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3 - Quelques axes de réflexion

Initier un mouvement de coproduction en matière de sécurité, et le faire à partir de l'expression des problématiques des habitants par les habitants eux-mêmes, requiert quelques précautions.

Clarifier le produit attendu par la démarche

Il semble que l'état des rapports sociaux dans certains quartiers, le niveau de remise en ques-tion des logiques instituques-tionnelles qui s'y développent et tout simplement la souffrance sociale qui s'y vit, ne favorisent pas un jeu d'alliance naturel qui assurerait une régulation optimisée.

L'insécurité d'un quartier ne se limite pas aux désordres de la voie publique, mais se nour-rit aussi de l'incapacité des acteurs à débattre, gérer et dépasser les contraintes respectives atta-chées à un espace public.

Les ambitions liées à la participation des habitants peuvent être très diverses. Il peut s'agir de positionner l'habitant comme témoin critique de l'action publique, et ainsi lui confier une fonction de veille dans une intervention pilotée institutionnellement. Placé ainsi dans un pro-cessus bien connu de "démarche qualité", l'habitant alerte le gestionnaire des dysfonctionne-ments d'un système, à charge pour le gestionnaire d'amender son dispositif. Il conviendra de noter que la régulation des process par intervention ponctuelle d'un sondage d'opinion relève de la même logique. Nombre de collectivités locales font appel à quelques instituts spécialisés en la matière, afin de leur renvoyer l'image de leur efficience.

Ce positionnement de la parole de l'habitant procède d'une logique à nos yeux peu adap-tée à la compétence des enjeux actuels. En effet, elle situe l'habitant comme témoin et consom-mateur de l'offre publique et non comme acteur, et ce, dans une problématique publique à laquelle il est étranger, faute d'avoir contribué à sa construction. Elle conforte l'institution dans une responsabilité complète et dans une "toute puissance" (l'institution repère les vrais besoins, organise ses réponses et régule sa performance en gérant un tableau de bord de la satisfaction citoyenne !). Enfin, elle n'enrichit pas les présupposés qui fondent son action dans la mesure où elle ne les propose pas au débat ; seules les modalités d'application peuvent être sinon discutées, au moins repérées par l'habitant.

Une autre ambition peut positionner l'habitant comme initiateur de l'action publique dans la mesure où il aurait seul la capacité à penser, analyser, exprimer ce que sont ses besoins sociaux et à les faire remonter dans la sphère politique et institutionnelle qui actionnerait alors sa technicité et sa rationalité pour y répondre.

Cette démarche nous semble tout aussi inadaptée que la précédente. En effet, l'expression " naturelle" des habitants avance un ensemble de considérations subjectives qui, sans être

La sécurité : un espace partageable ?Trois expérimentations passées au "tamis réducteur" de l'oreille institutionnelle, sont difficilement prises en compte par ces mêmes institutions. L'expression des habitants ne construit donc pas une probléma-tique enrichie si elle ne vient pas se confronter au débat avec les institutions et avec le poliprobléma-tique. La construction d'une problématique se présente comme un processus dynamique, interactif, requérant la mise en tension de logiques diverses et légitimement antagonistes.

De surcroît, la démarche induit l'idée d'une commande (en apparence démocratique) adres-sée aux pouvoirs publics comme si les pouvoirs publics avaient tous les pouvoirs d'entendre et de satisfaire ! Enfin, la démarche marginalise l'ensemble des professionnels dans leur vocation à "travailler la demande sociale". Dans cette orientation, ceux-ci s'articulent exclusivement à la mise en œuvre de la réponse institutionnelle.

La dernière option consiste à positionner l'habitant non seulement dans l'expression de ses besoins, mais également dans la construction des réponses. L'expérimentation qui nous a occu-pé sur Perpignan démontre que la pre m i è re plus-value de l'habitant se situe dans sa capacité à re m e t t re en question la problématique proposée unilatéralement par l'institution pour y substi-tuer un espace d'élaboration rénové. Cette même expérimentation nous fait également mieux m e s u rer la difficulté des habitants à élaborer des réponses innovantes concernant leurs besoins spécifiques. Ici encore, l'habitant ne peut être utilisé, comme dans la "pensée magique", comme garant d'une "assurance qualité" au plan technique.

Finalement, il semble qu'un effort de clarté s'impose. La participation de l'habitant renvoie non seulement à un mode de régulation de l'espace public et donc à l'ensemble des pratiques démocratiques mises en œuvre par les pouvoirs institutionnels et politiques, mais encore à la consolidation des autres acteurs techniques et politiques. Il ne peut y avoir coproduction sans débat et il ne peut y avoir débat sans que les professionnels et les politiques n'affichent claire-ment leurs effets attendus, leurs principes d'action et leurs troubles.

Quelques principes d'action méritent d'être consolidés

Accepter une démarche de constitution ou de renforcement d'espaces démocratiques sup-pose un véritable mouvement de déconcentration dans la gestion de l'espace public.

La contradiction qui a émergé lors de l'expérimentation entre les expressions subjectives des habitants et la nécessaire rationalité de la gestion d'un projet par les référents institution-nels et politiques doit pouvoir être dépassée de deux manières. Premièrement, il faut multiplier les espaces de débat au plus près de la sphère de la vie de l'habitant afin de consolider ses pra-tiques collectives d’échange et d’intégrer les contraintes d'une logique d'ensemble. Deuxièmement, les pouvoirs institutionnels et politiques devraient se déconcentrer afin, en étant plus proche de la demande sociale, de mieux intégrer des réponses plus individualisées, développées vers des sous-ensembles.

Cette logique aurait, par ailleurs, le mérite de consolider le positionnement et la responsa-bilité des professionnels de terrain qui peuvent craindre, soit de se voir court-circuiter dans un jeu où habitants et politiques se mettraient seuls en tension dans une relation duelle, soit de voir leurs fonctions réduites à des opérations de médiation où leur savoir-faire se résumerait à faire circuler de l'information.

De la gestion de l'ordre public à une démarche citoyenne Chap. 6

La question de la participation des habitants renvoie plus globalement à la distribution du pouvoir dans l'espace public considéré et à sa dynamique.

Il semble, à partir de l'expérimentation perpignanaise, que la parole de l'habitant puisse permettre aux politiques et aux professionnels de redéfinir leurs rapports respectifs et de négo-cier avec les habitants la nature de leurs pouvoirs relatifs.

Enfin, il convient de mesurer les risques d'une dynamique difficile à maîtriser :

La participation des habitants suppose que les processus de construction de problématique, de prise de décision et de mise en œuvre de l'action publique soient suffisamment consolidés pour gérer une démarche contradictoire et non simplement la tolérer.

La première fonction utile à l'émergence d'une parole citoyenne visera la réassurance des politiques et des professionnels. La première contribution de l'habitant est de repérer l'action publique et ses déficits par rapport au sens que cette action publique a pour lui (quels services réels elle rend). Elle peut être dévastatrice pour les logiques de raisonnement et d'action des politiques et des institutions.

La coproduction, à partir de la parole des habitants, requiert (dans l'état actuel du trouble des institutions quant aux déficits de performance de leurs politiques d'intervention) des espaces d'élaboration qui soient protégés. Et ce d’autant plus que la gestion du changement est plus ris-quée en période de crise car le niveau de souffrance sociale est exacerbé et qu’en conséquence la demande sociale se radicalise au point de ne pouvoir être entendue pour ce qu'elle est. Cette coproduction nécessite la mise en œuvre d'une fonction tierce susceptible d'amortir les effets destructurants d'une mise en tension des acteurs.

L'expérience menée sur Vernet Salanque se solde au global par un bilan nuancé : le ques-tionnement politique a été évacué pour l'essentiel au profit de la refondation technique d'un équipement social.

Ce mouvement est à la fois "novateur", dans la mesure où il dénonce le tropisme des poli-tiques et des institutions à propos de la sécurisation des espaces, et "conforme" dans la mesu-re où il enferme de fait l'habitant dans une démarche d'ingenierie et non plus d'action politique. Ce glissement traduit bien le mécanisme de défense mise en œuvre à divers niveaux par l'en-semble des parties (y compris par les habitants) troublées par les effets imprévisibles d'une coproduction trop engageante si elle n'était pas contenue dans la gestion d'un projet.

Enfin, il semble qu'une fonction de veille et de suivi soit d'autant plus nécessaire que la dynamique de l'expérimentation aura été active. A ce titre, il n'est pas raisonnable d'initier ce type de processus sans s'assurer de la capacité des acteurs à récupérer, dans le temps, des effets de cette coproduction.

Malgré l'absence d'un réel débat collectif, les remises en question dans chacun des trois col-lèges auront été nombreuses sans pour autant avoir été complètement exploitées à des fins de repositionnement.

Chap. 7