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CHAPITRE 1 : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

F. Bisphénol A et perturbation thyroïdienne

Malheureusement, les effets du BPA sur le développement du SNC n'ont que rarement été étudiés en relation avec une potentielle perturbation thyroïdienne. Pourtant, au cours des dernières années, de nombreuses données mettent en évidence qu'outre ses effets sur la fonction de reproduction, le BPA perturbe également le système thyroïdien.

Des données épidémiologiques obtenues sur une cohorte d’hommes (consultant pour des problèmes de fertilité de couple) ont fait apparaître une corrélation positive entre la concentration urinaire en BPA et la concentration sanguine en TSH 246. Par ailleurs, les données issues de la cohorte NHANES

(n=1346 adultes sains) suggèrent une relation inverse entre la concentration urinaire en BPA et la concentration sanguine en T4 totale 247. Dans une autre étude, une relation inverse entre les

concentrations sériques en BPA et en T4 libre a été mise en évidence chez des adultes masculins 248.

Sur une cohorte regroupant des femmes enceintes et leurs enfants (étude CHAMACOS), la concentration urinaire maternelle en BPA était négativement corrélée à la concentration sanguine maternelle de T4 totale lorsque les prélèvements d’urine maternelle et de sang de cordon étaient

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rapprochés dans le temps 249. La concentration urinaire moyenne en BPA mesurée chez la mère était

également corrélée à une diminution de la TSH chez les enfants de sexe masculin. Au sein de la cohorte HOME, l’augmentation par un facteur 10 de la concentration urinaire maternelle en BPA a été associée à une concentration 36 % plus faible de la TSH dans le sang de cordon des nouveau-nés de sexe féminin

250. L'ensemble de ces données épidémiologiques suggèrent un effet inhibiteur du BPA sur la fonction

thyroïdienne mais des facteurs de confusion restent possibles.

Les travaux étudiant l’effet du BPA sur la fonction thyroïdienne chez les mammifères sont encore rares. Dans une étude menée chez le rat, l’augmentation physiologique des concentrations sériques de T4 totale observée 15 jours après la naissance était amplifiée chez les ratons issus de mères traitées au BPA par voie orale du 6ème jour de gestation au sevrage à une dose de 1 mg.kg-1.j-1, soit une dose 5 fois

plus faible que la dose sans effet (NOAEL = 5 mg.kg-1.j-1) 251. Cet impact sur les concentrations

circulantes de T4 était associé à des modifications, dans le gyrus denté de l’hippocampe, de l’expression de la neurogranine, un biomarqueur de la différenciation neuronale régulé par les hormones thyroïdiennes. Dans une autre étude, chez des rates gestantes, l’exposition au BPA 0,1 mg/L via l’eau de boisson (soit approximativement 10 µg.kg-1.j-1) entrainait une diminution transitoire de la

concentration maternelle de T4 libre aux jours 0 et 7 post-partum 252. Chez les rats mâles issus des

mères traitées, une augmentation de la concentration de T4 libre à J7 et une diminution à J21 ont été observées. Par ailleurs, l’administration à des brebis gestantes de BPA (5 mg.kg-1.j-1 ; S.C.), du 28ème

jour à la fin de la gestation, a été associée à une hypothyroxinémie maternelle avec une diminution de 30% de la concentration de T4 totale en moyenne (Figure 26). Les nouveau-nés issus des mères traitées présentaient une diminution des concentrations sériques en T4 libre et en T3 totale dans le sang de cordon et/ou le sang jugulaire (Figure 27) 61.

Figure 26 : décours temporel des concentrations moyennes (± SEM) de T4 totale dans le sang jugulaire de brebis gestantes traitées par du BPA (5 mg.kg-1.j-1 ; S.C.) ou par le véhicule du 28ème au 145ème jour de gestation 61

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Figure 27 : concentrations moyennes (± SEM) de la T4 totale, de la T4 libre et de la T3 totale dans le sang de cordon, le sang jugulaire fœtal (1h et 2 mois après la naissance) et maternel après traitement des brebis gestantes par du BPA

(5 mg.kg-1.j-1 ; S.C.) ou le solvant (VEH) du 28ème au 145ème jour de gestation 61

Parallèlement, des études à visée plus mécanistique ont été réalisées sur des modèles de larves de xénopes ou de zebrafish. L’exposition au BPA (30 µM) de stades larvaires de xénopes entrainait un ralentissement de la métamorphose de ces organismes 253. Le BPA inhibait les modifications

métamorphiques de l’intestin et bloquait la résorption de la queue induite par la T3 81,254. De plus, sur

des modèles transgéniques de larves de xénopes ou de zebrafish exprimant la GFP sous le contrôle du TRE (Thyroid hormone Response Element), le promoteur des gènes cibles des hormones thyroïdiennes, l’exposition au BPA diminuait la fluorescence induite par la T3 suggérant un effet antagoniste du BPA sur les récepteurs aux hormones thyroïdiennes 74,83. Le BPA inhibait également l’effet inducteur de la

T3 sur l’expression des gènes TRα, TRβ et RXR (un facteur formant un dimère avec le récepteur thyroïdien et contrôlant son activité) 253–255. Sur des embryons de zebrafish, le traitement au BPA 10-8

M augmentait, en l'absence de T3 dans le milieu, la transcription des gènes tg et pax8 respectivement impliqués dans la synthèse des hormones thyroïdiennes et dans le développement des cellules folliculaires thyroïdiennes 256.

Différents modèles cellulaires semblent confirmer les effets antagonistes du BPA sur l’expression de gènes impliqués dans la synthèse des hormones thyroïdiennes 257–260. L’inhibition par le BPA des effets

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induits par la T3 passerait par le recrutement des corépresseurs nucléaires des récepteurs aux hormones thyroïdiennes N-Cor (Nuclear Receptor Corepressor) et SMRT (Silencing Mediator of Retinoid and Thryoid hormone receptors) 258,261. A forte dose (Ki = 112,3 µM), le BPA agirait comme un

compétiteur non-compétitif des transporteurs NIS (Sodium Iodine Symporter) responsables du transport de l’iode à l’intérieur des follicules thyroïdiens 257.

Le tableau 6 présente les résultats de différentes études décrivant les effets d’une exposition pré- ou périnatale sur le développement du SNC et/ou de ses effets sur la fonction thyroïdienne, en parallèle ou non de l’exploration de l’exposition interne au BPA. Malheureusement, ces 3 composantes ne sont jamais étudiées conjointement, et c’est là une lacune pour l’évaluation du risque que représente l’exposition humaine au BPA.

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Tableau 6 : effets d’une exposition pré- ou périnatale du BPA sur le développement du SNC et/ou sur la fonction thyroïdienne, parallèlement ou non à l’exploration de l’exposition interne au BPA

Référence Modèle Dose de BPA – Voie Effets sur système thyroïdien Effets sur SNC Exposition interne

251

Rat ; exposition périnatale

1 mg.kg-1.j-1 ; VO Amplification de l’augmentation des concentrations sériques de TT4 chez les fœtus à J15 post-natal

Augmentation de l’expression de la neurogranine

(régulée par les HT) dans l’hippocampe -

233

Souris ; exposition

prénatale

20 µg.kg-1.j-1 ; SC Modulation de l’expression des ARNm codant pour THRα et THRβ

-Accélération de la différenciation et de la migration neuronale dans le néocortex -Modulation de l’expression des ARNm codant

pour Ngn2 et L1CAM (régulés par les HT)

- 252 Rat ; exposition périnatale ≈ 10 µg.kg-1.j-1 ; eau de boisson

Diminution de fT4 maternelle à J0 et J7 post- partum ; modulation de fT4 à J7 et J21 post-natal

chez les ratons mâles

Augmentation de l’expression ARNm de SRC-1

dans l’hippocampe des ratons mâles -

221 Macaque ; exposition in utero ≈ 400 µg.kg-1.j-1 ; implant SC -

Diminution du nombre de synapses dans la région CA1 de l’hippocampe des fœtus

Concentration sérique moyenne de BPA chez les mères : 0,91 ±

0,13 ng/mL 243 Souris ; exposition périnatale 14 (gestation) et 39 mg.kg-1.j-1 (lactation); eau de boisson

Augmentation de l’expression du facteur Pax6 (impliqué dans le développement neuronal et régulé

par les HT) dans les cellules granulaires du cervelet

Epaississement de la couche granulaire externe du

cortex cérébelleux -

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Ovin ; exposition

in utero

5 mg.kg-1.j-1 ; SC Diminution des concentrations sériques maternelles

et fœtales en hormones thyroïdiennes -

Fluctuations entre 240 ± 15 ng/mL (Cmax) et 38 ± 4 ng/mL (Cmin) 232 Souris ; exposition prénatale 20 – 200 µg.kg-1.j-1 ; VO -

Altération de la distribution neuronale et hypoplasie des couches cellulaires dans le

néocortex des souriceaux

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V.

Apport de l’approche métabolomique

Alors que la toxicologie des faibles doses interpelle de plus en plus les scientifiques, les approches biochimiques et histologiques classiquement utilisées en toxicologie souffrent parfois d’un manque de sensibilité pour mettre en évidence ce type d’effet. Par ailleurs, face aux très nombreuses voies régulées par les systèmes endocriniens et possiblement altérées par les PE, ces méthodes peinent parfois à intégrer l’ensemble des données et à obtenir une vision globale. Dans ce contexte, l’utilisation de la métabolomique, une approche sensible et non-ciblée, apparaît comme une approche prometteuse pour explorer les voies modulées par une exposition à un PE.