I. Les plantes face aux sollicitations mécaniques
I.2 Bilan sur les réponses thigmomorphogénétiques des végétaux
I.2.1 Réponses de la croissance longitudinale
De nombreuses études ont mis en relation l’effet mécanique du vent et la croissance en
hauteur des plantes. En 1954, Jacobs observait déjà sur Pinus radiata une augmentation de la
croissance longitudinale d’arbres tuteurés par rapport à des plants soumis aux oscillations dues
au vent. Plus récemment, le tuteurage de pins (Pinus contorta) pendant six ans, a induit une
augmentation de leur croissance longitudinale de 40 % comparée à celle observée avant la mise
en place des tuteurs. Par opposition, les plants témoins non tuteurés ont tendance à diminuer
leur croissance de 20 % pendant cette période (Meng et al., 2006). Chez les angiospermes
ligneuses, Coutand et al. (2008) ont mis en évidence que des tiges de merisier (Prunus avium)
protégées du vent par un tubex présentaient une croissance primaire annuelle deux à trois fois
plus importante que les arbres non protégés. L’application de flexions répétées et quotidiennes,
mimant l’effet du vent, sur la tige d’Orme d’Amérique (Ulmus americana) ont entraîné une
diminution de leur croissance primaire (Telewski et Pruyn, 1998). Chez le peuplier, une étude
visant à comparer deux hybrides de Populus trichocarpa x deltoides, a montré toutefois que la
réponse pouvait varier en fonction du génotype. En effet, suite à vingt flexions quotidiennes
pendant deux mois, l’un des hybrides répondait aux sollicitations mécaniques en diminuant sa
croissance longitudinale (hybride11-11) alors que le second l’augmentait (hybride 47-174)
(Pruyn et al., 2000). Dans l’étude de Kern et al. (2005), en utilisant un traitement de
sollicitations mécaniques identique, les auteurs ont montré une diminution de la hauteur de
l’hybride 47-174. Des résultats similaires ont également été obtenus chez des angiospermes
herbacées. Les travaux de Moulia et Combes (2004) ont montré que des plants de luzerne
(Medicago sativa) en plein champ et protégés par un grillage limitant les déplacements et donc
les déformations dues au vent, présentaient une augmentation de croissance en hauteur par
rapport à des plants laissés libres dans leurs mouvements (Figure 2).
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Figure 2 : Modification de la croissance en hauteur de plantes suite à des sollicitations mécaniques.
Les plants de luzerne non protégés des déformations imposées par le vent ont une hauteur diminuée par
rapport à ceux protégés par un grillage (Moulia et Combes, 2004).
Ces résultats démontrent l’importance des sollicitations mécaniques sur la croissance en
hauteur des plantes. Cependant, les résultats contradictoires obtenus dans certaines études
démontrent bien la nécessité de quantifier le stimulus appliqué afin d’appliquer à chaque
expérimentation et à chaque arbre, le même niveau de stimulation mécanique. Ces résultats
démontrent l’importance des sollicitations mécaniques sur la croissance en hauteur des plantes.
I.2.2 Réponses de la croissance radiale
En laboratoire, l’application d’une flexion unique entraîne une augmentation du diamètre
de la tige (Coutand et al., 2009). Pour la première fois, la cinétique de réponse à court terme de
la croissance secondaire de peupliers (Populus tremula x alba) à la suite d’une flexion unique,
unidirectionnelle et transitoire a été suivie dans cette étude. Les auteurs ont montré qu’une
flexion unique entraînait un arrêt de croissance de 4 h, puis une augmentation rapide de
croissance secondaire avec une croissance maximale atteinte au 3
ème jour (Figure 3).
Figure 3 : Exemple représentatif de l'effet d'une
flexion unique et transitoire sur la croissance
journalière en diamètre de la tige.
Avant l'application d'une flexion transitoire, le taux
de croissance en diamètre est stable. L'application
d’une flexion transitoire (flèche grise) a conduit à
une augmentation de la croissance en diamètre. Le
taux de croissance journalier a augmenté pendant 3
jours puis a diminué pendant plusieurs jours avant
de revenir à sa valeur avant flexion. D’après
Coutand et al. (2009).
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Toujours chez le peuplier, l’application de vingt flexions bidirectionnelles journalières pendant
deux mois, a également induit une augmentation significative du diamètre de la tige par rapport
aux témoins non sollicités (+26 % pour l’hybride 11-11 et +42 % pour l’hybride 47-174 dans
le sens de flexion) (Pruyn et al., 2000). Chez l’Orme d’Amérique (Ulmus Americana),
l’application de flexions multiples sur la tige (de 5 à 80 flexions par jour pendant trois
semaines), a montré une augmentation du diamètre significative des arbres fléchis par rapport
aux arbres témoins (Telewski et Pruyn, 1998). Ces résultats sont également cohérents avec ceux
obtenus en forêt. Des expériences in situ consistaient à comparer la croissance en diamètre
d’arbres haubanés par rapport à des arbres laissés libres de déformation au vent. Ces études ont
montré que les arbres laissés libres au vent avaient un diamètre de tige accru par rapport aux
arbres tuteurés (Jacobs, 1954; Meng et al., 2006). Plus récemment, un dispositif installé en forêt
a permis de comparer la croissance en continu de hêtres laissés libres de leur mouvement à celle
de hêtres dont le tronc a été soumis à une flexion (Bonnesoeur et al., 2016). Chez les arbres où
le tronc a été fléchi artificiellement, une augmentation de 80 % du taux de croissance radiale
journalier a été enregistrée.
I.2.3 Réponses du système racinaire
En plus de leur effet sur la dimension de la tige, les sollicitations mécaniques externes de
la partie aérienne semblent également modifier la croissance du système racinaire.
Chez les espèces ligneuses, une étude menée sur Picea sitchensis et Larix decidua a
montré que le vent stimule la croissance en diamètre des racines. L’étude de la répartition des
racines latérales en fonction du côté des sollicitations mécaniques a montré une augmentation
de leur nombre du côté du vent (Stokes et al., 1995). Le développement asymétrique de ce
système racinaire a également été observé chez des plants de chêne (Quercus robur L.) stimulés
par un ventilateur électrique pendant 30 s chaque heure (Tamasi et al., 2005). L’augmentation
de la biomasse racinaire, notamment les racines latérales ainsi que l’augmentation de la
longueur des racines dans la direction du vent permettraient à la plante d’augmenter son ancrage
dans le sol et de contrer les effets du vent.
Dans la plupart des études effectuées, les sollicitations mécaniques de la tige entrainaient
une modification de la répartition de la biomasse entre les tiges et les racines, au profit du
système racinaire (Coutand et al., 2008). Les plants de merisier protégés des effets du vent par
les tubex ont montré une fraction racinaire significativement réduite par rapport à des plants
stimulés mécaniquement. L’application d’une stimulation mécanique réalisée à l’intérieur du
tubex augmentait significativement l’allocation de biomasse en direction des racines (Coutand
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et al., 2008). Mais ceci n’est pas vrai pour toutes les espèces. Des sollicitations mécaniques
effectuées sur des plants de Medicago truncatula ont montré une forte augmentation de la
biomasse aérienne malgré une réduction de leur croissance en hauteur, et au contraire aucune
variation de la biomasse racinaire (Tretner et al., 2008), ce qui pourrait supposer que chez les
herbacées la biomasse aérienne est privilégiée au détriment de l’ancrage.
L’origine de la réponse en croissance des racines à la suite d’une stimulation mécanique
de la partie aérienne (signal longue distance, trade-off ou stimulation mécanique des racines)
reste une question scientifique.
I.2.4 Autres réponses physiologiques
Bien que moins fréquemment étudiés, d’autres processus physiologiques peuvent être
également modifiés en réponse à un stress mécanique. Les réponses que l’on peut observer sont
une réduction de la surface foliaire, une altération du contenu en chlorophylle, une variation du
niveau d’hormones (auxine, jasmonates…), une diminution de la résistance à d’autres stress
biotiques ou abiotiques, une augmentation de la sénescence, mais également une modification
de l’ouverture des stomates et une date de floraison retardée (Biddington, 1986; Braam, 2005;
Chehab et al., 2009; Gardiner et al., 2016).
La croissance radiale des tiges est généralement accompagnée d’une modification des
propriétés mécaniques des tissus (Telewski, 2012). Ces variations des propriétés mécaniques
des tiges peuvent s’expliquer par des modifications anatomiques du bois mis en place au cours
de l’augmentation de la croissance radiale. Telewski a montré qu’un arbre soumis à des flexions
produisait un bois particulier, nommé « bois de flexion » (Telewski, 1989), lui permettant de se
prémunir de la casse par augmentation de sa rigidité de flexion (Badel et al., 2015). La
description de ce bois de flexion sera détaillée dans la suite de ce manuscrit.
L’ensemble de ces études suggèrent que les changements anatomiques, morphologiques
et biomécaniques de la plante qui se produisent en réponse à des sollicitations mécaniques
semblent favoriser le maintien mécanique de l’arbre dans son environnement. Ces changements
constitueraient une acclimatation conférant une meilleure résistance aux futures sollicitations.