, avec un complément sportif et hippique (Barrillon 1959 : 46),

le journal ne décolle pas.

8.1.2. Le Paris-Soir de Jean Prouvost (1930-1944).

Paris-Soir est racheté le 16 avril 1930 par l'industriel Jean Prouvost, propriétaire de

Paris-Midi depuis 1924. Au début, il y a peu de changements. "Dans les premiers mois de

1931, on voit, certes, augmenter simultanément le nombre de clichés et celui des crimes qui

ont droit aux honneurs de la une ; mais c'est seulement le 2 mai qu'apparaît sous le titre une

formule qui porte en elle la promesse de la plus étonnante réussite journalistique que l'on aura

jamais vue. Paris-Soir annonce qu'il devient « un grand quotidien d'informations illustrées »"

(Barrillon 1959 : 54-55). Ce numéro du 2 mai 1931 annonce de surcroît, dans un encadré de

première page, les grands traits de la nouvelle formule qui fera son succès :

L'image est devenue la reine de notre temps

Nous ne nous contentons plus de savoir, nous voulons voir.

Tout grand journal d'informations tend à placer, à côté de la nouvelle, le document

photographique qui non seulement l'authentifie, mais en donne la physionomie exacte.

Puisque Paris-Soir est un journal de Paris, et que son heure de mise en vente lui permet

de saisir par l'objectif les principaux événements de la journée, nous avons pensé que l'image

pouvait y tenir une place plus grande encore.

Paris-Soir vient d'accomplir en ce sens un effort qui, dès à présent, est sensible, mais qui

ira en s'accentuant. S'il reste essentiellement un grand quotidien d'informations, il présentera,

dans toute la mesure du possible, ses informations illustrées. Ses lecteurs y trouveront, mêlés au

texte, les documents photographiques les plus récents et les plus rares.

Toutefois, notre journal serait incomplet s'il oubliait qu'il doit aussi divertir, égayer ou

instruire ses lecteurs. C'est pourquoi Paris-Soir, sur sa deuxième page, réunit les éléments les

plus vivants de la littérature contemporaine : les chroniques signées des noms les plus brillants,

les contes ou les romans des conteurs les plus aimés, les reportages écrits par nos meilleurs

reporters, enfin la série des échos les plus piquants. […]

Nous avons pleine confiance que le succès répondra à nos efforts et que les lecteurs de

Paris-Soir, dont la foule s'accroît sans cesse, nous accorderont une faveur qui sera le meilleur

des encouragements.

"À l'heure où explosent les médias du son et de l'image, où la radio rythme bientôt le

quotidien des foyers, où le cinéma français et hollywoodien nourrit l'imaginaire collectif, où

de nouvelles couches sociales accèdent aux distractions, les journaux doivent d'urgence se

conformer aux changements rapides des modes de vie et des aspirations qu'ils provoquent.

Les lecteurs veulent de l'information vivante, instantanée, variée, qui soit fiable mais raconte

une histoire, qui parle certes à leur raison mais aussi à leurs émotions, qui les éclaire mais

aussi les fasse sourire ou rêver, qui les rapproche du reste du monde mais s'adresse aussi

directement à eux. Un quotidien comprend toutes ces envies : Paris-Soir, de l'industriel Jean

Prouvost. En quelques années, il submerge la presse parisienne par son succès, atteignant

parfois les deux millions d'exemplaires par jour. Ses concurrents n'ont d'autre choix que de

l'imiter, sans jamais dépasser le stade de la pâle copie" (Delporte et al. 2016 : 92).

En quelques mois, le tirage de Paris-Soir passe de 60 000 exemplaires à 134 050 ; il ira

en augmentant d'année en année. En juin 1933, Paris-Soir tire à un million d'exemplaires ;

pour le 25 avril 1936, il annonce (dans son numéro daté du 27) le tirage record de 2.375.117

exemplaires. La plupart des exemplaires sont vendus, non sur abonnement, mais à la criée.

"Paris-Soir, à la veille de la seconde guerre mondiale, est une immense réussite industrielle"

(Barrillon 1959 : 97). Car désormais, "lorsque le lecteur n'achète qu'un journal, sa préférence

va au quotidien du soir. À la fin des années 1930, la radio lui fournit les nouvelles du matin et

la réduction de la journée de travail permet aux employés et aux ouvriers de rentrer plus tôt

chez eux, ce qui leur donne le temps de lire tranquillement le journal du soir". En outre,

Paris-Soir concurrence les journaux de province : ses éditions sont prêtes à être expédiées vers 17

heures, et arrivent en province en même temps que les éditions locales du matin (Delporte et

al. 2016 : 108-109).

Jean Prouvost a fait preuve à cette occasion "de sens de l'organisation, de flair dans le

choix de ses collaborateurs, de génie publicitaire. Il est vrai de dire qu'on n'avait jamais

rencontré jusqu'alors et qu'on n'a jamais rencontré depuis, du moins dans la presse française,

un art aussi grand à séduire, à réduire et à annexer le lecteur. […] Si les chiffres attestent une

réussite commerciale sans équivalent dans le domaine de l'information, l'évolution d'un

journal qui devient d'année en année moins politique et moins engagé témoigne d'une double

et lente décadence. Celle d'un public qui fuit de plus en plus le texte pour l'image, l'idée pour

l'impression ou la sensation, la réalité pour le songe. Celle d'une presse qui perd toujours

davantage le sens de ses devoirs et de sa mission, pour ne plus songer qu'à son tirage"

(Barrillon 1959 : 10).

Après la défaite de 1940, les Allemands font reparaître Paris-Soir sous la direction d'un

"imprimeur gérant" à leur solde, Pierre Schiesslé. Le véritable Paris-Soir se replie en zone

non occupée. Le 12 novembre 1942, au lendemain de l'invasion de la "zone libre" par les

Allemands, l'édition de la zone non occupée publie, "sans passer par la censure, un numéro à

tirage exceptionnel dans lequel Paris-Soir explique que la disparition de la liberté le contraint

au silence". Mais Pierre Laval et les Allemands menacent d'envoyer au S.T.O. le personnel du

journal… "Après huit jours d'interruption Paris-Soir s'incline et reparaît, mais continue de

mener une petite guerre d'usure contre l'occupant et la censure" (Barrillon 1959 : 262). Il sera

toutefois suspendu à la Libération.

8.1.3. Jeux et concours.

"Au royaume de Jean Prouvost, la règle d'or sera de faire en sorte qu'une innovation

chasse l'autre, et que le lecteur se trouve emporté dans une sorte de tourbillon". Les

innovations sont constantes : échos, contes, indiscrétions, papotages ; supplément pour les

turfistes ; rubriques internationale et économique ; chronique hebdomadaire signée par un

écrivain célèbre ; météo ; recette de cuisine du jour ; horoscope quotidien ; suppléments

illustrés (Sprint, Paris-Soir Dimanche) ; tribune libre ; reportages collectifs ; faits divers

(crimes, exécutions capitales) ; belles histoires d'amour des grands de ce monde ; etc.

(Barrillon 1959 : 72-85)

La participation des lecteurs est encouragée. Une initiative originale a même été

suggérée par l'un d'eux : "Ce sont nos lecteurs eux-mêmes qui poseront les questions

auxquelles on leur demandera de répondre" (23 février 1937, pages 1 et 5). Ainsi, chaque

jour, une sélection sera faite dans les suggestions de questions adressées par les lecteurs ;

deux reporters iront ensuite interroger quelques personnes prises au hasard. L'auteur de la

question retenue recevra 100 francs, et chacun des interviewés, 50 francs.

Dans un tel contexte, les jeux et les concours sont légion. Certains ne demandent aucun

effort aux lecteurs, et font appel au seul hasard. Par exemple, deux billets de 5 francs, dont les

numéros sont publiés, sont mis en circulation ; le lecteur qui rapportera l'un de ces billets

touchera 250 francs ("concours 5 fr. = 250 fr."). Le "concours du billet de métro" et celui de la

loterie nationale reposent sur le même principe. Celui de la photo "à votre insu" est plus

original, et durera plusieurs années. Son principe est simple. Une photo, prise dans un lieu

public, est publiée dans le journal ; un losange entoure le visage d'un des personnages. Le

lecteur qui s'y reconnaît gagne un prix de 500 francs.

Quelques concours reposent sur les pronostics faits par les lecteurs : gagnants du Tour

de France ; "maillot jaune" à chacune des étapes ; résultats de l'épreuve principale du

concours hippique hebdomadaire ; nombre de visiteurs payants à l'exposition universelle de

1937.

Les jeux les plus intéressants sont ceux qui demandent le plus d'efforts aux lecteurs. Par

exemple identifier un journaliste sportif à partir d'un pastiche de son style (1927) ; prendre sur

le vif la photo d'un événement (1932) ; proposer des recettes de cuisine originales (1933) ;

enfin, rédiger des histoires marseillaises inédites (1933), des contes ou nouvelles (1932,

1936), voire des pastiches de l'éditorial radiophonique quotidien de Paul Reboux (1936). Un

autre concours original est le concours de témoignages : "Qu'avez-vous vu et entendu ?".

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Dans le document Jeux-concours et référendums de presse (Page 116-120)