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Chapitre 3 : Méthodologie

3.6 Biais et limites de la recherche

Dans le cadre de cette étude, le principal biais réside dans la limite de temps accordé aux terrains d’observation. Trois semaines n’ont pas suffi pour me permettre d’être témoin de la globalité des activités accomplies par les intervenants. Beaucoup de données ont donc été recueillies dans des entrevues téléphoniques, avec des intervenants que je n’ai jamais rencontrés, ce qui a pu jouer sur la validité de celles-ci. En effet, la subjectivité des intervenants a pris une place importante dans cette collecte de données et une triangulation des données, à l’aide d’observations, n’a pas toujours été possible.

De plus, pendant une bonne partie de ma collecte de données, l’objectif de recherche résidait dans la compréhension de la relation que créait l’intervenant avec ses usagers dans un contexte où il était leur seul « point de repère ». Les questions sur le questionnaire et les premières entrevues laissaient donc peu de place aux activités qui ne sont pas faites dans l’interaction directe entre l’intervenant et l’immigrant, comme les activités de marketing. Les

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questions étaient dirigées sur ce que font les intervenants auprès de la population immigrante, alors que les activités de réseautage ou d’attraction, entre autres, n’ont pas reçu l’attention requise par le présent objectif de recherche, soit la modélisation des stratégies d’intervention. Néanmoins, ces éléments sont ressortis malgré l’absence de questions leur étant directement liées. De plus, les entrevues ont évolué en cours de route, alors que le sens des données s’éclaircissait, et plusieurs intervenants ont pu être questionnés de manière à donner de l’attention aux aspects moins inhérents à l’intervention directe.

Un deuxième biais important réside dans la définition donnée à des mots très présents dans le projet tels que compétence, culture et interculturel, mais aussi intervention ou intégration. En effet, ces mots étaient utilisés à plusieurs escients ; laissant une grande place à de fausses interprétations, autant de ma part, que celle de mes répondants. La reformulation des questions et l’explication des définitions que j’ai accordées aux concepts ont été des techniques utilisées pour réduire l’écart. Cependant, eu égard de ma difficulté à faire fi de mes formations académiques et scientifiques, je me suis éloignée de l’expérience subjective de mes répondants en me rapprochant à la littérature scientifique. J’ai aussi ajouté des bruits12 à la communication. Par exemple, j’ai tenté d’expliquer le mot préjugé, comme étant plutôt une tradition, selon Gadamer (1976), sans me rendre compte, du moins pas suffisamment, que malgré l’explication, les intervenants n’étaient pas réceptifs à un tel mot à connotation négative. Mes connaissances particulières de ces concepts rendait la compréhension mutuelle difficile. Les expériences très divergentes de tels concepts, entre les intervenants eux-mêmes ou particulièrement ces derniers

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avec le chercheur, ont pu avoir un impact sur la nature des données collectées, sur mon interprétation de ces données et sur mes rapports avec les acteurs sur le terrain.

Un troisième biais identifié est celui du contexte politique dans lequel se retrouvent les intervenants en immigration et les répercussions de celui-ci sur la représentation de soi livré par les répondants. Comme le suggère Mauger (1991), sociologue, la représentation de soi de l’enquêté, dans le cadre d’une recherche scientifique, est vouée à être évaluée par le chercheur et est nécessairement affectée par l’anticipation de l’enquêté des jugements du chercheur (p.137). Cela crée diverses formes d’autocensure, non seulement dans la manière de dire les choses, mais aussi dans ce qui peut ou ne pas être dit. Le « quasi-examen » (p.137) créé par la situation d’enquête et son chercheur, vu comme possédant la légitimité intellectuelle, incite les répondants à présenter le soi de manière à susciter l’estime. Comme le sujet de l’immigration est un sujet très sensible et polarisé, ceux-ci devaient faire preuve de prudence. De plus, puisque les répondants de cette recherche sont des représentants d’une fonction professionnelle, ceux-ci répondent de manière à donner l’image qu’ils croient être cohérente avec les stéréotypes liés à la profession. Étant mandatés pour aider les personnes immigrantes de leur région, la vision de personnes ouvertes à la diversité est légitime. Ainsi, à maintes reprises, j’ai senti que les intervenants soignaient leur vocabulaire et la formulation des phrases, sans doute par crainte de se faire passer pour des esprits fermés, discriminants ou bourrés de préjugés.

Pour ajouter à la complexité de ce biais, ceux liés à l’interculturel sont souvent d’ordre de l’implicite ; les personnes concernées sont, plus souvent qu’autrement, sans connaissances de leurs propres biais. Ni une introspection, ni une évaluation honnête de soi ne peut être considérée comme des guides fiables de la présence de tels biais (Kelly et Roeddert, 2008). Pour certaines personnes, les biais liés à la différence culturelle sont invisibles, puisque cette différence est

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invisible à leurs yeux. Pour d’autres, les différences sont visibles mais non-exprimables, dû au contexte politique.

J’ai pris conscience de ces trois biais assez tôt dans le processus ; ils ont donc fait partie intégrante des réflexions sur le sujet et de l’analyse des données. Ces obstacles, que sont la courte période d’observation, le manque de vision commune de certains concepts et l’obligation d’être politiquement correct13, ont donc d’eux-mêmes apporté des conclusions, laissant entrevoir dans quel contexte les intervenants sont apportés à travailler. Ils ont été importants dans la compréhension de l’expérience subjective des intervenants. Le prochain chapitre présente, de manière plus élaborée, ce contexte historique et ethnographique dans lequel s’installe la recherche.

13Pour Lebouc (2007), le politiquement correct est « une tentative d’éviter des expressions qui pourraient être comprises comme des tentatives d’exclure ou de dénigrer des groupes ou des minorités traditionnellement perçues comme désavantager » (p.11).

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