2.3 L E DEBAT ACTUEL
2.3.1 Plusieurs études aux résultats controversés
2.3.1.4 Autres études et commentaires autour de la controverse
Les études ERSPC et PLCO ne sont pas les seules à avoir tenté de déterminer
l’impact du dépistage du cancer de la prostate sur la mortalité des patients. De
nombreuses autres études prospectives ont été réalisées.
Etude Norrköping (31) : Une étude suédoise menée par G.Sandblom a évalué
l’impact du dépistage sur la mortalité par cancer de la prostate entre 1987 et 2008.
Environ 1500 hommes de 50 à 69 ans se voyaient proposer un dépistage du cancer
prostatique tous les 3 ans par toucher rectal uniquement au début de l’étude, puis
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contrôle ne bénéficiaient d’aucun dépistage. La comparabilité des groupes et le taux
de contamination du groupe contrôle n’ont pas été précisés.
Au bout de 20 ans de suivi, aucune différence significative de mortalité par cancer de
la prostate n’a pu être montrée entre les deux groupes. Les auteurs expliquaient qu’il
serait plus utile de trouver un moyen de distinguer les tumeurs indolentes des
tumeurs à haut risque et de développer des traitements moins agressifs pour ces
tumeurs indolentes, plutôt que d’essayer d’optimiser la sensibilité des tests
diagnostiques de dépistage.
Etude Québec (32) : L’équipe de F.Labrie a réalisé une étude prospective durant 11
ans afin d’évaluer la réduction de la mortalité par cancer prostatique grâce au
dépistage. Environ 46 500 hommes sélectionnés sur les listes électorales de la ville
de Québec étaient répartis en deux groupes : deux tiers des hommes dans le groupe
dépistage et un tiers dans le groupe contrôle. L’étude a montré une réduction de la
mortalité spécifique par cancer prostatique de 62% du groupe dépistage par rapport
au groupe contrôle. Il faut cependant noter que seulement 23% des hommes du
groupe dépistage ont effectivement été dépistés, soit 7 400 hommes au lieu des
31 000 initialement prévus dans le protocole : l’analyse n’a donc pas été faite en
intention de dépister.
Etude Göteborg (33) : J.Hugosson et son équipe ont sélectionné et randomisé, en
décembre 1994, deux groupes de 10 000 patients dont l’âge médian était de 56 ans.
Le groupe dépistage se voyait proposer un dosage de PSA tous les deux ans jusqu’à
69 ans tandis qu’aucun dépistage n’était proposé au groupe contrôle. L’objectif de
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de 14 ans, la réduction observée de la mortalité par cancer prostatique a été de 56%
dans le groupe dépistage par rapport au groupe contrôle. Au total, 293 hommes
devaient être invités au dépistage et 12 devaient être traités pour prévenir un décès
par cancer de la prostate. Cependant, les risques de sur-diagnostic étaient
importants. La mortalité globale n’a pas été différente dans les deux groupes.
Les résultats surprenants de cette étude ont été critiqués par d’autres auteurs.
En effet, une part importante des patients randomisés appartenait également à
l’étude ERSPC, et la réduction de la mortalité était plus importante que dans l’étude
ERSPC (20%). D.E.Neal (34) tentait d’expliquer cette différence par l’effectif réduit
des patients dans l’étude de Göteborg, ainsi que par l’âge médian inférieur de ces
patients, par les seuils de PSA plus bas et par les intervalles de dépistage plus
rapprochés. Djulbegovic (35) faisait valoir une moindre contamination dans l’étude de
Göteborg par rapport à l’étude ERSPC et une meilleure observance des biopsies de
prostate. Le fait que l’abstention thérapeutique constituait une alternative au
traitement atténuait la sur-détection des cas.
Le dépistage était donc probablement utile notamment pour les patients dont le
cancer était à haut risque d’extension. Le problème était de pouvoir identifier ces
patients. Des questions restaient en suspend comme celle de savoir quelle était la
meilleure prévention et chez quels patients elle aurait le plus de bénéfices.
Méta-analyse (35) : Une équipe de Floride dirigée par M.Djulbegovic a réalisé une
méta-analyse publiée dans le British Medical Journal en 2010. Son travail a porté sur
six études prospectives randomisées s’intéressant au dépistage du cancer de la
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résumées ci-dessus. Toutes ces études présentaient des limites méthodologiques.
Au total, bien que le dépistage était à l’origine d’une augmentation significative du
nombre de cas de cancer (risque relatif : 1.46), aucun impact significatif sur la
mortalité globale n’a pu être démontré. D’autre part, le coût du dépistage, le risque
de sur-traitement et ses effets indésirables, et l’impact sur la qualité de vie étaient
autant d’arguments pour ne pas recommander le dépistage systématique du cancer
prostatique. Les auteurs regrettaient le manque d’études relatives aux complications
du dépistage et aux effets du dépistage sur la qualité de vie des patients.
Une synthèse des études et méta-analyses a été publiée en 2011 afin de mettre à
jour les recommandations de l’US Preventive Services Task Force (36). Ses
conclusions étaient semblables à celles de Djulbegovic.
Notons tout de même qu’une étude avait été réalisée dans un petit état d’Autriche, le
Tyrol, entre 1993 et 1995, et que les auteurs avaient montré une baisse significative
de la mortalité spécifique par cancer prostatique entre cet état fédéral et le reste de
l’Autriche (37).
La plupart des auteurs ayant étudié l’intérêt du dépistage du cancer de la prostate
doutaient de la pertinence d’un dépistage systématique.
Dès 1998, Schröder et son équipe (24) faisaient remarquer le nombre important de
biopsies à réaliser pour diagnostiquer quelques cas de cancers, insistaient sur les
effets secondaires non négligeables des biopsies et évoquaient la recherche d’autres
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D.E.Neal (38) expliquait dans The Lancet en 2009 que le PSA détectait notamment
des cancers à bas risque dont le tiers n’aurait jamais été détectable cliniquement. Il
admettait que la détection précoce des cancers par le dosage du PSA pouvait
diminuer la mortalité de certains hommes. Néanmoins, la population cible sur
laquelle pratiquer le dépistage restait à préciser. P.R.Carroll (39) partageait son avis
en 2011.
R.J.Ablin est professeur d’immunologie en Arizona et a découvert le PSA en 1970
(40). Ce dernier posait également en 2010 le problème du diagnostic et du
sur-traitement de nombreux hommes qui n’auraient jamais eu de métastases et seraient
décédés d’une autre cause que du cancer de la prostate. Il a d’ailleurs dénoncé en
2010 dans le New York Times l’utilisation systématique du PSA chez les hommes de
plus de 50 ans (41). En effet, selon lui, ce dosage n’auait d’intérêt qu’en cas
d’antécédents familiaux de cancer prostatique ou pour la surveillance d’un cancer de
la prostate après traitement.
D.Newman (42) émettait en 2010 dans le JNCI quelques réserves sur les résultats
des études ayant démontré la diminution de la mortalité spécifique par cancer de la
prostate grâce au dépistage. En effet, la diminution de la mortalité globale, elle, n’a
pu être démontrée mais seulement extrapolée au vu des résultats de mortalité
spécifique.
Toujours dans le JNCI en 2010,D.Belpomme et P.Irigaray (22) estimaient à un million
le nombre d’hommes traités pour un cancer de la prostate depuis l’avènement du
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environ 23 hommes devaient avoir été diagnostiqués et 18 avoir subi un traitement
du cancer de la prostate.
En France, A.Laplanche (43) critiquait l’étude européenne et remettait en question la
pertinence d’une amélioration de survie globale, qui, si elle existait, était trop faible
pour être mesurable sur un échantillon de 160 000 hommes suivis pendant neuf ans.
L’association Formindep qui milite pour une formation indépendante se mobilise
également contre le dépistage du cancer de la prostate et met en ligne de nombreux
articles afin de justifier son point de vue (44).
Enfin, D.Dupagne, médecin généraliste, explique (45) la polémique actuelle aux
patients sur son site internet www.atoute.org. Il décrit aussi les différentes études
réalisées et les critique. Son discours est particulièrement tranché contre le
dépistage du cancer de la prostate. Selon lui, les urologues recommandent le
dépistage car ils sont influencés par le nombre de patients atteints qu’ils rencontrent
dans leur pratique quotidienne. Cependant, ils détectent beaucoup de cancers qui
n’auraient pas tué les patients. Pour lui, les grandes campagnes réalisées
annuellement par l’AFU incitent les patients à réaliser le dépistage en jouant sur
l’affectif. D.Dupagne, explique qu’il faut beaucoup de courage à un médecin
généraliste pour ne pas proposer le dépistage à ses patients. En effet, les hommes
auxquels il aura rendu service en évitant le dépistage et ses effets indésirables ne le
sauront pas. A l’inverse, les patients chez lesquels on découvrira un cancer
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Dans le document
DOCTORAT EN MEDECINE THESE UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)
(Page 48-54)