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Bordure de la parcelle expérimentale et Zone naturelle

Chapitre III : Etude de l’impact de l’abondance et de la composition fonctionnelle des couverts

3.2. Abondance des Coccinellidae et présence de proies

3.2.2. Bordure de la parcelle expérimentale et Zone naturelle

Les observations réalisées sur cinq individus de chaque espèce endémique (voir partie 2.3 de la partie Sites d’étude et dispositif expérimental) ont donné une idée du potentiel d’attractivité de la bordure pour les Pucerons et Coccinelles. La figure 9 présente les parts d’individus colonisés par les Pucerons et Coccinelles dans la bordure ou par espèce végétale endémique composant la bordure. Nous observons la présence de Pucerons et de Coccinelles dans la bordure à chaque relevé (Fig. 9 a.). Seuls 20.8% des relevés montrent une cooccurrence des Coccinelles et des Pucerons sur un

137 même individu. Le 4 septembre 2015, date à laquelle des Coccinelles commencent à être détectées sur la parcelle, 45% des plantes suivies en bordure en présentaient.

Figure 9 a. Pourcentage d’individus colonisés par les Coccinelles (gris) et les Pucerons (vert) relevés à chaque date (triangle noir) sur la bande d’espèces endémiques. La zone blanche entre le 01/06/2015 et le 01/09/2015 signifie qu’en l’absence de relevé, les extrapolations de populations ne sont pas fiables. 9b. Part d’individus où ont été relevés des Coccinelles (noir) ou des Pucerons (vert) pour chaque espèce végétale endémique composant la bordure. Les groupes avec des lettres différentes sont significativement différents (Kruskal-Wallis, p<0.05).

138 Les suivis ont révélé la présence de Pucerons et Coccinelles sur une part plus ou moins grande des individus de la haie d’endémiques suivis (Fig. 9 b). Les plantes les plus porteuses de Coccinelles étaient P. retusa, P. dentata puis S. exstipularis (même en l’absence de Pucerons). I. ammoxylus et D. acutangula ont présenté des taux respectivement faible à très faible de Coccinelles et de Pucerons.

Figure 10 a. Pucerons sur Solanum nigrum. 10 b. Exochomus laeviusculus sur D. virgatus, 10 c. Pucerons sur S. asper,10 d.

Scymnussp. sur P.maximum, 10 e. larve de Scymnus sp. sur D. radicosa, 10 f. E. laeviusculus sur Chlorissp., 10 g. Larve d’

E. laeviusculus sur Psidia retusa, 10 h. E. laeviusculus sur Sida exstipularis,10 i. j. k. l. E. laeviusculus adulte, larve, couple et ponte sur L.leucocephala. Crédit photo M. Rothé.

139 Des observations ponctuelles qualitatives menées dans la zone naturelle qui ne faisaient pas l’objet de relevés systématiques ont révélé des quantités importantes de Coccinelles sur les arbustes et arbres notamment L. leucocephala et S. terebenthifolia. Les observations de la strate herbacée spontanée ombragée au pied de ces arbres ont également révélé la présence d’espèces végétales riches en Pucerons comme Solanum nigrum L. ou encore Sonchus oleraceus L. (voir Fig. 10 a et 10 c).

4. Discussion

L’étude que nous avons menée sur verger d’agrumes à Bassin-Plat (Réunion) révèle un effet significatif du mode de gestion de l’enherbement des parcelles sur leur fréquentation par les Coccinelles. Tout d’abord, l’absence de couvert semble impacter de façon négative la présence des Coccinelles sur le couvert (Fig. 5). Il est logique de penser que les Coccinelles en l’absence de nourriture ou de refuge au sol, quittent le verger ou au moins le couvert végétal. Des études sur la fréquence de fauche du couvert végétal montrent déjà une augmentation significative des prédateurs dont les Coccinellidae avec la baisse de la fréquence des interventions sur le couvert végétal (Horton et al., 2003) sans qu’il n’y ait toutefois d’augmentation des populations de Coccinellidae dans la canopée des arbres du verger.

De nombreuses familles de Coccinelles sont aphidiphages et présentent des comportements contrastés. Ainsi les Scymnus spp., majoritaires sur nos parcelles, sont insensibles aux signaux d’oviposition répulsifs déposés lors des pontes des Coccinelles conspécifiques. Cette propriété pourrait permettre une forte augmentation localisée de leurs populations et donc d’amener à une prédation massive et efficace en cas d’attaques de pucerons. C’est la raison pour laquelle Magro et al. (2017) suggère leur intérêt potentiel dans la lutte biologique. Ces espèces sont également capables de résister à des températures élevées (< 35°C), à une pluviométrie importante et à une pénurie de proies (Kuklinski and Borgemeister, 2002). Des informations plus précises sur leurs besoins écologiques ainsi que sur la fonctionnalité pertinente d’un couvert nécessaire à leur prolifération seraient précieuses pour déterminer si le contrôle qu’elles exercent sur les populations de Pucerons peut être amélioré.

Les tendances de répartitions des populations de Coccinelles observées sur le couvert en fonction de la modalité de gestion de l’enherbement ne semblent pas dues aux espèces végétales (Fig. 6) mais plutôt à la fonctionnalité du couvert (Fig. 7 et tableau 4) même si seul un effet Poaceae a été mis en évidence. Les Coccinelles, qui sont en nombre plus faible sur la modalité Herbicide, semblent

140 préférer les couverts riches en Poaceae comme dans les modalités BM, F et CC. Il a déjà été montré que les Poaceae pouvaient héberger des Coccinellidae (Koji et al., 2007; Rhino et al., 2016). Dong et al. (2012) ont également montré un meilleur contrôle des Pucerons sur une parcelle de blé entourée de ray-grass, avec des pontes de Coccinelles plus abondantes et plus précoces sur le ray-grass qui pourrait ainsi servir de source de colonisation de la parcelle adjacente. Des populations de Coccinelles dans les prairies d’herbes hautes ont été décrites, se montrant encore plus présentes sur les fétuques (Diepenbrock and Finke, 2013). Nos résultats confirment ceux que nous avions observés dans la Partie 1 montrant que les couverts H et CC contenait significativement plus d’Asteraceae que BM et F, à l’inverse des Poaceae qui sont plus abondantes dans ces deux dernières modalités que dans la modalité H (tableau 4). Les Asteraceae participent pourtant au régime alimentaire de plusieurs espèces de Coccinelles. Ainsi, l’effet de l’utilisation comme ressource de certaines plantes sur la survie des Coccinelles a été testé et montre cependant des effets significatifs qui diffèrent selon l’espèce de Coccinelle. Ainsi, le pollen et le nectar d’Ageratum conyzoides L. et de

Bidens pilosa (Asteraceae) ont, dans la même expérience, augmenté la survie d’une espèce de Coccinelle et nui à une autre (Amaral et al., 2013). Sonchus sp. (Asteraceae) est également souvent cité comme bénéfique pour les Coccinelles (Bugg and Waddington, 1994; Amaral et al., 2013), cette espèce végétale se trouvant être un hôte privilégié des Pucerons et une source de nourriture alternative comme nous l’avons observé de façon qualitative. Une étude belge a mis en avant le fait que les Coccinelles étaient influencées par la diversité fonctionnelle marquant une préférence pour un niveau de diversité très faible ou intermédiaire (Hatt et al., 2017b). Une diversité trop importante d’odeurs pourrait brouiller les signaux d’attractivité selon l’hypothèse de la concentration de la ressource (Root, 1973).

L’effet attractif des couverts semble toutefois moins évident pour les Coccinelles que pour d’autres prédateurs comme les Syrphes ou encore les Parasitoïdes. De nombreux exemples existent parmi lesquels on peut citer l’étude de Burgio et al. (2016) qui ont testé cinq couverts différents en vignoble. Cette étude n’a pas pu montrer de différence de préférence de couvert pour les Coccinelles, ni même d’effet de la présence d’un couvert par rapport au sol nu. Ils montrent en revanche un effet positif de la présence d’un couvert sur de nombreux prédateurs, dont les Phytoseiidae, et montrent des préférences pour des espèces végétales par les syrphes, les Chalcidoidea et les Aphidiinae (Braconidae), importants parasitoïdes des Pucerons. Hatt et al. (2017a) montrent une augmentation des populations de syrphes par les bandes fleuries au sein du blé sans qu’il n’y ait de différence pour les Coccinelles, les chrysopes ou encore les parasitoïdes.

141 Pour les auxiliaires mobiles que sont les Coccinelles, il est d’autant plus important d’étudier également les bordures de la parcelle. L’effet bloc sur la répartition des Coccinelles tel que mis en évidence dans notre étude n’est pas dû à l’abondance des traits d’effets, qui eux ne présentent pas d’effet significatif ; il peut donc être lié à la configuration de la parcelle. De nombreuses études ont été effectuées sur l’impact des habitats adjacents sur la lutte biologique par conservation (Landis et al., 2000). Dans notre étude, il est important de noter que des populations de Pucerons et Coccinelles sont présentes toute l’année sur la bande d’espèces endémiques qui borde la parcelle (Fig. 9) alors qu’elles n’apparaissent que ponctuellement sur les arbres du verger, particulièrement lors d’une poussée végétative des arbres. Le déplacement des Coccinelles pouvant se faire jusqu’à 75 m dans la culture depuis un réservoir à insectes (Long et al., 1998), les Coccinelles observées sur le verger pourraient aisément provenir de cette haie et inversement. Les observations ont également montré que de nombreuses Coccinelles se trouvaient sur la zone naturelle arborée au-delà de la bande d’endémiques (Fig. 10), sans toutefois être quantifiées. Cependant, l’effet bloc que nous observons dans la répartition des Coccinelles sur le couvert végétal (Fig. 4) et sur les arbres (Fig. 8) ne va pas dans le sens de populations de Coccinelles complètement externes à la parcelle. En effet, la répartition des Coccinelles sur la parcelle est hétérogène et leur abondance augmente avec l’éloignement à cette la zone d’endémiques diversifiée. Ceci soutient plutôt l’hypothèse d’un phénomène de puit exercé par cette bande plutôt qu’un phénomène de source. Ceci peut être rapproché des travaux de Dong et al. (2015) sur la présence de zones arborées denses montrées comme favorisant plus les Coccinelles que la diversité au sein de la parcelle. Une corrélation négative entre la densité de cette zone arborée et la densité de Coccinelles présente dans la parcelle est mise en avant dans cette étude. La bordure semble cependant intervenir comme habitat temporaire dans le maintien des populations de Coccinelles entre les cycles de croissance du blé sur lequel elles vont se nourrir lors de sa période de croissance. Rapporté à un verger d’agrumes, la bordure pourrait servir de réservoir permanent entre les périodes d’attaques de Pucerons sur les arbres du verger. L’abondance des populations de Pucerons que nous avons observée sur les différents arbres des différents blocs du verger ne présente pas de différence significative, mais présente tout de même une tendance inverse à celle des Coccinelles (Fig. 8). Nous pouvons postuler i) d’une part que les populations de Pucerons, guidées par la ressource liée aux arbres, se sont réparties de façon uniforme sur la parcelle, ii) d’autre part, que les populations de Coccinelles, arrivées plus tardivement sur la canopée des arbres, n’ont pas pu maitriser les populations de Pucerons, en tout cas pas avant le traitement à l’huile. Ceci peut tout à fait expliquer le fait qu’il n’y ait pas de liens significatifs entre les abondances de ce couple proie-prédateur.

142 Il est très intéressant de constater que les Coccinelles n’étaient pas présentes sur les arbres au sein du verger avant l’attaque des Pucerons (Fig. 8). Les adultes Coccinellidae sont apparus à l’arrivée des Pucerons sur les canopées et y ont entamé leur reproduction. Nous avons observé les toutes premières larves début septembre 2015 impliquant une arrivée des Coccinelles dans la semaine précédente. La quantité de larves continue à progresser, mais l’augmentation en est stoppée précocement début octobre sous l’effet du traitement contre les Pucerons. La population d’adultes sur la canopée a été plus que doublée entre septembre et octobre mais n’aurait a priori pas suffi à contenir l’augmentation exponentielle des effectifs de Pucerons en l’absence de traitement.

Les Coccinelles qui n’étaient donc pas présentes sur les arbres au sein du verger avant l’attaque des Pucerons y restent cependant en l’absence de proie par la suite (Fig.8). Ceci suggèrerait une rétention des Coccinelles par le couvert, plus qu’une attraction. Des phénomènes similaires sont décrits après la pulvérisation de nourriture sur le couvert. Cette technique n’attire pas les adultes mais les font rester et pondre, en augmentant ainsi leur quantité (Obrycki et al., 2009). Pour déterminer si les Coccinelles sont présentes en permanence sur le couvert, et périodiquement sur les arbres, ou si elles ne viennent sur la parcelle qu’en réponse à des signaux dégagés par leurs proies, il faudrait que les piégeages sur le couvert et les arbres soient concomitants. Il est à noter que les deux espèces principales de Coccinelles suivies, E. laeviusculus et S. constrictus, se nourrissent également d’Aleurodes (Quilici et al., 2003). Il est donc possible qu’elles aient pu continuer à trouver sur les arbres de la nourriture (Partie 3.4.1) sans qu’elle ne soit toutefois suffisante pour assurer leur reproduction. Seules les Coccinelles adultes sont présentes sur les arbres en avril 2016 en l’absence de Pucerons, suggérant bien une proximité des populations avec les arbres sans que ceux-ci ne soient propices à la reproduction. Les Coccinelles peuvent d’ailleurs avoir des préférences de strates en fonction de leur espèce, et préférer pondre sur les couches basses herbacées, intermédiaires arbustives ou sur les arbres (Iperti, 1999).

Nous n’avons pas de données de suivi de la canopée des arbres du verger pour les mois de juin et juillet 2016 correspondant aux piégeages effectués sur le couvert ras après les interventions de gestion. Ces piégeages avaient suggéré une « fuite » des Coccinelles du couvert végétal. Nous ne pouvons pas conclure à un impact de ce phénomène au niveau de la population des prédateurs sur les arbres mais seulement faire l’hypothèse qu’en l’absence de Pucerons sur les arbres, les Coccinelles qui étaient retenues par un couvert propice ont probablement quitté le verger. Horton et al. (2009) montrent par marquage qu’il y a un passage des Coccinellidae entre les strates sans pour autant que la majorité des individus retrouvés sur la canopée n’ait été marquée sur la strate

143 herbacée. Ils n’ont pas pu prendre en compte l’aspect dynamique de ce transfert lors de cette étude mais soulignent l’intérêt d’investigations plus fines de ces dynamiques inter-strates.

Cette étude menée sur le verger expérimental de Bassin-Plat a également été initiée sur les trois sites de producteurs partenaires (voir la partie « Sites d’étude et dispositif expérimental ») présentant des conditions pédoclimatiques contrastées. Les études de populations de Phytoseiidae sur ces différents sites avaient révélé des différences marquées de composition de ces populations avec des genres différents en fonction des sites et des couverts végétaux. Cotes et al. (2010) ont montré que la composition des populations de Coccinelles peut varier en fonction de la zone géographique et des traitements appliqués aux vergers. Nous décrirons donc, dans une partie complémentaire à la suite de cette partie, les résultats issus de l’analyse des suivis floristiques et entomologiques des données de l’un des trois autres sites sur lesquels les relevés ont été possibles grâce à l’absence de traitement insecticide.

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Annexe

Annexe 1. Abondances des prédateurs potentiels de Pucerons relevés sur la canopée

Figure A1 Profils d'abondances cumulées des auxiliaires vs l’abondance des Pucerons relevés sur la canopée des arbres du verger dans le temps. En gris foncé : les pontes de chrysopes (n) ; en gris clair : les Coccinelles (n) larves et adultes ; en violet les syrphes larves et adultes(n) ; en bleu les Hémérobes larves et adultes (n) ; en orange : les araignées (n) et en vert sur l’axe 2 les Pucerons (n).

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Partie III complémentaire : Cas d’un verger de producteur