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5. Les Costières de Nîmes : un paradis à portée de drains

5.2. La banque de graines de nos jours

Acquérir une connaissance des compositions spécifiques de chaque zone humide des Costières nécessiterait des prospections étalées sur plusieurs années et couvrant des

conditions climatiques variées. L’autre possibilité est évidemment de regarder directement

ce qui se trouve dans le sol, en exposant ce dernier à des conditions environnementales

diverses afin de faire germer l’ensemble des espèces présentes dans la banque de graines.

Ainsi nous pouvons déjà fortement supposer que les « découvertes » de populations de

Lytrhum theisoides, sont en fait l’expression de banque de graines issues de populations

anciennes et présentes dans le sol. Toutefois, ces deux nouvelles populations se situent

dans des espaces où l’espèce n’avait jamais été observée auparavant et aucun élément ne permet de valider sa présence historique. Nous avons alors réalisé une brève étude de la population de Saint Vincent, présentée en encadré 6, qui nous permet de confirmer la présence de la banque de graines avant la perturbation de 2017, et sa découverte.

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Encadré 6 : Etude de la population de L. thesioides de Saint Vincent

L’objectif de cette petite expérience était de mettre en évidence la présence antérieure aux travaux d’élargissement du fossé, d’une banque de graines de L. thesioides sur le site de Saint Vincent, ainsi que de réaliser le suivi démographique de cette population nouvellement découverte.

Banque de graines

Pour étudier la banque de graines de L. thesioides sur le site de Jonquières, nous avons réalisé des échantillonnages de sol dans le fossé, à la fois dans la partie récemment élargie où des individus ont été observés l’été 2017, et dans la portion du fossé non élargie ou aucun individu n’a été observé. 22 échantillons ont été collectés, le long d’un transect de 22m (un échantillon tous les 2 mètres), avec 11 échantillons dans la zone élargie et 11 dans la zone non impactée par les travaux. Chaque échantillon a alors subi le même traitement que celui détaillé dans la partie 2.2, mis en germination l’été 2018 afin de comptabiliser les graines de L. thesioides. L’échantillonnage a été réalisé en avril 2018 et la mise a germination a été faite en même temps que celle des échantillons de Campuget (du 06/07 au 05/10/2018).

Au total, 42 graines de L. thesioides ont germé. Pour les deux traitements, environ 50% des échantillons avaient au moins une graine de L. thesioides (6/11 pour la zone perturbée, 5/11 pour la zone témoin). En revanche, les densités observées étaient nettement plus élevées pour les échantillons issue de la portion perturbée (médiane de 3 graines par échantillon, maximum de 14 graines) que pour la zone témoin (médiane d’une graine, maximum de 2) : test de Wilcoxon : W=30, p-value=0.045. Ces résultats permettent de mettre en évidence la présence d’une banque de graines historique de L. thesioides au niveau de la zone humide de Saint Vincent. Les travaux d’élargissement du fossé ont donc stimulé la germination de cette dernière, et semble-t-il permis d’augmenter la densité de la banque de graines. La similitude dans les fréquences d’occupation des échantillons par L. thesioides laisse supposer une dispersion très faible des graines qui restent au niveau de la plante mère, comme c’est connu pour ces espèces annuelles de milieux humides temporaires (Metzner et al., 2017). Toutefois, le nombre d’échantillons utilisé reste faible pour conclure plus en profondeur.

Suivi de la population

De la même façon que nous l’avons fait à Campuget (encadré 2), un suivi démographique a été mis en place sur la nouvelle population découverte à Saint Vincent en 2017. Deux échelles ont été étudiées, une première consistait en un long transect de 203 m, qui suivait la longueur du fossé où des individus ont été observés, avec données de présence/absence en Lythrum thesioides par m² à droite et à gauche du fossé le long de ce transect. Ensuite, 56 quadrats fixes de 1m² ont été définis et matérialisés sur le site. Les données de présence/absence de L. thesioides étaient alors récoltées par maille de 5cm de côté pour chacun de ces quadrats (soit 100 données par quadrats) et un relevé de végétation en 20 points de contact était réalisé (avec roche, sol nu ou végétation comme modalité). Les données de végétation n’ont pas été récoltées en 2019. Les résultats sont présentés dans la figure. En 2017, la population de L. thesioides observée est très importante. Plusieurs centaines d’individus ont été observé avec 197 placettes de 1m² avec au moins 1 individu présent. L’année suivante, la population était quasiment inexistante, avec moins de 15 individus observés au total (10 placettes). En 2019, aucun individu de L. thesioidesn’a été observé. Le contexte agricole a été modifié, probablement en 2017, et il est possible que les travaux réalisés dans le fossé à l’origine de la découverte de la population soit liés à cette modification.

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Encadré 6 : Etude de la population de L. thesioides de Saint Vincent

Des pêchers ont été plantés dans la parcelle adjacente au fossé. En 2018, l’autre parcelle qui fait face au fossé a également été plantée en pêchers, et deux haies de peupliers ont été érigées en barrière contre le vent. Il est alors probable que la disparition de L. thesioides soit expliquée par une modification de l’hydrologie (probablement en raison de la modification de l’utilisation agricole des terres), avec une inondation limitée en 2018 et quasiment inexistante en 2019. La végétation s’est alors développée sur les berges des fossés (données en 2018 et observations en 2019) en l’absence de perturbation d’origine hydrologique ou mécanique.

Figure : (a) Nombre de données de présence par année pour le suivi du transect complet (406

données au total), tests de Khi², c.f. chapitre X pour la méthode, (b) Nombre de données de présence par année pour le suivi par quadrats (5600 données), test de Khi², (c) Recouvrement moyen en végétation par année, test de wilcoxon (W=930,5 ; p-value = 0,0005).

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Au-delà de L. thesioides, il m’a semblé intéressant de regarder si d’autres espèces

pouvaient être présentes dans le sol des anciens étangs des Costières. Un travail exploratoire a alors été mené et est présenté en encadré 7 ; il montre la présence de graines caractéristiques des zones humides temporaires dans trois des quatre sites étudiées.

L’ancien étang de Jonquières semble avoir subi des modifications trop importantes et trop

anciennes pour avoir conservé une banque de graines viable (tout du moins là où nous

avons échantillonné). A l’inverse, la zone de Campuget et surtout celle de Pazac présente une banque de graines intéressante, avec des taxons pleinement aquatiques (notamment

Riella notarisii, différentes espèces de Characeae). Cela témoigne d’une inondation

prolongée historiquement. A noter également la présence d’une faune caractéristique dans

le substrat de certaines de ces zones. Ce travail est particulièrement préliminaire et doit être pris avec précaution. Il nécessiterait également une approche plus systématique dans

l’échantillonnage, comme celle développée par Huc et Jacob (2017), qui a permis de retrouver Centaurium favargeri des bords de la Durance. Il est également très probable que les densités dans les anciennes zones humides de la banque de graines soit bien plus faibles

qu’elles ne l’ont été. Ungradient selon l’ancienneté du drainage, comme observé dans des mares du Canada par exemple (Wienhold & Van Der Valk 1989) est fortement suspecté,

en témoigne l’absence de graines d’espèces annuelles dans les prélèvements de Jonquières.

Bien que notre échantillonnage de sol soit particulièrement réduit, il illustre la

présence de graines viables, qui permet d’envisager une restauration écologique de zones humides dans les Costières. En effet, le retour d’une hydrologie favorable accompagnée d’une exposition à la lumière de ces graines devrait permettre leur germination. Des banques de graines anciennes ont déjà été utilisées dans des projets de restauration, comme

en Angleterre, où des mares disparues depuis plus d’un siècle, ont pu être retrouvées en

creusant de nouveau les dépressions qui avaient été remblayées puis cultivées (Alderton et al. 2017). Des projets analogues pourraient donc être transposés au contexte des Costières