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2.2 Analyse cognitive des sons de parole

2.2.3 Les apports de la neuropsychologie et de la neurophysiologie

Historiquement, deux aires cérébrales situées dans l’hémisphère gauche ont été décrites comme étant spécialisées dans le traitement des sons de parole : l’aire de Broca et l’aire de Wernicke (Figure 22). L’aire de Broca est située au niveau du gyrus frontal inférieur alors que l’aire de Wernicke, dont le composant essentiel est le planum temporale, est située sur le gyrus temporal supérieur entre le cortex auditif primaire et le lobe pariétal inférieur. Les données de neuropsychologie (notamment des patients aphasiques) suggèrent que l’aire de Broca jouerait un rôle important dans le traitement phonologique et syntaxique et serait surtout impliquée dans la production de la parole. L’aire de Wernicke serait engagée dans l’analyse sémantique

des sons de parole ainsi que dans la représentation de séquences phonétiques. En effet, Démonet et ses collaborateurs (1992) ont montré lors d’une étude réalisée en TEP, que le cortex temporal supérieur est impliqué dans l’écoute des sons de parole, que ceux-ci aient un sens ou non. Les aires de Broca et Wernicke ne seraient pas les seules régions impliquées dans le traitement du langage. Le lobe pariétal inférieur, connecté à l’aire de Broca et à l’aire de Wernicke par d’importants faisceaux de fibres nerveuses (Geschwind, 1965 ; Price, 2000), serait également indispensable dans le traitement des sons de parole. Il se compose du gyrus angulaire et du gyrus supraliminal. Le gyrus angulaire serait davantage impliqué dans le traitement sémantique (de concert avec le gyrus cingulaire postérieur) alors que le gyrus supramarginal serait plus précisément impliqué dans le traitement phonologique et articulatoire des mots. La situation anatomique du lobe pariétal inférieur lui permet d’être en relation étroite avec les aires occipitales visuelles ainsi que le cortex somato- sensoriel. De plus, le lobe pariétal inférieur contient des neurones multimodaux capables de traiter les informations visuelles, auditives et tactiles.

Figure 22: Localisation de l’aire de Broca au niveau du gyrus frontal extérieur et de l’aire de Wernicke (comprenant le planum temporale) au niveau du gyrus temporal supérieur.

Les travaux de Wernicke et Broca concernant les patients aphasiques ont suggéré la prépondérance de l’hémisphère gauche dans le traitement du langage et de l’hémisphère droit dans le traitement de la prosodie. Une étude sur la dominance du langage chez des participants normaux droitiers a montré que 94 % des participants normaux avaient une dominance de l’hémisphère gauche pour le langage, aucune dominance inverse n’étant observée (Springer et al., 1999). Bien que l’activation au niveau du gyrus du planum temporale s’observe pour tous les sons, des différences latérales ont été mises en évidence : le traitement des dimensions temporelles

s’effectuant plutôt à gauche et le traitement des variations fréquentielles s’effectuant plutôt à droite (Johnsrude, Zatorre, Milner, & Evans, 1997 ; Zatorre & Belin, 2001).Il a été montré que des lésions de l’hémisphère gauche provoquent des aphasies alors que des lésions de l’hémisphère droit correspondant aux aires de Broca et de Wernicke pourraient rendre les patients aprosodiques ou amusiques. En accord avec ce dernier résultat, l’équipe canadienne de Zatorre a montré en 1992, grâce à la TEP, que l’analyse de la hauteur d’un mot activait le cortex préfrontal droit (image obtenue en soustrayant une tâche de détection de hauteur de mot à une tâche passive d’écoute de mots), alors que l’analyse de la structure phonétique finale des mots activait des structures frontales gauches (image obtenue en soustrayant une tâche de détection phonétique de mot à une tâche passive d’écoute de mots). Des résultats plus récents obtenus par IRMf ont confirmé l’implication de l’hémisphère droit, plus précisément du lobe frontal inférieur, dans le traitement prosodique des sons de parole (Buchanan et al., 2000).

Figure 23: Activités cérébrales issues d’une TEP (Zatorre et al., 1992). a) Activation de régions cérébrales situées à gauche lors de l’analyse phonétique. b) Activation de régions cérébrales situées à droite lors de l’analyse de la hauteur.

Les études de Binder et ses collaborateurs (2000) ont mis en évidence un modèle hiérarchique du traitement auditif des mots au niveau du lobe temporal : (1) un premier traitement, purement acoustique, serait effectué au niveau de la partie dorsale du gyrus temporal supérieur (GTS) qui est activé de façon bilatérale pour toutes les stimulations linguistiques ou non ; (2) un deuxième traitement distinguant les stimulations verbales et non verbales se ferait au niveau de la partie ventrale du GTS. Une activation bilatérale est observée au niveau de cette région mais de façon un peu plus étendue au niveau de l’hémisphère gauche. À ce niveau, un certain degré de spécialisation hémisphérique peut être observé ; (3) le troisième niveau de traitement correspondrait à la reconnaissance des stimulations lexicales auditives impliquant l’activation des informations stockées en mémoire, tels que le statut

lexical, la fonction syntaxique et le sens, et ce, indépendamment des caractéristiques physiques du mot. Les régions anatomiques responsables de ce traitement comprendraient les aires temporales adjacentes au cortex auditif, postérieurement le gyrus angulaire, ventralement les gyri temporaux moyens et inférieurs et antérieurement le pôle temporal. Une convergence de données provenant d’études différentes montre, en outre, l’importance de la portion moyenne du STS qui répond préférentiellement aux stimulations auditives verbales. Une étude en IRMf (Giraud et al., 2004) utilisant des stimulations auditives mieux contrôlées que celles utilisées lors des études précédentes, a montré que le traitement des traits acoustiques se ferait dans les régions dorsales du lobe temporal. La compréhension des sons de parole se ferait de façon bilatérale, dans les parties médianes et inférieures du lobe temporal. L’aire de Wernicke serait impliquée aussi bien dans la compréhension que dans l’analyse acoustique.

Figure 24Résumé des activations observées pour les stimulations de parole versus les stimulations de non parole. Les résultats des études de Zatorre et collaborateurs (1992) sont reportées en bleu clair, les résultats des études de Démonet et collaborateurs (1992) sont reportées en bleu marine, les résultats des études de Binder et collaborateurs (1997) sont reportées en jaune et les résultats des études de Binder et collaborateurs (2000) sont reportées en rouge (d’après Binder et al., 2000).

Par analogie au système visuel, des études (pour une revue voir Arnott, Binns, Grady, & Alain, 2004) ont suggéré qu’il existerait deux voies différentes qui émergeraient du cortex auditif primaire, l’une ventrale et l’autre dorsale : la voie du « quoi ? » et la voie du « où ? » (ou du « comment ? »). La voie du « quoi ? » se projetterait antérieurement à A1 (le long de la scissure antérieure temporale supérieure gauche) puis dans le gyrus frontal inférieur. La voie du « où ? » se projetterait postérieurement (le long de la scissure postérieure temporale supérieure gauche) puis

dans le gyrus pariétal supérieur et enfin le gyrus frontal supérieur. Par analogie au fonctionnement du système visuel, il a été proposé que la voie du « quoi ? » soit impliquée dans la reconnaissance alors que la voie du « où ? » serait impliquée dans la localisation des sources sonores (Bidet-Caulet & Bertrand, 2005 ; Kaas & Hackett, 1999).