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Chapitre IV : La prévisibilité décennale de la région Atlantique Nord – Europe

IV- 1-1-b) Comparaison avec un modèle autorégressif d’ordre 1

Les contrastes continents-océans et tropiques-extratropiques des valeurs de ppvf sont cohérents avec les propriétés du modèle dit white noise integrator (Hasselmann 1976) pour lequel la variabilité basse fréquence de la température de surface est fonction de l'inertie thermique du milieu (cf. II-7-1-a). Elle est très faible pour les continents et est fonction du volume d'eau en contact avec l'atmosphère, i.e. de la couche de mélange,

Figure IV.1 : Carte de ppvf de la température à 2 mètres. (a) valeurs de la ppvf pour des blocs de

10 ans de la température annuelle. Les pointillés représentent les zones dont les valeurs ne sont pas statistiquement différentes d’un bruit blanc pour un seuil de confiance de 95%. (b) idem (a), mais la significativité est testée par rapport à un bruit de type white noise integrator (ici AR(1)). (c) Temps de décorrélation tdAR estimé suivant l’hypothèse AR(1). (d) Différence entre le temps de

décorrélation tdAR et le temps de décorrélation td estimé à partir de la fonction d’autocorrélation.

IV-1) La prévisibilité du système climatique à l’échelle décennale : une étude comparative des estimations diagnostique et pronostique

127 pour l’océan. Rappelons ici les formes dérivée et intégrée de ce modèle d’évolution de la température T :

ௗ்

ௗ௧

ൌ െߙܶ

൅ ߝ

(éq. IV.7)

ܶሺݐ

൅ ݐሻ ൌ ߤ ൅ ݁

ିఈ௧

ܶ

ᇱሺ௧బሻ

൅ ׬

బା௧

݁

ିఈሺ௧బା௧ି௦ሻ

݀ݏ

(éq. IV.8) Où • représente la moyenne climatologique, le coefficient d’amortissement des anomalies vers l’état moyen et ! le terme de forçage, ou innovation. En considérant que ! décrit uniquement un forçage atmosphérique local, celui-ci peut être représenté par une variable stochastique d’autocorrélation interannuelle nulle, c'est-à-dire comme suivant les propriétés d’un bruit blanc.

Le modèle d’Hasselmann (1976) peut être discrétisé sous la forme d’un processus de Markov du premier ordrei du type AR(1) (pour 1st order AutoRegressive process), son

expression devient alors :

ܶሺݐ

൅ ͳሻ ൌ ߤ ൅ ߚܶ

ᇱሺ௧బሻ

൅ ߝሺݐ

൅ ͳሻ

(éq. IV.9) avec ݁ିఈ௧̱ͳ െ ߙݐ ൌ ߚ (développement limité à l’ordre 1). Ici • est égal à la fonction d’autocorrélation C de la série de température à un déphasage d’un an (ci-après lag 1) : ܥሺͳሻ ൌ ߚ. Il dépend donc de l’inertie thermique du milieu et représente en quelque sorte sa mémoire thermique interannuelle. Nous pouvons déduire de • le temps de décorrélation tdAR d’un modèle AR(1), défini comme le temps moyen à partir duquel

notre connaissance de la température à un instant t0 ne nous donne plus d’information

sur la température au temps ݐ൅ ݐಲೃ. En théorie, ce temps est infini puisque la décroissance de la fonction d'autocorrélation d'un AR(1) suit la loi

ܥ

஺ோ

ሺ߬ሻ ൌ ߚ

(éq. IV.10)

En pratique, il est calculé en se basant sur le comportement de la fonction e- t et ݐ

ௗಲೃ est défini par ߚ௧೏ಲೃ ൌ ݁ିଶ (von Storch et Zwiers 1999). On obtient alors :

ݐ

ௗಲೃ

ሺଵାఉሻ

ሺଵିఉሻ (éq. IV.11) Selon ce modèle, la prévisibilité de la température de surface est limitée au temps de décorrélation ݐಲೃet est uniquement due à la décroissance monotone des anomalies en fonction de la valeur du coefficient •. Le bruit ! étant par définition non prévisible, la genèse ou l’émergence d’une anomalie ne peut être anticipée. Etant donné ces propriétés, la prévisibilité de ce type de modèle est ainsi souvent considérée comme la prévisibilité minimale des systèmes dynamiques dont la présence de processus physiques est susceptible d’augmenter la prévisibilité (e.g. liens entre l’AMV et le

i Pour ce type de processus les conditions du pas de temps t+1 sont entièrement déterminées par les conditions du pas de temps t.

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transport de chaleur méridien vu au chapitre III). Il est ainsi intéressant de comparer le temps de décorrélation ݐಲೃ calculé suivant l’hypothèse d’un modèle AR(1), qui ne dépend que de la fonction d’autocorrélation au lag 1, à celui calculé sans aucune hypothèse statistique (autre qu'une moyenne et une tendance nulles) à partir de l’ensemble de la fonction d’autocorrélation, ݐ (cf. von Storch et Zwiers 1999 p.372). Dans le contexte de l’ANOVA, où la série est séparée en blocs de m années, ce temps est estimé selon l'équation suivante:

ݐ

ൌ ͳ ൅ ʹ σ

௠௝ୀଵ

ቂቀͳ െ

ቁ ܥሺ݆ሻቃ

(éq. IV.12) Pour rigoureusement comparer le ݐ (calculé sur un nombre de lag fini) au ݐಲೃ, nous corrigeons ce dernier suivant la formule (Figure IV.1c ; cf. Boer 2004) :

ݐ

ௗᇱಲೃ

ሺଵାఉሻ ሺଵିఉሻ

ଶఉሺଵିఉ೘ሻ

௠ሺଵିఉሻమ (éq. IV13)

La cohérence entre les temps de décorrélation, ݐ et ݐಲೃ, renseigne sur la compatibilité du comportement de la température avec celui d'un modèle AR(1) (Figure IV.1d). Plus particulièrement, pour les zones où ݐ ൐ ݐಲೃ, cela signifie que la durée de vie d’une anomalie de température est supérieure à celle attendue pour un modèle AR(1), suggérant donc que la variabilité basse fréquence n’est pas le simple résultat de l’intégration d’un bruit interannuel.

Nous réalisons un deuxième test prenant en compte la possible autocorrélation de la température afin de caractériser son comportement basse fréquence. L’hypothèse H0

étant : « l’évolution de la température est compatible avec un modèle AR(1) » (cf. Boer 2004 pour les détails de ce test). Dans le cas où l'hypothèse H0 est rejetée, nous

concluons qu'un mécanisme supplémentaire au simple amortissement des anomalies créées par le bruit atmosphérique est en jeu. Précisons cependant que le fait de ne pas pouvoir rejeter l'hypothèse H0 n'est pas suffisant pour considérer que le système se

comporte comme le modèle d'Hasselmann (1976). En effet, le modèle AR(1) est en fait une linéarisation au premier ordre du comportement de la température plus que la simple intégration par les masses d’eau d'un bruit atmosphérique local. L’hypothèse selon laquelle le coefficient •, calculé à partir de la fonction d’autocorrélation au lag 1, représente l’inertie thermique du milieu est fondamentalement fausse : un ensemble d’autres phénomènes physiques, dont les processus advectifs, peuvent augmenter sa valeur. Aussi, en surestimant la variance basse fréquence provenant uniquement de l’inertie thermique des masses d’eau, la compatibilité de la température avec un modèle AR(1) ne permet pas de conclure sur la compatibilité avec la représentation d'Hasselmann (1976).

La Figure IV.1b montre que seuls une partie de l'océan Austral, l'océan Arctique et le gyre subpolaire de l'Atlantique Nord présentent des valeurs de ppvf statistiquement incompatibles avec l'hypothèse du modèle AR(1), soulignant l'importante contribution de la dynamique océanique et de la glace de mer sur l'évolution de la température dans

IV-1) La prévisibilité du système climatique à l’échelle décennale : une étude comparative des estimations diagnostique et pronostique

129 ces régions. L'incapacité du modèle AR(1) à représenter la variabilité décennale de la température au niveau du gyre subpolaire de l'Atlantique Nord est cohérente avec l'étude menée au chapitre III, où nous montrions ses forts liens avec l'AMOC.

Au chapitre III, nous avons montré que la variabilité de l’Atlantique Nord a un maximum de puissance aux périodes multidécennale à centennale. De fait, pour caractériser au mieux la prévisibilité potentielle de cette variabilité nous avons augmenté la taille des blocs de la ppvf à 25 ans (non montré). Une surface plus importante des mers de GIN et du gyre subpolaire devient alors significative (suivant l’hypothèse H0), suggérant que

l’augmentation de la taille des blocs de 10 à 25 ans permet de diminuer le bruit sur l’estimation de la variance basse fréquence et permet donc de mieux la caractériser. Cependant, augmenter la taille des blocs entraîne de facto une diminution de leur population et la meilleure caractérisation de la basse fréquence se fait donc au détriment de l’échantillonnage, ce qui rend le test sur l’AR(1) encore plus permissif (en faveur de l’hypothèse H0), diminuant la surface du globe où celle-ci peut être rejetée.

Cela souligne la subjectivité inhérente à l’approche ppvf dans le choix de la période de coupure séparant la basse fréquence de la haute fréquence et donc la nécessité de tester cette dernière.

Au niveau du Pacifique Nord, à l’exception des zones frontières de glace, les valeurs de

ppvf ne permettent pas d’exclure un comportement de type AR(1). Ce résultat suggère

une contribution plus faible de la dynamique océanique dans la variabilité basse fréquence du Pacifique que dans celle de l’Atlantique (cohérent avec l’absence de MOC). Cependant, de nombreuses études antérieures ont montré que le principal mode de la variabilité décennale du Pacifique Nord, la PDV (cf. II-4), peut être prévisible à l’échelle décennale en raison de la propagation d’ondes de Rossby océanique (Latif et Barnett 1994, Kwon et Deser 2007, Schneider et al. 2002, Sugiura et al. 2009) ou de processus advectifs le long des gyres (Saravanan et McWilliams 1998, Teng et Branstator 2011). Il est possible que la fenêtre temporelle sur laquelle la moyenne de la ppvf est basée, soit trop longue pour que la prévisibilité décennale associée à ces processus propagatifs puisse être extraite (si le temps de résidence d’une anomalie en un lieu est inférieur à la taille de la fenêtre, il est possible que l’anomalie soit filtrée lors du calcul de la moyenne). De manière générale nous touchons ici à une limite des approches de type ANOVA qui, n’étant pas basées sur la divergence des états du système, ne permettent pas de détecter la prévisibilité associée aux processus propagatifs.

IV-1-1-c) Conclusion et remarques sur l’estimation diagnostique de la