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LE BIDONVILLE COMME FAIT COLONIAL D'ABORD, ET FAIT D' INDUSTRIALISATION ENSUITE. Farouk BENATIA

rapport à un mode de vie, de travail et d'habitat de caractère urbain diffusé par la pénétration de

E) LE BIDONVILLE COMME FAIT COLONIAL D'ABORD, ET FAIT D' INDUSTRIALISATION ENSUITE. Farouk BENATIA

Dans son ouvrage "Alger, agrégat ou cité", F. Be-natia essaie de comprendre le phénomène des bidonvilles et l' intégration de sa population au mode de vie urbain (citadin) . Son étude a porté essentiellement sur les bidonvilles d' Alger, ce qui ne l'a pas empêché de temps en temps de géné-raliser ses constatations à l'ensemble de l'Algérie. Il mène son analyse en deux temps : l'étape coloniale et l'étape d' après l'Indépendance. Il conclut, en fin d'analyse, que

"Le bidonville dans la "Wilaya" d'Alger, de même

que dans toutes les "Wilayates" (1) d'Algérie, est un

fait colonial d'abord, et un fait d'industrialisation

ensuite" (2).

Le bidonville est un fait colonial car, selon l'au-teur, le colonialisme a introduit des bouleversements

socio-(1) Wilayates : pluriel de Wilaya = Département.

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-économiques dans la société autochtone, qui ont eu leurs répercussions sur les conditions de vie de la population musulmane et ses conditions d'habitat (1). D'autant plus que la majorité des bidonvilles de la Wilaya d'Alger ont vu le jour pendant la colonisation.

Le bidonville est un fait d'industrialisation, car c'est cette dernière qui représente pour l'auteur la cause principale de l'exode rural qui alimente les

bidonvilles.

"L'exode des campagnards vers les grandes villes ( pôles industriels) s'est accru depuis l'industrialisation du pays" (2).

A partir de cette double constatation, l'auteur affirme que "l'existence des bidonvilles après

l'Indé-pendance nationale est explicable fondamentalement par des causes lointaines, tant politiques, économiques, que sociales" (3).

A propos du processus d'intégration, l'auteur esti-me que c'est en référence aux causes de la sous-intégration de la population qu'il faut préparer les conditions de son intégration. Il situe l'intégration à trois niveaux : éco-nomique, spatial, culturel.

Par économique, il entend l'accès à un emploi stable permanent, permettant l'insertion du travailleur dans le

( 1 )

F. BENATIA.- op. cit., p.260-261. (

2 ) F. BENATIA.- op. cit., p.269.( 3 ) F. BENATIA.- op. cit., p.272.

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-contexte économique global de la ville.

Par spatial, il entend un espace sain, qui inclut d'abord le logement, les communications, la possibilité d'un centre commercial et médico-social proche, et l'aménagement des utilisés (égoûts, eau, gaz, électricité...).

Par culturel, il entend la scolarisation totale des enfants issus des bidonvilles, la possibilité de s'élever le plus possible dans les filières d'éducation et d'accéder en plus grand nombre possible aux études spécialisées et aux études supérieures.

Si nous sommes d'accord avec Benatia sur les bou-leversements brutaux qu'a provoqué le colonialisme et leurs répercussions sur l'habitat en Algérie, nous n'adhérons pas pour autant à la généralisation qu'il fait sur tout le pays et tous les bidonvilles. En effet, si les bidonvilles d'Al-ger ont vu le jour durant la colonisation, plusieurs autres bidonvilles, dans d'autres villes d'Algérie, datent d'après l'Indépendance.

L'auteur, en expliquant la multiplication des bi-donvilles par l'exode rural provoqué par l'industrialisation du pays, semble ignorer une autre cause importante de cette multiplication, qui est la crise de l'habitat dont il ne parle pas.

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-La dernière remarque que nous faisons à l'égard de cette étude, est que l'auteur, en affirmant que l'explica-tion de l'existence des bidonvilles après l'Indépendance, devrait être recherchée dans des causes lointaines, tant po-litiques, économiques, que sociales, nous laisse douter de l' efficacité empirique de cette démarche. Il nous semble im-portant, pour contribuer efficacement à l'étude du problème des bidonvilles et de leur intégration, de situer l'objet de recherche dans un temps actuel ou à la limite, dans un

présent épais, mais surtout pas lointain.

§3 - DU DISCOURS SUR LES BIDONVILLES, "DISCOURS D'INTÉGRATION

ET DE MARGINALITÉ",

La première remarque qui frappe tout chercheur s' intéressant au problème des bidonvilles et de leur intégra-tion, est l'image caricaturale et stéréotypée de la margina-lité - sous toutes ses formes - de ce phénomène qui apparaît dans différents discours tenus par différents acteurs sociaux. En effet, jusqu'à présent, on n'a retenu des bidonvilles que l'image de la marginalité, de la désintégration, de la

dé-sorganisation sociale, le caractère anomique de ces quartiers, voire même parfois l'image du chômage massif, du vol, de la délinquance, de la prostitution, de l'utilisation de la vio-lence, de la dissolution des valeurs familiales et morales...

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-Cette image est présente dans plusieurs discours, que ce soit celui tenu par des hommes de pouvoir, ou celui tenu par la presse, ou même celui tenu par différents chercheurs de différents pays.

La littérature sur les bidonvilles est tellement orientée dans ce sens, que nous n'avons eu que l'embarras du choix pour en sélectionner les paragraphes ou les phrases les plus frappantes. Nous avons convenu, en fin de compte, de présenter quelques citations qui émanent de différents acteurs sociaux (homme politique, organismes officiels, chercheurs, presse), dans différents pays.

Le ministre indien du logement, K. Ragurmaiah, en parlant des bidonvilles de son pays à la conférence des Na-tions Unies sur l'habitat, déclare que "de toute façon, ces

gens-là sont des criminels et cette zone sent terriblement mauvais" (1). La déclaration faite aussi par un organisme

officiel au Brésil - la Fondation Leon XIII - va dans le même sens. Elle affirme que :

"Les familles arrivent pures et unies de l'inté-rieur du pays... La désintégration commence dans la fa-vela à cause de la promiscuité, des mauvais exemples et des difficultés financières. Les enfants assistent à l' acte sexuel, les jeunes filles sont séduites puis

abandonnées ; enceintes, elles ne se sentent même pas

(1) Cité dans le journal du forum de la conférence, Jericho, 11 juin 1976.

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-honteuses. La boisson et la drogue servent à

anesthé-sier les désillusions, les humiliations et les

défi-ciences alimentaires. Les nuits appartiennent aux

cri-minels : dans le silence de la nuit, on peut entendre

des appels au secours, mais personne n'ose s'interposer

de peur d'être la victime suivante et la police entre

rarement dans la favela" (1).

Cette vision des hommes politiques et des organis-mes officiels est très loin de la réalité sociale du bidon-ville. Elle est surtout idéologique. Son seul souvi est de justifier l'inefficacité, voire même l'inexistence de politi-que urbaine, et par là même gagner une partie de l'opinion publique pour justifier les méthodeé radicales de résorption des bidonvilles par le bulldozer. Le bidonvillois est con-sidéré par cette vision comme un "sous-homme" qui ne peut pas penser ; il suffit de l'avertir la veille pour l'emporter le lendemain dans un camion, loin de la ville où sa présence était considérée comme nuisible. Elle permet aussi de

justifier d'autres méthodes, peut-être moins brutales, mais plus ignorantes, qui consistent à dresser des palissades autour des bidonvilles, pour ne pas gêner la vue du touriste.

Certains chercheurs ont aussi tenu, avec des varian-tes, des discours de marginalité sur les bidonvilles. Cela nous paraît plus contestable.

Henri Mendras, parlant du bidonville de Noisy-le-Grand, à travers l'étude de ce dernier par Jean

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