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VI. Enseignements tirés des modèles murins : « mieux » traiter

l’anaphylaxie chez l’homme

A l’heure actuelle, le choc allergique peut être mortel dans certains cas et il existe uniquement un traitement symptomatique qui consiste principalement en l’administration d’adrénaline. Au vue du mécanisme physiopathologique mis en évidence au cours de mon projet de thèse, différentes stratégies thérapeutiques sont proposées pour contrer le développement du choc anaphylactique chez l’homme.

A. Bloquer l’interaction IgG-FcγRIIA

L’interaction entre les complexes immuns (IgG spécifiques associées à l’allergène) et les FcγRs activateurs est une première étape dans l’activation cellulaire. Nous allons donc examiner différentes options pour empêcher cette interaction, et en particulier l’interaction majeure IgG-FcγRIIA.

1. Entrer en compétition avec les complexes immuns circulants

Suite à la deuxième rencontre avec l’allergène, les IgG spécifiques synthétisées lors de la phase de sensibilisation forment avec l’allergène des complexes immuns ayant une forte avidité pour les FcγRs dont le FcγRIIA. Une première stratégie thérapeutique serait d’administrer des IgG non spécifiques, qui ne reconnaissent pas l’antigène, en quantité suffisante pour entrer en compétition avec les complexes immuns circulants interagissant avec le FcγRIIA.

L’administration d’immunoglobulines intraveineuses (IVIg) dans le cas d’un choc allergique est une option intéressante à examiner (à différencier des IVIg agrégées, donc non monomériques, utilisées dans notre modèle de choc allergique chez la souris). Les IVIg sont un mélange polyclonal d’IgG (l’IgG est l’isotype dominant mais il y a aussi présence d’IgA et d’IgM en très faibles quantités) issu de plasmas de plusieurs milliers de donneurs différents. Le contrôle qualité consiste notamment à éliminer les éventuels agrégats d’IgG circulants dans le mélange qui pourraient

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activer les FcγRs. La première utilisation des IVIg date de 1951 ; administré par Ogden Bruton chez un patient présentant une agammaglobulinémie pour pallier au manque d’immunoglobulines. Puis, leur utilisation en clinique s’est progressivement étendue à d’autres maladies auto-immunes et inflammatoires telles que les thrombocytopénies immune et néonatale alloimmune, les neutropénies auto-immunes ou encore l’uvéite (262–267).

L’activité thérapeutique des IVIg semble dépendante de plusieurs mécanismes (268). Un premier mécanisme pour expliquer leur propriété anti-inflammatoire serait leur entrée en compétition avec les IgG mises en cause dans la pathologie. En effet, la forte quantité d’IVIg présentes en circulation pourrait empêcher l’accès des IgG monomériques anti-allergène aux FcγRs activateurs de forte affinité et au FcRn (les FcγRs de faible affinité ne liant que les complexes immuns). L’action par le FcRn, occupé à recycler les IgG de type IVIg et donc moins les IgG monomériques de type « pathogène » (ici anti-allergène), permettrait de diminuer la demi-vie de ces dernières, et par conséquent de réguler à la baisse une activation cellulaire par les FcγRs activateurs de forte affinité. L’efficacité thérapeutique des IVIg via le FcRn a d’ailleurs été montrée dans un modèle de pemphigoïde bulleuse (maladie auto-immune caractérisée par l’apparition de bulles sous la peau, liée au dépôt d’anticorps dirigés contre des desmosomes/hémidesmosomes)(269). Un autre mécanisme possible serait que, suite à l’administration des IVIg, une conformation ITAMi des FcγRs activateurs soit induite, rendant impossible l’activation par ces FcγRs (comme discuté précédemment). En prenant en considération ces mécanismes d’action dans le choc allergique, nous pourrions donc anticiper que l’administration d’IVIg bloque non seulement l’accès des IgG monomériques et des complexes immuns circulants au FcγRI, mais aussi que le FcγRIIA sous conformation inhibitrice ne puisse plus interagir avec les complexes immuns circulants. En outre, le temps de demi-vie diminué des IgG « pathogènes » pourrait contribuer à éliminer plus rapidement ces IgG « pathogènes » avant de former davantage de complexes immuns circulants.

En plus de l’administration des IVIg classiques, une modification préalable de leur profil de glycosylation permettrait d’augmenter leur efficacité. Plusieurs études ont évalué l’importance de la glycosylation des IVIg utilisées dans différents modèles chez la souris. Dans un modèle de thrombocytopénie auto-immune, il est montré

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que la glycosylation est nécessaire à l’activité anti-inflammatoire des IVIg pour limiter la phagocytose des plaquettes (270). En particulier, la présence des acides sialiques sur la portion Fc des IgG est essentielle à cette activité dans un modèle d’arthrite induit par des complexes immuns ; et à l’inverse, l’enrichissement en acides sialiques multiplie par dix les propriétés anti-inflammatoires des IVIg (189). Une autre étude montre qu’en plus des résidus d’acide sialique, des IgG1 enrichies en galactose bloquent la voie de signalisation pro-inflammatoire grâce à une coopération entre le FcγRIIB inhibiteur et dectine-1 (récepteur reconnaissant les polysaccharides de type β-glucanes) (271). Un mécanisme dans lequel l’activité anti-inflammatoire des IVIg implique le FcγRIIB avait d’ailleurs déjà été mentionné dans un modèle d’arthrite montrant une augmentation de l’expression du FcγRIIB à la surface des macrophages après traitement (272). Dans le cas du choc allergique, nous pourrions imaginer que l’administration d’IVIg enrichies en acide sialique et en galactose induirait une augmentation de l’expression du FcγRIIB à la surface des neutrophiles (faiblement exprimé à l’état basal) qui modulerait les signaux activateurs émis par le FcγRIIA à leur surface.

L’administration d’IVIg en cas de choc allergique induit par des IgG chez l’homme est donc une stratégie thérapeutique qui pourrait être envisagée pour empêcher à la fois l’interaction des complexes immuns allergène-IgG au FcγRIIA et, après modification du profil de glycosylation, favoriser une réponse anti-inflammatoire induite par la coopération entre le FcγRIIB et les lectines (par exemple dectine-1). En outre, cette stratégie thérapeutique ne prend pas en compte la voie dépendante des IgE qui, selon les cas, contribue exclusivement ou en complément de la voie dépendante des IgG.

2. Diminuer la concentration circulante de complexes immuns

A l’état basal, les plaquettes et les neutrophiles n’expriment pas ou peu de FcγRIIB à leur surface pouvant capter les complexes immuns circulants. Les signaux activateurs, principalement émis par le FcγRIIA de ces deux populations, ne peuvent donc pas être modulés directement par le FcγR inhibiteur membranaire. Une option thérapeutique potentielle pourrait être de pallier à ce manque d’expression membranaire en administrant des molécules capables de capter les complexes

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immuns circulants afin d’empêcher leur interaction avec les FcγRs activateurs membranaires, et particulièrement le FcγRIIA.

Cette option thérapeutique s’est concrétisée par le développement de FcγRIIB solubles actuellement en cours d’évaluation clinique (essai de phase II) dans la thrombocytopénie auto-immune et le lupus érythémateux disséminé (273). Le FcγRIIB soluble (protéine recombinante nommée SM101) améliore les symptômes de 75% chez les patients thrombocytopéniques par augmentation de la numération plaquettaire et de 40% chez les patients lupiques. Le mécanisme repose sur la liaison du FcγRIIB soluble aux complexes immuns circulants, puis l’ensemble internalisé par les cellules endothéliales exprimant le FcRn conduirait à une dégradation par la voie lysosomale ; à la différence des IgG monomériques toujours recyclées via le FcRn en parallèle de l’autre voie (discuté dans (273)).

L’administration de FcγRIIB soluble dans le cas d’un choc anaphylactique dépendant des IgG permettrait d’éliminer de la circulation les complexes immuns afin de limiter l’activation des plaquettes et des neutrophiles. Au vue de la faible affinité du FcγRIIB pour toutes les sous-classes d’IgG chez l’homme, il serait intéressant de développer une molécule soluble similaire, mais correspondant au FcγRIIA (H131) ou au FcγRIIIA (V176) qui sont parmi les affinités les plus fortes pour les sous-classes d’IgG chez l’homme.

3. Bloquer l’activation du FcγRIIA

Une autre option consiste à bloquer le FcγRIIA activateur, soit en bloquant sa liaison aux complexes immuns, soit en bloquant sa voie de signalisation intracellulaire.

La première stratégie thérapeutique envisagée est le blocage du FcγRIIA dans sa partie extracellulaire où se lient les complexes immuns. J’ai d’ailleurs montré chez la souris FcγRIIAtg que l’administration préalable d’un anticorps monoclonal bloquant le FcγRIIA abolit le choc allergique (Article 2). Un effet indésirable majeur observé dans les souris FcγRIIAtg est que l’injection seule de l’anticorps bloquant anti-FcγRIIA induit une hypothermie chez les souris. Cette observation suggère que la portion Fc de

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l’anticorps induit probablement un choc ; il serait donc préférable d’utiliser des Fab de cet anticorps afin de limiter cet effet. Cette stratégie thérapeutique reposant sur l’anticorps entier a été évaluée en développement préclinique dans le cas du lupus érythémateux disséminé, de l’arthrite, et de la thrombocytopénie auto-immune avec l’anticorps monoclonal TTI-314 mais le programme a été suspendu en 2013 sans précision supplémentaire, probablement en raison de d’une réaction indésirable liée à la portion Fc de l’anticorps.

La deuxième stratégie serait de bloquer FcγRIIA dans sa partie intracellulaire pour bloquer la cascade de signalisation intracellulaire. En effet, la signalisation intracellulaire du FcγRIIA (comme les autres FcγRs) repose sur le motif ITAM et différentes enzymes comme la kinase Syk pouvant constituer une bonne cible potentielle. En outre, la kinase Syk est commune à la signalisation des FcγRs mais aussi des FcεRs (274), ce qui permettrait d’inhiber simultanément les voies dépendantes des IgE et des IgG dans le choc allergique. Deux inhibiteurs de la kinase Syk ont été évalués dans le contexte de l’allergie, la molécule R112 dans le cas de la rhinite allergique (275) dont le développement a été suspendu en phase II car aucune différence avec le placebo n’a été observée ; et la molécule PRT2761 qui semble être prometteuse dans la conjonctivite allergique (276). Egalement évaluées dans d’autres contextes pathologiques, un autre inhibiteur de Syk (molécule R406) a permis de diminuer l’inflammation et la destruction des articulations dans des modèles d’arthrite chez la souris ; ainsi que l’inhibiteur R788 (ou fostamatinib) actuellement évaluée en phase III d’un essai clinique pour la thrombocytopénie immune et en phase II pour l’anémie hémolytique auto-immune et pour la néphropathie à IgA (277).

L’inconvénient de cette approche est que les inhibiteurs de Syk ne sont pas spécifiques des FcγRs et des FcεRs (ils inhiberaient aussi les kinases kit, JAK1, JAK3) ; et l’inhibition de la kinase Syk, contrôlant de multiples fonctions biologiques (adhésion cellulaire, activation plaquettaire, maturation des ostéoclastes, développement vasculaire etc.), pourrait perturber fortement l’homéostasie (discuté dans (278)). Par conséquent, cette stratégie thérapeutique permettrait, certes, de cibler à la fois la voie dépendante des IgG et la voie dépendante des IgE dans le choc

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anaphylactique, mais aussi d’autres fonctions biologiques dont les effets suppressifs pourraient être à l’origine de nombreux effets indésirables.