2.3 L E DEBAT ACTUEL
2.3.1 Plusieurs études aux résultats controversés
2.3.1.3 Avis de la Haute Autorité de Santé
Suite à la publication de ces deux études, l’Institut National du Cancer (INCa) et la
Direction Générale de la Santé ont demandé à la Haute Autorité de Santé
d’actualiser ses recommandations vis-à-vis de l’opportunité d’un dépistage
systématique du cancer de la prostate par le dosage du PSA. La HAS a donc confié
la rédaction d’un rapport de synthèse de ces deux études à un expert. Ces deux
essais ont été analysés, synthétisés et commentés par le Pr L.-Rachid Salmi, expert
méthodologiste indépendant, directeur de l’Institut de Santé Publique,
d’Epidémiologie et de Développement (5).
Etude ERSPC : hétérogénéité importante
Le Pr Salmi note plusieurs variations méthodologiques inter-pays qui pourraient
avoir, selon lui, un impact sur l’interprétation des résultats obtenus. Il commente
également la façon dont les résultats ont été présentés.
Tout d’abord, la randomisation informatique, dont les modalités n’ont pas été
explicitées, a été faite, selon les pays, avant ou après l’obtention du consentement
éclairé des patients. Les critères d’inclusion des patients, notamment leur âge, et les
modalités de dépistage étaient variables selon les pays. Les deux bras étaient
comparables sur l’âge mais il n’y a pas eu d’autre appariement ou de stratification
d’un groupe par rapport à l’autre. La contamination dans le groupe de référence n’a
été évaluée que par la Finlande. L’objectif initial de 10 000 sujets dépistés par pays
n’a été respecté que dans trois pays sur sept et le taux de recrutement n’a pas été
précisé. Les pratiques de biopsies prostatiques et le choix des traitements étaient
variables d’un pays à l’autre car conformes aux recommandations locales.
46
Concernant l’interprétation des résultats, l’analyse principale a été limitée au groupe
d’hommes âgés de 55 à 69 ans à l’inclusion, ce qui correspond plus à une analyse
per-protocole qu’à une analyse en intention de dépister. Les patients classés dans le
« core group » donc âgés de 55 à 69 ans n’ont pas été répartis de manière
homogène dans les deux bras et sont donc surreprésentés de façon statistiquement
significative dans un bras ou dans l’autre selon les pays.
Les résultats de la vraie analyse en intention de dépister, c’est-à-dire incluant tous
les patients randomisés, ne retrouvaient pas de différence significative concernant la
mortalité par cancer de la prostate sur l’ensemble du groupe. Un seul intervalle de
confiance n’incluait pas 1 pour le sous groupe des hommes âgés de 65 à 69 ans.
Enfin, en admettant une baisse de 20% de la mortalité par cancer prostatique grâce
au dépistage, cet effet observé était tout de même inférieur à l’effet attendu (25%) et
d’autre part, il restait faible au vu de la largeur de l’intervalle de confiance du résultat
(0.65 à 0.98).
Selon le Pr Salmi, le bénéfice du dépistage est douteux si l’on considère les
nombreux inconvénients associés. La fréquence du sur-diagnostic et certains effets
indésirables liés à la démarche diagnostique et au traitement, rendent l’impact
potentiel du dépistage médiocre.
Etude PLCO : manque de puissance
De la même manière que pour l’étude précédente, le Pr Salmi commente l’étude
47
pas été standardisées ni bien explicitées, mais que les deux groupes étaient
comparables. Le taux de participation variait de 0.7 à 11.1%, ce qui était faible mais
non surprenant car le programme proposé était lourd : dépistage simultané de trois
cancers (prostate, poumon, colon). Les participants n’étaient donc sûrement pas très
représentatifs de la population générale, et avaient probablement un niveau
d’éducation élevé. En revanche, l’étude correspondait bien à une analyse en
intention de traiter.
Concernant les modalités de dépistage, le toucher rectal pouvait être réalisé par un
médecin, un infirmier ou un assistant médical, ce qui n’est pas extrapolable à la
France. Le fait que le dosage de PSA ait été réalisé dans un seul laboratoire n’est
pas très représentatif des conditions réelles d’un programme de dépistage
décentralisé. Les traitements reçus en cas de PSA élevé n’étaient pas standardisés
et décidés par le patient et son médecin traitant. Aucune information n’a été donnée
sur les traitements effectivement reçus ni les informations délivrées aux patients.
Les résultats retrouvaient une observance vis-à-vis du dépistage de 85%, ce qui était
plus faible que les 90% espérés initialement. L’observance vis-à-vis des biopsies
prostatiques était elle très faible. En outre, la contamination dans le groupe contrôle,
initialement prévue à 20% dépassait en réalité les 40%. Ces deux phénomènes ont
été, selon le Pr Salmi, responsables de la perte de puissance de l’essai.
Il conclut là aussi que les taux élevés de faux positifs du PSA, et donc les risques
élevés de sur-diagnostic d’une part, et la fréquence des complications liées à la
48
confirmation diagnostique d’autre part, font pencher la balance bénéfices-risques du
dépistage de manière défavorable.
Conclusion de la HAS :
La HAS conclut à la suite de cette analyse critique que: « les connaissances
actuelles ne permettent pas de recommander un dépistage de masse du cancer de
la prostate » par le dosage du PSA et propose que soit étudiée l’inscription au
programme de travail de la HAS de l’élaboration de recommandations
professionnelles afin de préciser les indications du dosage du PSA dans le cadre de
la démarche diagnostique.
La HAS propose également la mise en place d’une étude de pratiques afin de mieux
apprécier les effets délétères des pratiques actuelles de prescription des dosages de
PSA.
Dans le document
DOCTORAT EN MEDECINE THESE UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)
(Page 45-48)