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2. LES MONOGRAPHIES DES INITIATIVES RECENSÉES

2.14. Boutique 10 000 villages

Jérôme Leblanc

Historique et nature de l’initiative

La boutique Dix mille villages (DMV) est un organisme a but non lucratif qui a ouvert ses portes en 2001 sur la rue St-Denis à Montréal grâce à une subvention de la CDEC Centre-Sud/Plateau Mont-Royal et un prêt de Ten Thousand Villages Canada. Elle constitue le premier projet d’économie sociale de l’organisation MondÉquitable et est spécialisée dans le commerce de l’artisanat équitable. La boutique compte quatre employé(e)s dont une immigrante en insertion sociale qui, lors de l’enquête, avait été référée par l’organisme d’accueil aux immigrants

L’Hirondelle. Toutefois, le personnel est surtout composé de bénévoles (plus de soixante-dix) qui

se relayent afin d’assurer le service à la clientèle, la disposition des produits, l’entretien du magasin et plus.

Les produits équitables vendus chez DMV proviennent de deux types de sources. Tout d’abord, DMV importe la majorité de ses produits par l’intermédiaire de l’organisme Ten Thousand

Villages Canada, fondé en 1946 par la communauté Mennonite aux États-Unis, qui a de

nombreux liens avec des communautés des pays du Sud, généralement regroupées en coopératives. Celles-ci sont certifiées équitables par l’International Federation of Alternative

Trade (IFAT)104 dont Ten Thousand Villages est un des membres fondateurs. Il existe un grand

103 Monographie rédigée en janvier 2005.

104 Il faut préciser ici que l’IFAT ne certifie pas les produits équitables et qu’il n’y a pas actuellement de certification pour l’artisanat équitable, l’IFAT certifie plutôt les coopératives de producteurs d’artisanat équitable dans les pays du Sud et les boutiques qui commercialisent les produits d’artisanat équitable. Ainsi, si l’organisme Transfair certifie les produits équitables de consommation vendus au Canada tels le Café, le thé et le Cacao, il n’y pas d’organismes certificateurs des produits d’artisanat équitable.

réseau de boutiques Ten Thousand Villages en Amérique du Nord, mais elles ne font pas toutes partie intégrante du réseau. Dans ce cas-ci, DMV n’en fait pas partie, leur relation avec le réseau est strictement commerciale, mais DMV doit, pour bénéficier de cette relation, partager certaines des valeurs sociales du réseau (valeurs religieuses exclues).

Les autres sources d’approvisionnement d’artisanat équitable de DMV proviennent de communautés avec lesquelles la boutique a établi des liens par l’intermédiaire d’organismes actifs au niveau international (CECI principalement, mais aussi OXFAM et Équiterre). Ces communautés doivent être certifiées, ou en voie d’être certifiées, par l’IFAT également. Le processus de certification demandé par les communautés souhaitant procéder au commerce équitable est souvent préalablement suggéré par DMV ou les trois organismes mentionnés. D’ailleurs, ces derniers, dans plusieurs cas, ont participé eux-mêmes à la création des coopératives par l’intermédiaire de leurs coopérant(e)s dans les pays du Sud. L’importation est ici assurée par DMV qui donne 50 % du coût d’achat avant la livraison et le reste à la réception, de façon à ce que les producteurs puissent se procurer les matériaux de fabrication et puissent subvenir à leurs besoins les plus urgents. Un des critères pour le choix des coopératives partenaires est qu’il faut que la communauté qui les forme vive une certaine marginalisation et une certaine pauvreté (l’IFAT a d’autres critères pour la certification des coopératives : vie démocratique, égalité des sexes, protection de l’environnement, transparence, conditions de travail saines, et plus). Il faut préciser aussi qu’une faible proportion des producteurs du Sud avec lesquels DMV fait affaires n’est pas encore regroupée en coopérative.

Afin de conserver sa clientèle, DMV cherche toujours à augmenter le nombre de produits qu’elle vend et le nombre de producteurs avec lesquels elle fait affaires, tout en conservant des partenariats à long terme avec les producteurs. DMV vend également des produits de consommation équitables tels que le café, le thé et le sucre. Ces derniers proviennent d’organismes tels Équita (Commerce équitable OXFAM-Québec), La Siembra et Just Us. Ces produits sont tous certifiés équitables par Transfair Canada.

Jusqu’à maintenant, DMV a toujours eu un rôle de détaillant, mais suite à de nombreuses demandes, la boutique souhaite vendre à d’autres détaillants à condition que ces derniers respectent les critères suivants : qu’ils aient un étalage équitable distinct, qu’ils fassent la promotion du commerce équitable et que leur marge de profit ne soit pas trop élevée. Une des raisons pour lesquelles ils prennent cette avenue est qu’ils ont découvert que d’autres détaillants (sans liens avec le commerce équitable) venaient s’approvisionner chez eux et revendaient leurs produits beaucoup plus cher. Selon la loi, DMV ne peut refuser de vendre ses produits à quiconque désire les acheter.

DMV connaît une croissance continue d’années en années. Son chiffre d’affaires était en 2004 de 600 000 $. La moitié de leur chiffre d’affaires de 600 000 $ CA va aux producteurs des pays du Sud. En 2005, cinquante cinq pour cent (55 %) de ses revenus vont à l’achat d’inventaires auprès des artisans des pays en développement, 38 % sont consacrés aux frais de gestion et 7 % sont réservés pour développer de nouveaux projets dans le domaine du commerce équitable.

Mis à part les nombreux collaborateurs déjà énumérés, les partenaires de DMV s’étendent au travers de réseaux plus importants, tels que la Table de concertation sur le commerce équitable et le Réseau d’entreprises d’économie sociale et solidaire. DMV participe également dans sa boutique à des levées de fonds pour plusieurs causes.

Au niveau de la gouvernance, les décisions sont prises par un conseil d’administration élu par une assemblée générale.

Discours sur la solidarité

Le discours de DMV, qui prend ses sources de MondÉquitable, est articulé autour d’une critique du commerce traditionnel. Selon eux, la pauvreté provient en partie de l’inégalité des échanges internationaux. Afin d’offrir une alternative à ces derniers, DMV privilégie donc les partenariats économiques équitables avec les communautés défavorisées des pays du Sud, tout particulièrement les associations de femmes qui constituent un groupe davantage marginalisé. Mais ces partenariats dépassent la simple relation commerciale et impliquent un engagement à long terme et des projets de développement durable chez les communautés au Sud, et cela autant au niveau économique qu’au niveau de la santé, de l’écologie, de l’éducation et de la gestion participative. Leur démarche découle donc d’un esprit de solidarité envers les communautés défavorisées des pays du Sud pour une plus grande justice sociale au niveau mondial. De concert avec ses activités de commerce équitable, DMV prône la consommation responsable comme valeur essentielle.

Réflexions sur le fonctionnement

Une certaine problématique assez spécifique au commerce équitable des produits de l’artisanat est présente chez DMV. Quelques commerçants « traditionnels » ont acheté des objets à la boutique pour les revendre dans leur propre commerce tout en tirant de cela un profit pouvant aller jusqu’à 300 % affirme la directrice de la boutique. Leur prix n’étant pas très élevé en comparaison avec les boutiques d’artisanat dites « traditionnelles », les produits d’artisanat équitables font l’objet de convoitise des autres boutiques traditionnelles. Le problème réside notamment dans le fait que la loi empêche une boutique de refuser de vendre des produits à des individus. Et selon les principes de DMV, un produit provenant du commerce équitable ne doit pas servir à réaliser des profits exorbitants, sinon il perd de sa valeur équitable. De façon approximative, la directrice de DMV affirme que la vente d’un tel produit ne devrait pas générer plus de 50 % de profit. Il serait immoral, selon elle, de réaliser des profits faramineux à partir du commerce équitable, même si le producteur a été payé beaucoup mieux qu’il ne l’aurait été par le commerce traditionnel. Il y a donc une récupération de la valeur équitable par le commerce traditionnel, et dans une certaine mesure une intrusion de ce dernier à l’intérieur du premier. Puisque le commerce équitable est soumis aux mêmes règles que le commerce traditionnel par l’État, et qu’il n’y pas une reconnaissance par la loi d’un statut spécifique du commerce équitable, celui-ci fait l’objet de

perversions de la part d’acteurs du commerce traditionnel. En fait, aucune loi au Canada ou au Québec ne porte spécifiquement sur le commerce équitable. Cette lacune nuit, dans le cas de DMV, au commerce équitable en enlevant la valeur équitable de certains produits, si l’on suit la ligne de pensée de la directrice de la boutique.

Sources documentaires

ƒ Site Internet de DMV - http://www.dixmillevillages.com/

ƒ Site Internet de Ten Thousand Villages - http://www.tenthousandvillages.com/

ƒ Document de présentation des principes fondamentaux de l’organisme Monde équitable.

ƒ Entrevue d’une heure avec la directrice de DMV.