7. Le Journal
7.1. Brève histoire du Journal
Le Journal a été créé en 1892 par Fernand Xau (1852-1899), d'abord journaliste au
Phare de la Loire, puis secrétaire du député la Loire-Inférieure, collaborateur de différents
journaux, et, en 1892, reporter à l'Écho de Paris.
Pierre Albert déplore que, faute d'archives, il ne soit pas possible de préciser l'évolution
des tirages du Journal (Albert 1976 : 520). En utilisant diverses sources, on arrive toutefois à
retracer, en dépit de quelques contradictions ou incohérences, l'évolution du tirage du Journal
comme suit :
Année Estimation Sources
1900 500 000 Delporte et al. 2016 : 15
1904 600 000 Albert 1976 : 315
1908 entre 725 000 et 750 000 Albert 1976 : 315 ; Albert et al. 1977 : 51
1910 entre 810 000 et 815 000 Albert 1976 : 296 ; Albert et al. 1977 : 57.
1912 entre 640 000 et 995 000 Albert et al. 1977 : 57 ; Albert 1976 : 296, 315.
1913 1 000 000 Albert 1976 : 315.
1914 1 000 000 Delporte et al. 2016 : 14.
1917 entre 885 000 et 1 201 000 Albert 1976 : 428 ; Delporte et al. 2016 : 68.
1919 400 000 Albert 1976 : 516.
1928 756 000 Delporte et al. 2016 : 68.
1936 entre 220 000 et 900 000 Albert 1976 : 516, 521 ; Albert et al. 1977 : 65.
1937 156 000 Albert 1976 : 516.
1939 entre 178 000 et 411 021 Albert 1976 : 511, 516, 521.
Estimation de l'évolution du tirage du Journal
28.
7.1.1. Les débuts (1892-1899).
"La campagne de lancement du Journal, dont le premier numéro parut le 28 septembre
1892, est restée célèbre dans les annales du journalisme. Paris fut littéralement couvert
d'affiches, de banderoles, inondé des 200 000 exemplaires de la nouvelle feuille. Son
directeur, Fernand Xau, avait été l'imprésario de la tournée du cirque de Buffalo Bill en
France". Celui-ci avait déclaré à son ami Arthur Meyer : "Je voudrais être au Figaro et au
Gaulois ce qu'ils ont été eux-mêmes aux grandes revues. Je voudrais lancer un journal
28
Selon les sources, il peut s'agir soit du tirage annuel moyen, soit du tirage annuel maximal, soit du tirage d'un
littéraire à un sou et mettre à la portée des petits commerçants, des ouvriers, des instituteurs,
des employés un peu de littérature. Ce serait la table d'hôte à prix réduit" (Albert 1976 : 314).
Le premier numéro du Journal porte en bandeau, sous le titre, l'annonce de ses
intentions : "Quotidien, Littéraire, Artistique et Politique". En première page, il se présente en
ces termes :
Le Journal n'a pas besoin d'exposer un long programme au public, en se présentant à lui
et en sollicitant sa bienveillance. Ce programme, porté à sa connaissance par un grand nombre
de ses confrères et aussi par la voie de la publicité, a rencontré tant de sympathies et provoqué
tant d'encouragements que nos premières paroles doivent être des paroles de remerciements. Le
Journal avait, en effet, conquis sa place avant même de voir le jour, - et le grand mouvement
d'opinion, qui avait précédé sa fondation devait lui valoir de voir s'acharner après lui la rage -
impuissante - de l'envie.
Le Journal s'est appliqué surtout à répondre au sentiment général.
Nous vivons à une époque où l'instruction a rendu accessible à tous les grandes
manifestations de l'esprit et où - le cycle héroïque en politique étant fermé - on est épris d'art et
de littérature. De là la première partie de ce journal, - journal de combat littéraire et artistique où
les jeunes auront leur place à côté de leurs aînés et où l'incessante activité de leur talent pourra
s'exercer en toute liberté - à l'ombre des grands noms qui ne dédaignent pas de s'associer à nos
efforts et à jeter sur le Journal un vif éclat.
Mais si c'est là un des côtés les plus intéressants de l'œuvre que nous fondons aujourd'hui,
il en est un autre qui mérite d'être signalé. Nous voulons faire un journal d'informations rapides,
dans la formule la plus moderne et la plus complète. […]
C'est précisément parce que nous voulons unir le journal littéraire au journal
d'informations ; c'est parce que nous voulons créer un organe qui soit comme la synthèse des
journaux existants, que nous avons pris ce simple titre : le Journal. […]
Nous estimons que dans ce grand pays de France, - la terre classique du goût et de l'esprit
- il ne restait qu'un journal à créer, celui qui, tout en donnant satisfaction aux légitimes
préoccupations du public, désireux d'être informé - vulgarisait par la modicité de son prix les
œuvres d'une génération de littérateurs qui imprimera à ce siècle la marque de son génie.
C'est ce journal que nous voulons essayer de faire.
Ce premier numéro, de quatre pages, publie à la "une" un texte de Séverine
29, Les
casseuses de sucre. Notes d'une gréviste, qui est une charge contre l'industriel Sommier, après
que ce dernier ait refusé une augmentation à ses ouvrières chargées de casser les pains de
sucre. En page deux commence un feuilleton d'Oscar Méténier, "La nymphomane. Étude
passionnelle", qui paraîtra en livre l'année suivante. Par la suite, Xau "sut attirer, par des
contrats très généreux, l'élite littéraire de l'époque. Catulle Mendès, Gyp, Armand Sylvestre,
Lucien Descaves, Barrrès, Pierre Wolff, Mirbeau, Coppée, Zola même parfois, Léon Daudet,
Jules Renard, Paul Arène vieillissant, Paul Bourget, Jean Richepin, Jean Lorrain, Raoul
Ponchon dont la « gazette rimée » reste un des chefs-d'œuvre de la littérature journalistique,
Alphonse Allais, Tristan Bernard, Courteline… y publiaient des articles et des contes, parfois
très légers, souvent pleins d'un humour dont nous saisissons mal aujourd'hui les ressorts"
29
Caroline Rémy, épouse Ghebhard (1855-1929), est une militante féministe très active. Sous le nom de
Séverine, elle a participé à de nombreuses manifestations en faveur des droits des femmes, et publié plusieurs
livres et articles.
(Albert 1976 : 314). Le succès du journal fut rapide, au point que L'Écho de Paris, durement
concurrencé, dut baisser le prix du numéro à 5 centimes (ibid. :315).
7.1.2. L'apogée (1900-1918).
Après la mort de Fernand Xau, Le Journal subit de profondes transformations : il fut
l'un des premiers journaux français à utiliser des linotypes, et il augmenta la place dévolue
aux informations et aux reportages. Mais "sa ligne politique manquait de netteté. Pendant
l'affaire Dreyfus, il suivit les événements sans passion apparente mais accueillit souvent des
écrivains dreyfusards comme Mirbeau. […] Après 1911, Ch. Humbert en devint le directeur
politique et l'orienta à droite dans un sens très nettement militariste" (Albert 1916 : 315). "La
personnalité très remuante de Charles Humbert, son directeur politique, entretenait cependant
au sein de la rédaction bien des malaises. Ancien officier d'intendance, entré au Matin, il avait
été élu, en 1906, député de Verdun puis sénateur de la Meuse en 1907. […] Spécialiste au
Parlement des questions militaires, il avait écrit, en 1907, une brochure Sommes-nous
défendus ? où il réclamait une réorganisation de l'armée, et surtout un accroissement de
l'artillerie et une consolidation de nos fortifications de l'Est. […] Il est fort probable que
Humbert, personnage plein de suffisance et de confiance en lui, retors et habile en affaires,
était, dès cette époque, lié à certains milieux de la grande industrie" (Albert 1976 : 431).
C'est pendant la première guerre mondiale que Le Journal atteignit ses tirages les plus
élevés. Toutefois, des difficultés internes (problèmes financiers, et conflits avec Charles
Humbert) poussèrent son propriétaire, Henri Letellier, à tenter de vendre Le Journal ; mais il
peina à trouver un acquéreur. Des négociations complexes furent engagées à partir d'avril
1915, tractations dont les divers protagonistes furent Pierre Lenoir (un "viveur dépravé", placé
sous la tutelle d'un conseil judiciaire), Guillaume Destouches (son avoué), Arthur Schœller
(un industriel allemand, contacté par l'intermédiaire du prince Radowitz, diplomate de la
Wilhelmstrasse), Paul Bolo dit "Bolo Pacha" (affairiste marseillais contacté par Charles
Humbert), et von Bernstorff (ambassadeur d'Allemagne aux États-Unis). L'entrée en guerre
des États-Unis permit de découvrir l'origine allemande des capitaux engagés, et les procès qui
suivirent se soldèrent par deux condamnations à mort (Paul Bolo et Pierre Lenoir, qui furent
effectivement exécutés), une condamnation à cinq ans de prison (Guillaume Destouches), et
un acquittement à la minorité de faveur (Charles Humbert). À la fin de la guerre, Henri
Letellier retrouva donc son journal, qu'il n'avait pas réussi à vendre (Albert 1916 : 432-433).
7.1.3. Le déclin (1919-1939).
En 1919, Le Journal avait perdu la moitié de ses lecteurs. Pourtant, son contenu restait
de qualité : les pages littéraires étaient "d'une variété et d'une qualité remarquables", Colette y
tenait le feuilleton dramatique hebdomadaire, Clément Vautel y rédigeait quotidiennement
une rubrique cinématographique, les articles politiques de Saint-Brice "faisaient autorité", son
équipe de reporters était nombreuse, et comptait dans ses rangs des signatures prestigieuses.
du monde des lettres, des arts et des sciences. C'était un journal bien fait, vivant, à la mise en
page claire, qui sut adapter sa formule aux modes du moment" (Albert 1976 : 521).
La place accordée à la politique fut plus importante qu'avant la guerre. Bien
qu'anticommuniste, Le Journal se montra toujours réservé envers les mouvements
d'extrème-droite. "Son attitude lors des événements de février 1934 fut très prudente et son opposition au
front populaire moins virulente que celle de son concurrent [Le Matin]. En politique,
Saint-Brice, toujours foncièrement hostile à l'Allemagne, défendit l'application très stricte des
traités ; il manifesta une grande réserve à l'égard de la politique de Briand et, dès 1935, le
journal fut antihitlérien. Il accepta Munich sans illusion. Naturellement antisoviétique, il
croyait à la politique d'alliance avec l'Italie fasciste et soutint Laval en 1935. Le 31 juillet
1939 encore, il publia une longue interview de Mussolini. Dès 1938, Le Journal prévoyait la
guerre inévitable" (ibid. : 521-522).
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Dans le document
Jeux-concours et référendums de presse
(Page 103-106)