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Bébé Donge : la femme de la cruauté morale

La crise psychologique chez les personnages simenoniens

2.2 Le développement de la crise psychologique chez les protagonistes féminins

2.2.2 Bébé Donge : la femme de la cruauté morale

Dans La vérité sur Bébé Donge, la crise psychologique de Bébé Donge est son obsession de l’amour. Elle cherche l’amour, l’attention et l’attachement familiaux. Cela la plonge profondément dans la solitude. Elle se comporte de manière d’attirer l’attention de son entourage. Mais parfois, elle choisit le silence et l’indifférence. Personne ne comprend qu’elle ne désire qu’être aimée et aimer vraiment quelqu’un.

2.2.2.1 La solitude

« Bébé a toujours vécu toute seule… »44. Cette phrase décrit clairement la vie solitaire de Bébé. Il paraît que la solitude profonde est l’origine principale de la crise psychologique de Bébé Donge. Dès son enfance, ses parents la laissent toujours avec les bonnes à la maison. Elle se renferme souvent dans sa chambre : « On l’avait laissée seule une fois de plus à la maison avec une des bonnes, la Grecque, […], Bébé s’était cachée dans la lingerie… »45. Elle n’a aucune amie.

Personne ne prend soin d’elle. Précisément, la vie dans la famille d’Onneville l’éloigne de plus en plus. Même sa sœur Jeanne sent bien l’isolement de Bébé :

« Chaque famille a sa façon de vivre… Chez nous, chacun vivait de son côté… On se rencontrait comme par hasard… »46.

Pour remplir le vide dans la vie, Bébé Donge espère l’amour de François, la chaleur humaine dans la famille et la vie luxueuse à la Châtaigneraie.

Toutefois, même après son mariage, elle se sent toujours seule dans la grande maison.

L’argent ne suffit pas pour la rendre heureuse. Elle a encore besoin d’attention de la part de son mari. Celui-ci, par contre, néglige tout le temps le véritable désir de Bébé.

44 Simenon, La vérité sur Bébé Donge, 180.

45 Ibid., 177.

46 Ibid., 174.

Par exemple, Bébé demande une fois si elle peut aller travailler avec lui, juste pour être avec lui et pour ne pas rester seule toute la journée. Il la refuse :

- C’est impossible, mon petit. Il faudrait des années pour te mettre au courant. D’ailleurs, ce n’est pas ta place…

- Pardon… Je n’en parlerai plus…

Il aurait pu ajouter quelques mots gentils ; il ne l’avait pas fait. […] 47

Cela engendre encore plus la douleur de Bébé. François l’abandonne toute seule à la Châtaigneraie en pleine campagne, tout à fait le contraire de la vie luxueuse dans la grande ville à laquelle elle s’habitue. Comme François ne l’écoute jamais, elle devient petit à petit renfermée. Ce n’est que trop tard, après le fameux attentat à sa vie, que François s’aperçoit de la détresse de sa femme : « … Je me rends compte que la solitude et l’inaction dans lesquelles j’ai laissé une femme jeune, habituée à une vie plus brillante… »48.

2.2.2.2 La soif d’amour

Enfermée dans son univers solitaire, Bébé montre peu de sentiments. C’est ainsi que personne ne comprenne ce qu’elle veut. Pour autrui, Bébé se comporte étrangement et s’écarte d’eux. On a l’air d’oublier qu’elle désire être aimée. La vie en couple n’est guère différente de son enfance. Elle se montre parfois désinvolte lorsque ses parents la laissent seule.

[…] Elle était trop petite pour moi… Elle me chipait mes boîtes à poudre, mes parfums, mes crèmes… Elle a eu, dès sa plus tendre enfance, la passion de la toilette… Quand on ne l’entendait pas, on était sûr de la trouver enfermée dans sa chambre, essayant devant le miroir des robes ou des chapeaux qu’elle avait pris à maman ou à moi et qu’elle chiffonnait à sa façon… […]

47 Ibid., 119.

48 Ibid., 229.

[…], on l’a laissée continuellement avec les bonnes…49

Le vol est peut-être son cri de détresse, son appel au secours.

Mais personne ne l’entend. Sa sœur la considère « trop petite » pour elle ; sa mère sort trop souvent.

Après son mariage, sa situation ne s’améliore pas. Par contre, le vide dans son cœur s’agrandit. François ne fait pas la différence. Il travaille dans la tannerie de la famille. Quant à Bébé, sa vie n’est guère changée. La vie conjugale la déçoit parce qu’elle est laissée toute seule à la Châtaigneraie quand François part travailler en ville. Désespérée, elle fait tout pour que François prenne soin d’elle.

Bébé va jusqu’à inviter une nouvelle amie à déménager à la Châtaigneraie pour rester avec elle. C’est Mlle Lambert. La relation entre Bébé Donge et Mlle Lambert a peut-être pour but de provoquer la jalousie de François.

[…] il avait regardé froidement, durement, Mlle Lambert installée comme à demeure dans la chambre de Bébé. Avec cet air calme qui faisait si peur à ses employés et à ses ouvrières, il avait prononcé :

- Cela ne vous ferait rien, mademoiselle Lambert, de me laisser parfois seul avec ma femme ? 50

Après s’être débarrassé de Mlle Lambert, François retourne à son travail et Bébé est laissée sur sa faim. Les autres efforts, aussi, tombent à l’eau.

Quand François ne comprend pas ce qu’elle fait, elle est remplie de déception et de douleur. Elle devient indifférente à tout.

49 Ibid., 174-175.

50 Ibid., 144.

2.2.2.3 L’indifférence

- Tu ne sais donc pas que ton mari et la belle Mme Jalibert… Toute la ville est au courant… Certains prétendent que Jalibert lui-même le sait et ferme les yeux…

Toujours est-il que Bébé Donge ne tressaillit pas au nom de Jalibert.

Elle mangeait délicatement, le petit doigt écarté. Ses mains étaient des œuvres d’art. Écoutait-elle ? Pensait-elle ? […] 51

Une rumeur court que Mme Jalibert, la femme du docteur Jalibert qui fait construire une nouvelle clinique, a une aventure avec François et tout le monde le sait. Mais cela ne fait pas tressaillir Bébé. Elle continue à manger comme si de rien n’était. Qui plus est, personne ne sait à quoi elle pense.

C’est comme si elle était devenue indifférente. Quoi que François fasse ne lui cause aucun sentiment : « Bébé Donge ne tressaillit pas au nom de Jalibert ». Cela nous montre bien l’indifférence de Bébé. Elle essaie de ne pas souffrir de l’infidélité de son mari. Il y a un autre exemple de l’indifférence chez Bébé :

La poitrine opulente de Mme d’Onneville se souleva. La mère regarda sévèrement sa fille qui n’avait pas bronché.

- On dirait que tu ne t’inquiètes pas de ce qui se passe…

Le calme de Bébé l’épouvantait. Elle la regardait avec de gros yeux comme si elle ne l’eût jamais vue.

- Il y a longtemps qu’entre François et moi il n’y a plus rien de commun… 52

Selon Mme d’Onneville, il y a quelque chose d’anormal, d’inquiétant dans la réaction de Bébé. Le malaise de François ne suscite aucune

51 Ibid., 18.

52 Ibid., 40.

réaction chez Bébé. Pour Mme d’Onneville, Bébé est changée. Ce n’est plus la même personne qu’elle connaissait dès la naissance.

2.2.2.4 Le meurtre

Quand la crise mentale atteint son paroxysme, Bébé s’explose : « Cela n’aurait servi à rien, François !... Il est trop tard, tu comprends ?...

C’est cassé… […] »53. Pour elle, le meurtre est une seule façon de gagner l’amour et l’attention de son mari. Elle empoisonne son mari. Elle veut le faire souffrir.

Physiquement, par le poison. Et aussi mentalement. Elle veut peut-être que François souffre de ses actions comme elle souffre de son infidélité et de son indifférence depuis le début de leur vie conjugale.

À la fin, Bébé obtient ce qu’elle veut. François comprend ses gestes. Il ne la condamne donc pas pour la tentative de meurtre. Il sait que ce n’est pas par cruauté que Bébé l’a empoisonné. Mais elle doit payer cher : elle est condamnée à cinq ans de prison.