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Les biens communaux, une première

Dans le document Un système dont vous êtes le héros (Page 49-53)

C’est à la période médiévale que se situent les biens communaux.

Ce terme caractérise plusieurs biens (exemples, terres, bois, prés, etc.) appartenant à un ensemble d’habitant.e.s des territoires ruraux. L’usage de ces terres s’exerce donc de manière collective via le pâturage et le fourrage pour l’alimentation du bétail ou encore la récolte du bois. Ces terres sont mises à disposition gratuitement ou contre redevance par les seigneurs et instituées sous le régime féodal35. Ce statut de biens communaux s’avère intéressant

35 Forme d’organisation politique, économique et sociale du Moyen ge, caractérisée par l’existence des fiefs. - Dictionnaire Le Robert

pour penser une propriété collective par un nouveau statut des tiers-lieux. En effet, même aujourd’hui certaines pratiques des communs semblent s’inspi-rer de cette notion juridique. Nous pouvons citer le tiers-lieu l’Hermitage de l’enquête Juristes embarqué.e.s évoqué dans le chapitre Contexte et méthodo-logie. C’est par le projet d’une subsistance agricole, que l’Hermitage semble réinventer les biens communaux comme des communs urbains (Juan, 2018).

Pour comprendre les caractéristiques des biens communaux nous nous intéressons au point de vue de Gérard Béaur, directeur d’étude dans le domaine de l’agriculture et de son article Un débat douteux, Les Communaux, quels enjeux dans la France des XVIIIe - XIXe siècles ? (2006).

«Les biens utilisés collectivement par les villageois se trouvaient dans la main du seigneur qui laissait de plus ou moins bon gré ses vassaux en faire usage» (Béaur, 2006, p.92). Cette citation met en avant les raisons de multiples conflits autour des biens communaux. En effet, Béaur explique que la différence entre le droit de propriété et le droit d’usage est abstraite. On accorde un usage collectif et une sorte de propriété pour les habitant.e.s sur les productions de ces biens communaux. Mais le droit de propriété reste néanmoins «dans la main du seigneur» (p.92). Ces conflits ne sont pas qu’entre les seigneurs et la communauté, ils sont présents également à l’intérieur des communautés. Pour cela, il cite l’exemple des biens communaux situés dans le Limousin. Au sein de ce territoire, ils sont régies sous plusieurs

«cellules de propriétaires» (p.92). Ces cellules sont séparées sous forme de sections, c’est-à-dire une «fraction de la communauté» (p.92) et non la «com-munauté entière» (p.92). Béaur parle alors de «superposition de droits» (p.92) provoquant des «différents sans fins» (p.92). Nous comprenons, que les biens communaux pour la plupart, sont institués sous le droit coutumier36. Pour certains, la gestion revient aux chefs des familles appartenant à la communau-té et permettent d’obtenir des privilèges. Béaur nous renvoie à la recherche d’Elinor Ostrom37 permettant d’analyser le phénomène des biens commu-naux : «la gestion des terres collectives nécessitait un consensus et un accord (les coutumes), une police, des sanctions (une justice), un mode d’arbitrage en cas de conflit, une certaine autonomie, etc.» (p.92).

36 Ensemble de règles juridiques que constituent les coutumes - Dictionnaire Le Rober

37 Elinor Ostrom a remporté le prix nobel de l’économie en 2009 pour sa recherche sur «la gouvernance des biens communs»

Plus loin dans son explication, Béaur approfondit l’existence des biens communaux dans d’autres continents, comme par exemple en Angleterre, en Allemagne ou encore en Amérique latine. Ils sont institués sous différents principes et sont mis en danger, selon lui, par des «objets d’attaques libérales qui visaient à leur extinction au nom de la liberté économique et du droit individuel à la propriété, de la nécessité de dévelop-per la production agricole et de faciliter la circulation des terres» (Béaur, 2006, p.93). Au XVIIIe siècle, les biens communaux représentent une majorité des territoires en France et provoquent énormément de convoi-tise auprès des seigneurs. Les seigneurs décident d’user de stratagèmes et de procédures, comme par exemple «les triages et cantonnements» (p.93).

C’est-à-dire l’appropriation d’une partie des biens communaux pour devenir les propriétaires absolus. Béaur appelle cela une «réaction féodale» (p.93).

Cette réaction engendre une intervention de la monarchie qui incite le partage de ces biens communaux pour mettre fin au droit d’usage de la communau-té. «Partager, disaient-ils, mais comment ? Par tête ? Par ménage ? Entre tous les habitants ? Entre les seuls propriétaires ?» (Béaur, 2006, p.94). Le partage des biens communaux provoque de la confusion pour les communau-tés d’usage (habitant.e.s). En effet, ce partage semble inégale et pour certains ces terres collectives représentent une subsistance pour eux et leurs bétails.

Plus loin dans son article, il explique l’émergence de plusieurs conflits entre les communautés et les seigneurs ou encore les communautés elles-mêmes.

Ces événements invitent l’État à adopter une «attitude protectrice» (p.94) envers les terres collectives et restent «en l’état pendant au moins encore un bon demi-siècle» (p.94).

Lorsque Béaur caractérise les biens communaux comme une superposition de droits, cela peut nous renvoyer au schéma décrit pour le tiers-lieu Masaryk. C’est-à-dire la superposition de droits de propriété, celui de la ville de Sevran et celui du bailleur. Comme il le précise, les paysan.ne.s possèdent un droit d’usage sur les terres offrant une forme de propriété. Mais ces terres restent toujours «dans la main du seigneur» (Béaur, 2006, p.92).

Si nous faisons un parallèle avec notre situation, nous pouvons considérer que les habitant.e.s du quartier et de la Résidence Masaryk, ont une forme de droit d’usage sur le tiers-lieu. Nous pouvons aller plus loin dans ce sens, en

imaginant que ces mêmes habitant.e.s pourraient obtenir un pouvoir décision-naire par la gouvernance collective envisagée. Mais la propriété exclusive reste, pour reprendre l’expression de Béaur, «dans la main du bailleur». Cela pourrait créer la même confusion ressentie par les paysan.ne.s. Comment lé-gitimer la place des habitant.e.s dans le processus de création du tiers-lieu ? La créativité juridique peut-elle aider à la construction de la gouvernance et garantir la place des habitant.e.s ?

Continuons dans l’analyse en prenant un léger recul. Comme mentionné dans l’introduction de cette partie, les biens communaux per-mettraient de repenser le statut des tiers-lieux. Mais pourquoi et dans quel sens pouvons-nous le faire ? Dans son article, Béaur évoque l’utilisation de stratagèmes et de procédures de la part des seigneurs afin de s’appro-prier totalement les terres. Cela peut faire écho à certaines problématiques actuelles que les tiers-lieux rencontrent. En effet, nous pouvons observer lors de l’enquête Juristes embarqué.e.s, que certains tiers-lieux peine à se développer. Cela s’expliquerait par le manque de soutien de l’acteur public et des subventions inexistantes pour certains d’entre eux. D’autres semblent subir les changements politiques de leur territoire qui engendre la perte de leurs subventions. Afin que le projet puisse subsister, certains décident de chercher un autre financement et tendent à se privatiser. Ces probléma-tiques semblent révéler une caractéristique de la propriété étatique. Dans son article, Béaur met en avant les conflits provoqués par les actes des seigneurs poussant l’État à adopter une «attitude protectrice» (Béaur, 2006, p.94) et préserver les biens communaux. Ce phénomène est intéressant pour notre réflexion sur la transformation du système. Souvenons-nous, dans le chapitre Contexte et méthodologie, Stéphane Vincent affirme que «la transformation de l’action publique est la clé pour la transformation du système, transfor-mant l’acteur public en innovateur social.» À la différence, peut-on imaginer une transformation de la propriété étatique, transformant l’acteur public en protecteur social ? Cela peut-il inciter les citoyen.ne.s à adopter eux-même la posture d’innovateur social ?

Nous remarquons dans les biens communaux une trace du droit romain. Cette confusion autour de la propriété octroie un droit d’usage sur les

terres. Ce droit d’usage nous l’avons évoqué au niveau du caractère indispo-nible des choses dans l’Antiquité. Mais nous remarquons au fur et à mesure que cette interstice semble se restreindre. L’ascension de l’acte de propriété laisserait se démarquer une pensée juridique de plus en plus binaire.

2.3 La grande démarcation, quel héritage pour le 20e

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