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Ces deux premières études se proposaient de déterminer si les connaissances de l’auditeur pouvaient avoir un effet précoce sur les premiers niveaux de traitement auditif, en particulier sur la détection des événements sonores complexes. Des mots, pseudo-mots et sons complexes, égalisés le plus finement possible au niveau énergétique ont été présentés à des niveaux d’intensité allant de tout à fait inaudible à clairement audible. Un contrôle attentif des caractéristiques physiques a permis d’écarter l’hypothèse selon laquelle la détection reposerait simplement sur les caractéristiques énergétiques des stimulations. Un effet de supériorité des stimulations phonologiques a été mis en évidence : les performances des participants étaient meilleures lorsqu’il s’agissait de détecter une stimulation de parole plutôt qu’une stimulation complexe non phonologique. De plus, lorsque les participants étaient engagés dans une tâche demandant un niveau de traitement de plus haut niveau (comme la reconnaissance) ou lorsqu’ils connaissaient par avance la nature de la stimulation (présentée par blocs), alors un effet de supériorité des mots était observé : les performances des participants étaient meilleures lorsqu’il s’agissait de détecter des mots plutôt que des pseudo-mots. Ainsi, il est proposé que les connaissances de l’auditeur, qu’elles soient lexicales ou phonologiques, facilitent la détection des stimulations auditives. Concrètement, pour un même niveau d’excitation énergétique au niveau du nerf auditif, un auditeur détecterait plus facilement les stimulations qui ont des composantes phonologiques. Si l’attention de l’auditeur sur les stimulations est accrue, alors il détecte plus facilement les stimulations qui ont des composantes lexicales, probablement parce que les mots représentent des stimulations auditives pertinentes pour lesquelles l’auditeur a des connaissances précises. Nous démontrons ainsi pour la première fois en modalité auditive que les connaissances stockées en mémoire ont un effet top-down sur le plus bas niveau de traitement qu’est la détection. Un récent modèle de compréhension des sons de parole est compatible avec un tel résultat (Kiebel, von Kriegstein, Daunizeau, & Friston, 2009). Dans ce modèle fonctionnel, l’effet top-down des connaissances a été simulé, ce qui conduit à des résultats compatibles avec ceux obtenus dans des tâches de reconnaissance dans des expériences comportementales.

La deuxième étude apporte aussi des résultats concernant la perception non consciente des stimulations auditives. Dans un paradigme de dissociation entre détection et reconnaissance, l’approche subjective met en évidence une reconnaissance sans détection pour les mots et non pas pour les pseudo-mots ou les sons complexes. Ce résultat est en accord avec des données obtenues en modalité visuelle (Merikle & Reingold, 1990) qui proposent que la reconnaissance sans détection ne s’observe que pour les stimulations les plus familières. En revanche, l’approche objective ne montre aucune reconnaissance possible sans détection. Ce résultat, déjà reporté pour des études en modalité visuelle (Fisk & Haase, 2005), suggère que le traitement inconscient se réalise pour des stimulations dont le niveau de perception se situe entre le seuil objectif et le seuil subjectif (Merikle & Cheesman, 1986). Par ailleurs, les conditions d’observation d’une telle dissociation étaient plutôt défavorables dans la mesure où le participant devait d’abord répondre à la tâche de détection avant de réaliser la tâche de reconnaissance : il y avait donc un délai entre la présentation de la stimulation et la mesure de perception. Par conséquent, il est nécessaire d’explorer dans de meilleures conditions expérimentales la perception auditive subliminale avant de conclure. Notamment, il sera fondamental d’explorer les différentes pistes qui ont été empruntées dans les études visuelles puisque des résultats différents ont été obtenus en fonction de la mesure de perception (directe/indirecte) et de la mesure du niveau de conscience (détection, catégorisation, etc.).

Chapitre 5

Explorations des processus activés à

la suite d’une perception auditive

non consciente

L’influence des stimulations perçues inconsciemment sur la perception ultérieure a été montrée en modalité visuelle dans de nombreuses études (Haase & Fisk, 2004 ; Holender & Duscherer, 2004 ; Reingold, 2004a, 2004b ; Snodgrass, Bernat, & Shevrin, 2004a, 2004b). En revanche peu d’études ont été réalisées en modalité auditive, et particulièrement pour les sons de parole (Kouider & Dupoux, 2005 ; Urban, 1992). Ce manque d’intérêt pour les sons de parole peut certainement s’expliquer par le fait que les stimulations auditives sont des stimulations complexes, dont les caractéristiques physiques sont difficiles à manipuler. Urban (1992) a d’ailleurs recensé plusieurs études qui n’ont rapporté aucun résultat significatif suite à la présentation subliminale de stimulations auditives lexicales. Deux études ont par ailleurs examiné la capacité de reconnaissance en l’absence de détection mais en utilisant des sons purs (Lindner, 1968 ; Shipley, 1965). De ces deux études ressortent des observations contradictoires : l’une montre une dissociation (Lindner, 1968) et l’autre n’observe aucune dissociation (Shipley, 1965) entre des processus de détection et de reconnaissance. La principale différence entre ces deux études réside dans le fait que les participants avaient pour consigne (Lindner, 1968) ou non (Shipley, 1965) qu’une reconnaissance était possible sans détection.

Au cours de l’Étude II, des signes de traitement lexical suite à une perception auditive subliminale ont été mis en évidence dans un paradigme de dissociation entre détection et reconnaissance. L’approche psychoacoustique quant à la création et la présentation des stimulations auditives utilisées nous a permis de contrôler de façon rigoureuse les caractéristiques énergétiques des stimulations. Grâce à une approche subjective, une dissociation a été observée entre les processus de détection et les

processus de reconnaissance des sons lexicaux de parole. Ces différences ne peuvent pas été attribuées aux caractéristiques énergétiques des stimulations mais plutôt aux caractéristiques lexicales des stimulations. Ce résultat suggèrerait alors que la présentation subliminale des stimulations auditives peut permettre des traitements cognitifs, à la condition que ces stimulations auditives contiennent une information lexicale.

Les études présentées dans le second axe de recherche se proposent d’explorer, de façon plus détaillée, dans quelles conditions expérimentales une perception auditive non consciente peut être observée, et quelles en sont les bases neuronales. Dans les études présentées ci-dessous, nous avons choisi de ne pas masquer énergétiquement ou informationnellement les stimulations, ni de les compresser temporellement (comme cela a été proposé par Kouider et Dupoux, 2004), mais de réduire l’intensité de présentation des stimulations : dans ces conditions, le bruit de fond physiologique est vu comme un masque (voir Étude IV, Discussion page 166). La première étude présentée (Étude III) nous a permis de tester quels sont les seuils de perception des stimulations auditives obtenus lors de différentes tâches. Par analogie à d’autres études réalisées en modalité visuelle (Kouider & Dehaene, 2007), nous avons choisi un niveau d’intensité pour lequel les participants n’étaient pas capables de catégoriser la stimulation auditive présentée, mais la détectaient partiellement. De plus, l’exploration des traitements cognitifs réalisés à la suite de la présentation subliminale de stimulations auditives a été étudiée avec une tâche indirecte (contrairement à l’Étude II), à savoir un paradigme d’amorçage (Étude IV). Enfin, les corrélats neuronaux associés à une perception auditive consciente et non consciente ont été explorés grâce une étude réalisée en EEG et deux techniques d’analyses complémentaires : les potentiels évoqués et la décomposition temporo-fréquentielle (Étude V).