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3.3 Étude de cas : déblais et remblais

4.1.3 Balistique

Globalement, la balistique distingue trois sous-disciplines correspondant aux trois phases du tir d’un projectile : la balistique intérieure pour la phase de lan-

42. Maurice d’Ocagne (1919b). Principes usuels de nomographie avec application à divers pro- blèmes concernant l’artillerie et l’aéronautique.

4.1. Domaines d’utilisation 129 cement, concernant les phénomènes qui se produisent à l’intérieur du canon et basée sur des modèles thermodynamiques souvent déterminés de manière empi- rique ; la balistique extérieure pour la phase de vol, qui s’appuie sur les principes fondamentaux de la dynamique ; enfin la balistique terminale pour la phase de frappe de la cible établie sur l’élasticité des matériaux. Les nomogrammes que nous retrouvons dans les archives concernent essentiellement la balistique exté- rieure. Ce sont les plus utiles sur les champs de tir puisque les études pour les deux autres phases peuvent être faites en dehors du front.

Les guerres ont fait grandement avancer la nomographie dans le domaine de la balistique. Nous y reviendrons plus en détail dans la section suivante où nous étudierons le cas de l’utilisation des nomogrammes pour le matériel d’artillerie pendant la Première Guerre mondiale grâce au bureau de nomographie dirigé par d’Ocagne. Nous axons la présente sous-section sur les types de documents qui ont circulé pour la balistique, en lien avec la nomographie. De manière générale, il existe pour l’artillerie des notes uniques, mais aussi de multiples œuvres bien plus complètes, de plusieurs dizaines de pages. Nous pouvons distinguer princi- palement trois sortes de carnets : ceux qui concernent en priorité les méthodes nomographiques qui sont ensuite appliquées à la balistique ; ceux qui sont axés sur les techniques de tir ; et enfin les recueils d’abaques pour le tir directement exploitables sur le front.

Dès 1898, d’Ocagne constate qu’il y a matière à favoriser l’utilisation de no- mogrammes pour le tir des pièces de siège : avant lui, le capitaine Lafay a déjà créé des abaques à points cotés sur « une simple feuille de papier ordinaire »43. Ceux-ci contiennent un certain nombre de variables comme la distance du but à atteindre, la charge pratique, l’angle initial, l’angle de chute, l’angle de site, la fourchette, la dérive ou encore la durée du trajet. La figure 4.13 montre la vo- lonté de représenter sur une même planche diverses variables afin de réduire le nombre de feuilles à distribuer44. En revanche, la multitude de courbes et de

droites cotées peut effrayer un technicien peu habitué à ce genre de graphique. Pesci, en toute fin du 19esiècle, publie desCenni di nomografia con molte appli-

cazioni alla balistica que nous pouvons traduire par Éléments de nomographie, avec

43. Maurice d’Ocagne (1898h). « Sur quelques applications pratiques de la méthode des points cotes ».Revue générale des sciences pures et appliquées. 9, p. 119.

Figure 4.13– Abaques de tir pour le canon de 155 long, obus ordinaire, proposé par Lafay (1895). Source : ENPC

de nombreuses application à la balistique, en deux parties45,46. Il y dresse un ré-

sumé de cette science et propose des nomogrammes à droites concourantes pour la balistique. Son mémoire se veut technique, avec de nombreuses formules ex- pliquées et exploitées, plutôt destinées à des personnes qui voudraient créer des abaques qu’à des techniciens qui souhaiteraient des abaques clé en main. Mais c’est logiquement lors de la Première Guerre mondiale que nous observons l’es- sor de la nomographie dans la balistique : le bureau de nomographie créé par d’Ocagne permet de récupérer à un même endroit les demandes venant du front. De nombreux abaques sont dessinés, principalement pour les canons qui existent à l’époque afin d’optimiser leur utilisation, en particulier pour le canon phare du début de guerre, le canon de 75. Des manuels complets à destination des officiers sont édités, par exemple sous le nom de « Instruction provisoire sur le tir »47

45. Giuseppe Pesci (1899b). « Cenni di nomografia con molte applicazioni alla balistica. Parte prima ».Rivista marittima.

46. Giuseppe Pesci (1900a). « Cenni di nomografia con molte applicazioni alla balistica. Parte secunda ».Rivista marittima.

47. Ministère de la guerre (1916).Instruction provisoire de tir. Canon de 75 mm contre objectifs aériens.

4.1. Domaines d’utilisation 131 dont la figure 4.14 montre la première de couverture d’un exemplaire ainsi que sa table des matières. Ce sont des cahiers tenus secrets, confidentiels et numé-

Figure 4.14– Première de couverture et table des matières d’un fascicule d’instruction sur le tir édité par le ministère de la Guerre pour le canon de 75 (1916). Source : ENPC

rotés contenant les instructions et formules nécessaires aux éléments du tir, les corrections des tirs, les matériaux utilisés. . . Ceux-ci ne comportent pas de no- mogrammes mais permettent certainement au bureau de nomographie de s’en inspirer afin de traduire en graphiques les multiples équations relatives aux tirs. À l’opposé, il existe des carnets de nomogrammes, souvent couplés à des tables et plutôt à destinations des artilleurs, composés d’applications rapides, avec une courte explication de l’utilisation pratique. C’est le cas de l’annexe aux tables de tir du canon de 75 modèle 1897 éditée en 1917 et comportant des tables de tirs sommaires et des abaques à droites concourantes pour le calcul de la va- riation globale de portée48. Ce sont des instructions officielles émanant du minis-

48. Ministère de l’armement et des fabrications de guerre (1917).Annexe 1 aux tables de tir du canon de 75 Mle 1897. Tables de tir sommaires et abaques pour le calcul de la variation globale de

tère de l’Armement et des fabrications de guerre dans lesquelles sont proposés, pour quelques types d’obus, un tableau permettant de régler le tir du canon et un abaque lui correspondant pour le calcul de la variation de portée due aux condi- tions au moment du tir (la figure 4.15 montre un tel abaque pour l’obus à balles). Ces abaques comportent quatre réseaux de courbes à entrecroisements ainsi que

Figure 4.15– Abaque VIa des tables de tir du canon de 75. Source : ENPC

des échelles graduées. Les variations étudiées sont celle du poids du litre d’air (noté dω sur l’abaque), celle de la composante longitudinale du vent (Wx), celle de la vitesse initiale (dVo) et celle du poids du projectile (dp). Etudions plus en détail l’utilisation de cet abaque particulier qui nécessite à la fois des lectures sur des réseaux à entrecroisements et des alignements de points. Prenons l’exemple d’un tir d’obus à balle de portée théorique 6 500 m, dont le poids du litre d’air est de 1 280 mg, dont la composante longitudinale du vent est diminuée de 4,5 m/s, de vitesse initiale 528 m/s et de variation de poids de +7,5 kg (voir fig. 4.15).

— Sur le premier graphique en partant du haut, on trouve l’intersection de la ligne horizontale des portées correspondant à 6 500 m et la courbe de

4.1. Domaines d’utilisation 133 variation du poids de l’air de +80 mg (1280 mg − 1200 mg). Cela nous donne une portée diminuée d’environ 165 m, lisible sur l’axe des abscisses situé au dessus du schéma.

— Sur le second graphique, on trouve l’intersection de la ligne horizontale des portées correspondant à 6 500 m et de la courbe de variation du vent de −4,5 m/s. Cela nous donne une portée diminuée d’environ 85 m. — En reliant les deux points d’intersection ce ces deux graphiques, on peut

lire une variation de portée de −250 m sur l’échelle située entre les deux graphiques (D1X).

— Sur le troisième graphique, on trouve l’intersection de la ligne horizontale des portées correspondant à 6 500 m et de la courbe de variation de la vitesse initiale de −7 m/s (528 m/s−535 m/s). Cela nous donne une portée diminuée d’environ 65 m, lisible sur l’axe des abscisses situé en dessous du schéma.

— Sur le quatrième graphique, on trouve l’intersection de la ligne horizon- tale des portées correspondant à 6 500 m et de la courbe de variation du poids de l’obus de +7,5 kg. Cela nous donne une portée diminuée d’envi- ron 25 m.

— En reliant les deux points d’intersection de ces graphiques, on peut lire une variation de portée d’environ −40 m sur l’échelle située entre les deux graphiques (D2X).

— Enfin, on relie les deux points obtenus sur les échelles D1X et D2X pour

obtenir la variation totale de la portée sur l’échelle horizontale centrale DX, c’est à dire −290 m.

Ainsi, dans ces conditions, la portée de l’obus ne sera pas de 6 500 m mais de 6 210 m. Remarquons toutefois que nous pouvons diminuer le temps de calcul : en effet, il n’est pas nécessaire de lire à chaque fois l’augmentation ou la diminu- tion de portées pour chaque variable, il suffit de lire directement le résultat final. Les autres tableaux graphiques de ce recueil sont tous basés sur le même procédé de lecture.

La même année, nous trouvons également un carnet comportant uniquement des nomogrammes (17 au total) et portant plus ou moins le même nom :Canon de 75 Mle 1897. Tables graphiques de corrections de tir49. Nous pouvons supposer

que ce carnet, d’apparence sommaire (voir fig. 4.16), puisse émaner du bureau d’étude de nomographie, puisqu’il comporte de nombreux nomogrammes signés

Figure 4.16– Première de couverture du carnet de tables graphiques de corrections de tir du canon de 75 (1917). Source : ENPC

d’Ocagne, ainsi qu’une note finale stipulant que « Les principes sur lesquels est fondée la construction des tables graphiques sont donnés dans les ouvrages sui- vants du Lt Colonel d’Ocagne : Traité de nomographie (Paris ; Gaultier-Villars

[sic] ; 1899). Calcul graphique et nomographie (Paris, Doin : 2e édition 1914) ».

Mais surtout, certains bons à tirer de ces nomogrammes se trouvent dans les ar- chives avec l’entête « Sous-secrétariat d’État des inventions. Bureau d’études no- mographiques »50. Notons que, contrairement au précédent carnet qui ne com-

portait qu’une sorte d’abaque permettant de mesurer en une fois une variation

4.1. Domaines d’utilisation 135 de portée, ceux de ce carnet sont plus diversifiés mais aussi plus singuliers : on y trouve un abaque pour le calcul de la distance mesurée et de l’angle du plan de tir mélangeant des entrecroisements et des alignements ; un nomogramme à points alignés pour déterminer l’angle de site ; un autre pour calculer les compo- santes du vent ; sept nomogrammes mixtes de corrections atmosphériques (créés par d’Ocagne et Pierre Goybet) ; quatre nomogrammes des corrections en por- tée correspondant aux variations de la vitesse initiale et du poids du projectile (d’Ocagne et A. Michel) ; deux nomogrammes à entrecroisement donnant la va- leur de l’écart probable sur un terrain incliné (Jean Elubert), et enfin un nomo- gramme à droites parallèles et à points alignés d’un coefficient de réglage consis- tant simplement en un abaque de multiplication.

Enfin, nous rencontrons des carnets mixtes comportant à la fois des nomo- grammes, mais aussi des explications techniques de construction de ces abaques, plus à destination des ingénieurs qui voudraient se lancer dans des constructions personnelles. C’est le cas par exemple pour les « Notes sur la préparation et le ré- glage des tirs », un document confidentiel qui reprend les instructions provisoires du tir51dans son aspect technique, et qui propose différents outils pour effecteur les calculs comme des abaques à points alignés et des tables graphiques52. L’ob-

jectif de cette brochure est clair :

«Cette brochure n’est pas un Règlement officiel. Elle a été rédigée pour faire profiter le plus grand nombre possible d’officiers d’artillerie de travaux faits par quelques-uns de leurs camarades et faciliter ainsi leurs travaux personnels. Chacun y puisera donc ce qu’il jugera convenable, dans les limites des prescriptions réglementaires. »

Après la guerre, en 1919, d’Ocagne publie son fascicule Principes usuels de nomographie avec application à divers problèmes concernant l’artillerie et l’aéronau- tique53dont nous avons déjà parlé pour la section artillerie où il présente certains

abaques à points alignés utilisés pendant la guerre.

Pour conclure sur cette partie, je tenais à montrer un dernier type d’abaque disponible dans la pochette des planches à grand format, dont l’auteur m’est in- connu, mais qui doit dater des années 1916 et qui me parait de concept très inté- ressant. Il s’agit de l’abaque passe-partout (voir fig. 4.17). Il constitue une trame

51. Ministère de la guerre 1916.

52. Sous-Secrétariat d’État des Inventions 1917b. 53. Maurice d’Ocagne 1919b.

Figure 4.17– Abaque passe partout pour le tir au canon. Source : ENPC

de nomogramme pouvant être utilisée pour tous les canons, à condition de la compléter grâce aux tables de tir caractéristiques du canon que l’on souhaite pré- parer. L’abaque passe-partout comporte pas moins de onze échelles numérotées par des lettres. Les échelles A, B, C, E, P, R, S sont fixées et correspondent à :

A - échelle de la direction du vent, qui a la particularité d’être une échelle « mobile » graduée de manière ponctuelle pour la composante longitudi-

nale et transversale du vent grâce à la rose des vents ; B - échelle des vitesses du vent ;

C - échelle des composantes du vent (longitudinal et transversal) ; E - échelle des corrections dues au vent longitudinal ;

4.1. Domaines d’utilisation 137 R - échelle des corrections dues à la variation du poids du litre d’air, le poids pouvant être obtenu grâce à un sous-abaque à entrecroisements dans le- quel on peut entrer la pression et la température ;

S - échelle finale de la correction totale en portée.

Les échelles D, H, J et Q doivent être construites point par point en utilisant les ta- bleaux de correction et peuvent être composées de plusieurs faisceaux de courbes afin d’utiliser l’abaque pour différentes charges d’un même obus ou d’une même fusée :

D - échelles des portées pour la correction due au vent longitudinal ; H - échelles des portées pour la correction de la dérive ;

J - échelles de la somme de la dérive de la table et de la dérive due au vent transversal ;

Q - échelles des portées pour la correction due à la variation du poids du litre d’air.

Si nous examinons l’un de ces abaques terminé, celui des corrections atmosphé- riques pour l’O.F.A du 155cs à fusées courtes (voir fig. 4.18), nous constatons un

effort « pédagogique » visuel par rapport aux abaques usuels (voir par exemple le nomogramme de Lafay fig. 4.13) : tout d’abord, il est édité en trois couleurs. Le cadre vert nous permet de distinguer en un coup d’œil le type de canon dont il s’agit, et les échelles bicolores rouges et noires aident à mieux différencier les échelles des différentes charges pour un même obus. Les lettres A, B, C, D, E, H, J, P, Q, R et S désignent les échelles permettent de suivre l’algorithme d’utilisa- tion de l’abaque : nous pouvons lire en effet la série ABC, CDE, PQR, ERS pour la correction en portée et la série ABC, CHJ pour la correction en dérive juste en dessous de la rose des vents. Pour faire le lien avec d’autres abaques, il était très courant de voir un petit schéma montrant la marche à suivre, ainsi qu’un exemple tracé sur l’abaque, ce qui pouvait prêter à confusion en ajoutant à l’abaque des lignes inutiles de manière générale. Nous pourrions ajouter à cela que la police de caractère utilisée semble bien lisible.

Suite à ces remarques, et même sans livret d’instruction, nous pouvons ima- giner qu’un technicien habitué aux nomogrammes peut en déduire assez facile- ment la marche à suivre pour déterminer les corrections à apporter à la hausse du canon (angle du canon sur le plan vertical) et à la dérive (angle du canon sur le plan horizontal) pour une portée donnée en fonction du vent, de la tempéra-

Figure 4.18– Abaque de correction atmosphériques pour l’O.F.A. du 155csd’auteur inconnu.

Source : ENPC

ture et de la pression. En se prêtant à ce jeu, il est possible d’effectuer les étapes suivantes :

— Correction de la hausse : celle-ci dépend de la composante longitudinale du vent, de sa vitesse et du poids du litre d’air. Le premier alignement à effectuer est l’alignement ABC, reliant l’échelle de la direction longitudi- nale du vent A à l’échelle des vitesses B, ce qui nous donne un point sur l’échelle C. La deuxième étape consiste à aligner le point déterminé précé- demment sur l’échelle C à l’échelle D des portées pour le vent longitudinal, ce qui nous donne un point sur l’échelle E des corrections dues au vent lon- gitudinal. Ensuite, on désigne la modification due à la variation de poids du litre d’air en alignant l’échelle P à l’échelle Q des portées pour le poids du litre d’air afin d’obtenir un point sur l’échelle R. Enfin, en alignant les points des échelles E et R, on obtient la correction à apporter à la hausse

4.1. Domaines d’utilisation 139 sur l’échelle S.

— Correction de la dérive : elle dépend cette fois-ci de la composante trans- versale du vent et de sa vitesse. On aligne l’échelle A à l’échelle B, ce qui nous donne un point sur l’échelle C. On relie ce point à l’échelle H des portées pour le vent transversal, cela nous donne la correction à apporter à la dérive sur l’une des échelles J en fonction de la charge utilisée.

Ainsi, le technicien peut ensuite corriger la hausse et la dérive de son canon afin d’obtenir un réglage plus optimal.