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Traité de paix entre Descartes et Newton

Chapitre 2 : La physique de Descartes d’après Paulian

3- Autres textes de Descartes sur la physique

-Objections sur La Dioptrique-

Paulian remarque que Libert Fromont, en 1637, formule deux objections 29 sur le contenu de La Dioptrique que Descartes lui avait demandé d’examiner. La première étant: si la lumière traverse plus facilement l’eau que l’air, pourquoi voyons-nous mieux les objets se trouvant dans l’eau lorsque nous nous trouvons hors de l’eau, qu’un plongeur ne les voit, lui, alors qu’il se trouve dans l’eau ? Dans sa réponse, Descartes reprécise alors les choses: «Il avoua qu’une même surface d’eau réfléchissant beaucoup plus les rayons de lumière qu’une égale surface d’air, l’on pouvoit dire en ce sens que la lumière traversoit plus facilement l’air que l’eau ; mais il ajouta que comme deux rayons de lumière qui entroient l’un dans l’eau, l’autre dans l’air, le premier se mouvoit plus facilement que le second, il avoit cru pouvoir assurer que la lumière traversoit plus aisément l’eau que l’air» 30. La deuxième objection émise par Fromont concerne cette fois la nature même de la lumière: «Il fit remarquer à Descartes que s’il étoit vrai que la lumière se fît par percussion, ses comparaisons tirées du bâton d’un aveugle & d’une cuve pleine de raisins à demi foulés, expliqueroient à merveille son action ; mais qu’il étoit persuadé qu’elle se faisoit par émission, & qu’il étoit tout-à-fait naturel de comparer

29 Aucune référence donnée par Paulian. 30

le rayon du Soleil à une flèche qui part d’un arc, & qui traverse l’air, non dans un instant, mais dans un très-court espace de tems» 31. Sur ce point, explique Paulian, Descartes n’avait rien d’autre à répondre que d’invoquer les croyances anciennes qu’il fallait absolument bannir de la physique : «Il dit à son adversaire qu’il ne déterminera jamais à penser comme Leucippe, Epicure & Lucrèce qui regardent les rayons de lumière comme autant de dards que le Soleil nous décoche, & qu’il ne comprenoit pas comment il avoit embrassé les nuages de la Philosophie de Démocrite, au lieu de la Junon de la sienne».

Paulian aborde une thèse 32, soutenue au collège des jésuites de Paris, qui attaque «directement la plupart des Principes établis dans la Dioptrique de Descartes, & en particulier l’action de la matière subtile». La proposition principale est la suivante: «Comme il ne suffit pas pour expliquer l’action de la lumière & des couleurs sur les yeux, de dire qu’elle a pour cause le mouvement d’une matière subtile ; de même il ne suffit pas d’apporter le mouvement de l’air, lorsqu’on veut rendre raison de la force admirable & de l’action des sons sur les oreilles». Descartes écrit alors au Recteur du collège 33 pour demander que lui soit communiqué l’ensemble de la thèse afin de pouvoir se défendre, chose qu’il ne fera finalement pas, étant satisfait de la réponse du Recteur qui disait: «Dans ces sortes d’exercices l’on pense moins à réfuter un Ecrivain célèbre, qu’à mettre à même de jeunes élèves de donner des preuves de leur esprit & de leur étude».

Paulian signale aussi que Fermat 34 trouvait les lois de la réflexion et de la réfraction de la lumière très bien déterminées par Descartes bien que, dit-il: «Il n’appeleroit jamais preuves démonstratives les explications qu’il en donnoit». Paulian, qui est tout à fait d’accord avec la critique de Fermat, résume alors la démonstration

31

A cet endroit, Paulian ajoute que, depuis, ce «très-court espace de temps» invoqué par Fromont a été mesuré: «La lumière emploie sept à huit minutes pour venir du Soleil au globe que nous habitons !» Ibid., p. 352.

32 Aucune référence donnée par Paulian. 33 Pas de référence donnée.

34 A noter que Paulian ne présente pas les travaux de Fermat qui, pourtant, détermine la loi de la réfraction

de la lumière d’une tout autre manière que ne le fait Descartes. Pour en savoir davantage sur ce sujet, lire: B. Maitte, La lumière, 1981, pp. 85-87.

concernant la réflexion de la lumière contenue dans le second discours de la Dioptrique 35. Puis, il remarque alors: «Je ne suis pas surpris que M. de Fermat n’ait jamais voulu donner le nom de démonstration à un pareil raisonnement ; je n’y apperçois pas même l’ombre de preuve». A propos de la démonstration de la loi de réfraction, Paulian explique que Descartes prend une fois de plus l’exemple d’une balle en mouvement qui, cette fois, change de milieu. Cependant, la conclusion à laquelle parvient Descartes est contraire à l’expérience en ce qui concerne la lumière puisque, au lieu de s’éloigner de la normale, comme pour une balle qui passe dans un milieu plus dense, la lumière s’en rapproche. Descartes invoque alors le fait que la lumière n’est qu’une conséquence de l’action de la matière subtile. Pour lui, les milieux moins denses empêchent davantage la matière subtile d’agir que ne le font les milieux plus denses. Par exemple, dans l’air qui est composé de différentes parties plus molles que celles de l’eau ou du verre, la lumière passe plus difficilement car elle est ralentie par ce milieu.

Paulian signale que le père Mersenne avait suggéré à Descartes de se servir de l’angle optique pour déterminer la grandeur des objets. Descartes lui répondit que, dans ce cas: «Le même homme nous paroîtroit beaucoup plus grand à deux, qu’à six pas de distance, parce qu’à deux pas il est vû sous un plus grand angle optique, qu’à six». Pour lever cette difficulté, Descartes propose donc de ne considérer la grandeur d’un objet qu’en comparant la distance de ce dernier avec la grandeur de son image imprimée dans l’œil de l’observateur. Sur cette règle «infaillible» de Descartes, Paulian fait remarquer: «Le P. Mersenne avoua qu’elle étoit meilleure que celle dont on s’étoit servi jusqu’alors en Optique».

-Traité de géostatique-

Le chevalier commence par relater les critiques que Descartes soumet au père Mersenne à propos d’un traité de géostatique du mathématicien Beaugrand publié en 1638. A la suite de quoi, il commente le Traité de géostatique que Descartes envoie au

35 Ici, Paulian fait intervenir des figures mathématiques qui se trouvent dans quelques planches à la fin du

père Mersenne sous forme de lettre 36 et dans lequel sont abordés les deux systèmes expliquant la pesanteur en vigueur à l’époque de Descartes: «Dans l’un on donne pour cause à cet effet une qualité qui pousse les corps sublunaires vers le centre de la terre ; on veut même que cette qualité leur soit intrinsèque, essentielle, & qu’elle soit tellement identifiée avec eux, qu’elle fasse partie de leur essence. Dans l’autre on fait dépendre la pesanteur d’une attraction que la terre exerce sur tous les corps sublunaires, à peu près semblable à l’action de l’Aiman sur le fer» 37. Pour le chevalier, dans le second cas, il est évident de penser que la pesanteur du corps dépend de sa distance avec la Terre, contrairement au premier cas où elle reste toujours constante. Descartes qui fait «dépendre la pesanteur des corps de l’action de la matière subtile agitée en tourbillon» pense qu’il faut réaliser quelques expériences. Le chevalier explique que le philosophe prend l’exemple des balles d’artillerie qui, soi-disant, ne retombent pas sur la Terre lorsqu’elles sont lancées au zénith. A partir de là, Descartes imagine que les corps perdent alors toute leur pesanteur lorsqu’ils sont éloignés de la Terre. Cependant, le chevalier est peu convaincu par ce Traité de géostatique de Descartes: «Peut-il être regardé comme un ouvrage, je ne dis pas médiocre, mais même passable? Ce qui cependant excuse Descartes, c’est qu’il ne prétendoit pas qu’il vit jamais le jour ; il avoue même qu’il en a composé une partie à demi endormi. Il n’est pas difficile de s’en apercevoir».

Dans sa réponse, Paulian explique que ce traité de géostatique n’apporte pas vraiment d’éléments essentiels mais, dit-il: «Malgré cela cependant Descartes a eu raison d’avancer que la pesanteur des corps sublunaires diminuoit, à mesure qu’ils s’éloignoient du centre de notre globe ; je soutiens même qu’une telle pensée n’a pu venir qu’à un Génie créateur, né pour causer dans l’empire des sciences la plus heureuse & la plus mémorable des révolutions». Paulian pense donc que ces conceptions cartésiennes 38 sur la chute des corps ont pu être utilisées par Newton pour composer sa théorie sur la gravitation: «La gravité des corps est précisément en raison inverse des quarrés des

36 Le traité de géostatique de Descartes accompagnait une lettre à Mersenne. C. Adam et P. Tannery (éd.),

«Lettre du 22 juin 1637», Œuvres de Descartes, 1996, t. 1, pp. 389-393.

37 Ibid., p. 368-375, pour cette citation et les suivantes.

38 Ici, Paulian veut convaincre les cartésiens qui pourraient lire son Traité de paix entre Descartes et Newton

distances au centre de leur mouvement, c’est-à-dire, que le même corps éloigné du centre de la Terre de deux rayons terrestres pése quatre fois moins, que s’il n’en étoit éloigné que d’un rayon».

-Traité sur la mécanique particulière-

Paulian présente un autre ouvrage de mécanique de Descartes: «Pour la Méchanique particulière de Descartes, elle ne consiste que dans un petit ouvrage qu’il composa à contre cœur ; & par malheur pour la Physique il n’est pas difficile à un lecteur intelligent de s’en apercevoir» 39. Descartes fonde son ouvrage sur le principe suivant: «La même force qui peut lever un poids, par exemple, de 100 livres à la hauteur de deux pieds, en peut lever un de 200 à la hauteur d’un pied, ou un de 400 à la hauteur d’un demi pied». Cependant, bien que «ce principe a paru faux à bien des Physiciens» 40, Paulian remarque: «Descartes a par hazard attrapé juste dans ses résultats. Rien n’est plus incontestable que les conclusions qu’il tire de son Principe faux ou vrai». Il ajoute qu’il aurait fait différemment en traitant du sujet: «Je vous conseillerois de commencer par expliquer la nature du levier, & de démontrer ensuite que deux corps, suspendus à ses deux extrémités, sont en équilibre, lorsqu’ils ont leurs masses en raison inverse de leurs distances au point d’appui. C’est-là le seul Principe qui puisse vous diriger dans l’explication des machines même les plus composées ; il en est peu en effet que l’on ne puisse rapporter facilement au levier». Enfin, il expose les principaux résultats contenus dans ce court traité de Descartes.

-Recueil de lettres-

Paulian commente un recueil de lettres de Descartes publié par Clerselier et traitant de plusieurs questions de physique. A propos de la grosseur apparente d’une flamme que l’on observe de loin, Paulian ne retient qu’une seule des deux causes données

39 Ibid., pp. 72-78, pour cette citation et les suivantes.

40 Paulian explique que les physiciens en désaccord avec ce principe mettent en avant l’exemple suivant:

«Un Portefaix, disent-ils, qui peut porter trois quintaux à un lieüe, ne peut pas en porter sis à un demi lieüe, 12 à un quart de lieüe». Ibid., p. 74.

par Descartes: «Nous ne voyons pas seulement dans cette occasion la lumière qui vient directement de la chandelle ; mais encore celle qui vient de l’air épais, ou des autres corps voisins qu’elle éclaire. Ces deux lumières, continue-t-il, se distinguent fort bien de près ; mais de loin, nous les attribuons toutes les deux à la chandelle» 41. Paulian explique encore que Descartes fut le premier à imaginer une expérience permettant de montrer «l’effet de la pesanteur de l’air que nous respirons». Ainsi, Pascal n’aurait pas eu le premier l’idée de faire cette expérience (réalisée par son beau-frère avec succès au puy- de-Dôme) puisque Descartes lui aurait suggéré 42.

Paulian rapporte aussi la façon dont Descartes réalise la congélation de l’eau grâce à un mélange de glace pilée et de sel: «Il prit une assez bonne quantité de glace pilée, ou de neige, qu’il mêla avec une certaine quantité de sel pilé : il suffit de mettre une partie du sel sur trois parties de glace ou de neige. Il enterra le vase rempli d’eau douce dans ce mélange, & il l’y laissa jusqu’à ce que la glace eut été entièrement fondue. Il n’en fallut pas davantage pour faire geler l’eau contenue dans le vase».

Pour finir, Paulian expose le moyen qu’emploie Descartes pour mesurer «le poids absolu d’une certaine quantité d’air». Ce dernier suit un procédé expérimental élaboré: «Il prit un éolipile 43 de verre, de la grosseur d’une paume ordinaire ; à peine un cheveu pouvoit-il entrer par l’ouverture pratiquée à l’extrémité de sa queuë. Il le pesa dans une balance très-exacte, & il trouva que son poids étoit de 78 grains ½. Il le fit chauffer sur des charbons, afin d’en faire sortir l’air qui y étoit renfermé ; il le remit dans la balance, & il trouva que son poids étoit diminué de la moitié d’un grain. Il conclut de-là que le poids de l’air, que la chaleur avoit fait sortir du sein de l’éolipile, étoit précisément la moitié d’un grain. Enfin il mit dans l’eau le bec de l’éoliphile encore chaud ; il y entra à peu près autant d’eau, que la chaleur en avoit chassé d’air. Il le pesa une troisième fois avec sa même balance, & il s’apperçut que son poids étoit augmenté de 72 grains ½ 44».

41 Ibid., p. 101-105, pour cette citation et les suivantes.

42Paulian tire cette affirmation d’une lettre que Descartes avait adressée au Père Mersenne. C. Adam et

P. Tannery (éd.), «Lettre du 13 décembre 1647», Œuvres de Descartes, 1996, t. 5, pp. 98-100.

43 L’éolipile est un instrument formé d’une sphère creuse munie de deux petites ouvertures en forme de bec. 44 Le grain est une ancienne unité de masse d’environ 0,53 g. Cela correspondait à la masse d’un gros grain

Descartes détermine que le poids relatif de l’air par rapport à celui de l’eau est en proportion de 1 sur 145. Cependant plus tard, fait remarquer Paulian, Hauksbee obtiendra un rapport bien différent égal, cette fois, à 1 sur 885 en utilisant le même protocole que Descartes.