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3.2 Pertinence et limites de l'ingénierie de la formation appliquée au FLE

3.2.3 Au niveau de l'ingénierie des dispositifs de formation

L’ensemble de ce stage a reposé sur une procédure d’évaluation qui relève, dans sa mise en place, du niveau des dispositifs de formation. Les avantages de ce type d’évaluation ont été démontrés à plusieurs reprises : l’évaluation diagnostique que j’ai conduite a permis la

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mise en évidence objective et rationnelle de dysfonctionnements préjudiciables pour le dispositif. Qui plus est, au-delà de l’analyse frontale des données obtenues, qui a révélé certains problèmes localisés (par exemple, l’absence de compréhension orale dans les tests de fin d’unité, caractéristique de l’ingénierie pédagogique), l’analyse approfondie, à la lumière des concepts ingénieriques, a permis d’identifier des dysfonctionnements plus étendus et plus profonds, principalement dans la planification et la gestion du dispositif lui- même, mais aussi dans la définition de la politique de la structure. L’évaluation diagnostique représente en quelques sortes la première étape nécessaire du processus de remédiation tel qu’il est défini dans la partie conceptuelle (p.65). En outre, dans le domaine de la didactique du FLE, malgré l’abondance de notions et d’outils au service de l’évaluation, je n’ai trouvé aucune mention explicite de l’évaluation d’un dispositif. Certes, mon expérience professionnelle d’enseignant, dans diverses structures, montre que les observations de classe, qui représentent une forme d’évaluation de la performance d’un enseignant à un moment et dans un contexte donnés, sont relativement courantes, mais on se situe là au niveau de l’ingénierie pédagogique. S’agissant du dispositif de formation dans son ensemble, la didactique du FLE est dépourvue d’outil d’évaluation. Il serait donc tout à fait bénéfique aux structures d’enseignement du FLE d’intégrer une telle démarche au sein de leurs dispositifs de formation, d’autant plus si l’on considère combien le transfert d’un domaine à l’autre est facilité.

En effet, dans sa mise en place au sein d’un dispositif de FLE, l’évaluation diagnostique et l’élaboration du référentiel d’évaluation se sont révélés extrêmement adaptables, puisque la théorie qui les sous-tend est détachée de tout objet et de tout contexte : selon la configuration du dispositif, notamment sa taille, sa nature, son rythme ainsi que l’ensemble des acteurs qui y participent, l’évaluation diagnostique et son référentiel d’évaluation pourront s’adapter pour prendre en compte ce qui est pertinent et laisser de côté ce qui ne l’est pas. Pour terminer sur cette procédure, on pourra peut-être lui reprocher une logistique lourde : plusieurs mois ont été nécessaires pour que je parvienne à des résultats viables et exploitables par la structure (cf. en annexe le tableau synthétique des dysfonctionnements identifiés et des pistes de remédiation proposées, p.129). Néanmoins, sans même parler du fait que j’étais intervenant stagiaire, donc forcément moins performant qu’un professionnel du domaine, il ne faut pas oublier que c’est en raison de l’absence de données exploitables pour renseigner les indicateurs que je me suis vu obligé de passer par une procédure lourde et chronophage : les entretiens semi-directifs. Encore une fois, si le dispositif de formation était basé sur les concepts ingénieriques et collectait et conservait régulièrement des données sur ses propres performances, l’évaluation diagnostique aurait été beaucoup plus rapide. Il reste malgré tout probable qu’une évaluation diagnostique uniquement basée sur

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des données figées ne permette pas une analyse aussi approfondie que celle s’appuyant sur des données obtenues via des ESM, forcément plus riches et plus étendues que des données chiffrées ; l’idéal étant sûrement de cumuler les deux.

On s’arrêtera également ici sur l’étape d’analyse, c’est-à-dire principalement la prise en compte des besoins en formation avérés et effectifs du public, de manière à ce que les contenus puissent y répondre. S’agissant du problème soulevé par l’inadéquation des contenus culturels enseignés avec les besoins supposés des apprenants, il aurait pu être évité si la logique ingénierique avait été respectée : les besoins auraient été identifiés en amont et une rapide analyse des contenus du manuel sélectionné (alors Latitudes, 2008) aurait montré les faiblesses de ses contenus culturels. Les acteurs du dispositif auraient alors pu procéder, en amont de l’adoption de ce manuel, à une refonte, ou au moins à une adaptation de ces contenus, de manière à ce qu’ils soient plus en phase avec le profil du public. Il est de plus fort probable que la conduite effective d’une telle analyse aurait mis à jour d’autres besoins non-couverts par les contenus enseignés, que les enseignants n’ont pas envisagés au cours de l’évaluation diagnostique. L’analyse des besoins, dont l’importance en ingénierie de la formation a été explicitée dans la partie précédente (p.43), serait indéniablement positive dans un dispositif d’enseignement du FLE. Cependant, dans le souci de garder une certaine efficacité, cette analyse pourra être plus ou moins exhaustive et approfondie selon les moyens mis à disposition, ainsi que le contexte et le profil du public ; il s’agit encore une fois de garder un certain équilibre garantissant la viabilité du dispositif (p.32). Je terminerai sur un dernier exemple : le problème de l’absence d’analyse des besoins au sein du dispositif de l’Af de Chengdu se retrouve également dans les propos de près de la moitié des enseignants interrogés, qui pensent qu’il faut « ouvrir des classes FOS à partir de B1 », « préparer les étudiants à l’université en France », « créer un module d’entraînement à la prise de notes » ou encore travailler « les textes français : thèse, antithèse, synthèse ». Ces classes seraient-elles pertinentes ? Dans quelle mesure ? Selon quelles modalités ? Seule une analyse approfondie des besoins objectifs et subjectifs du public apporterait des réponses fiables à ces questions et permettrait par là même d’adapter le dispositif à la réalité du terrain.

Dans le prolongement logique de la nécessaire analyse des besoins du public, on trouve un autre élément caractéristique du niveau des dispositifs, par ailleurs largement traité au cours de ce mémoire : le référentiel de formation. Cela a été démontré dans le point précédent : la mise en place d’un tel outil permet de relier efficacement les différents niveaux ingénieriques qui composent un dispositif, mais également l’ensemble des sous-dispositifs qui y gravitent, particulièrement s’agissant de la coordination de ces derniers. Il est basé sur

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les objectifs généraux définis en amont au niveau des politiques, et conditionne dans une certaine mesure les contenus et les pratiques en cours dans la transmission des savoirs et des compétences, au niveau pédagogique. Il permet également d’optimiser la régulation des flux de niveau et de situer efficacement les apprenants au sein du dispositif. C’est, en quelques sortes, un point de repère et à la fois un socle sur la base duquel nombre d’autres éléments s’appuient.

Bien que l’utilité et la pertinence d’un tel outil me paraissent incontestables, je souhaite soulever ici un point important : lors de mes tentatives d’élaboration d’une mission de stage, j’avais émis la possibilité, avec l’appui de mon responsable de stage, de travailler à l’élaboration d’un référentiel de formation. De plus, au vu de l’homogénéité assez marquée du public des AF de Chine, il a paru pertinent d’élaborer ce référentiel à l’échelle du Réseau des AF de Chine. La proposition a été soumise à la commission pédagogique du Réseau, dont la réponse a été sans appel : un tel document serait inutile, le Réseau possède déjà un référentiel, il s’agit du CECR. Plus généralement, il me semble que le Cadre souffre (ou bénéficie, selon les points de vue) d’une aura mythique largement favorisée par les stratégies commerciales des différents acteurs du milieu du FLE, et pourtant justement redoutée par ses auteurs. Ainsi, on trouve mention, à la rubrique « Avertissement » du CECR (p.4), de ses deux objectifs fondamentaux, à savoir « encourager les praticiens dans le domaine des langues vivantes […] à se poser un certain nombre de questions », et « faciliter les échanges d’informations entre les praticiens et les apprenants ». Le paragraphe suivant est encore plus explicite :

soyons clairs : il ne s’agit aucunement de dicter aux praticiens ce qu’ils ont à faire et comment le faire. Nous soulevons des questions, nous n’apportons pas de réponses. La fonction du Cadre européen commun de référence n’est pas de prescrire les objectifs que ses utilisateurs devraient poursuivre ni les méthodes qu’ils devraient utiliser. (idem)

A la lumière de la réflexion que j’ai menée tout au long de ce mémoire, je suis en mesure de porter un regard critique sur la question soulevée par les commanditaires de mon stage. Et mon opinion est sans appel également : le CECR n’est pas un référentiel de formation, ou en tous les cas, pas au sens ingénierique du terme ; au plus, il pourra être considéré comme un référentiel de compétences, mais même cette dernière appellation me paraît tendancieuse. Certes, le Cadre répertorie de façon exhaustive l’ensemble des compétences qu’un locuteur doit acquérir pour pouvoir interagir dans une langue étrangère, en les classant de plus par niveaux, mais la première limite de ce répertoire est qu’il est décontextualisé. Le CECR est par définition un document support, sur la base duquel il est possible d’élaborer

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des formations, mais en aucune façon il n’est prévu pour servir de référentiel de formation à un dispositif, de façon brute et irréfléchie. Par ailleurs, il ne peut être qualifié de référentiel dans la mesure où il n’ordonne pas l’acquisition des compétences selon une logique tirée des besoins. On retrouve certes une logique de construction dans l’acquisition des savoirs et des compétences (par exemple, du familier vers le technique), mais elle a été élaborée hors de tout public et de tout contexte, sur la base des caractéristiques de l’objet enseigné et de la théorisation de l’apprentissage. Cependant, cette critique un peu virulente est à relativiser : dans le cas de dispositifs de formation en FLE extrêmement ouverts, c’est-à-dire susceptibles d’accueillir un public particulièrement hétérogène dans ses besoins et ses objectifs, il peut paraître raisonnable de ne pas enfermer la formation dans un référentiel qui ne pourrait être basé sur une analyse des besoins. Dans ce type de cas, l’utilisation du CECR en guise de référentiel pourrait être justifiée.

Mais revenons-en au cas des AF de Chine : on estime que plus de 80% du public a pour objectif de poursuivre des études supérieures en France ; l’ensemble de ce public est de nationalité chinoise, avec des parcours éducatifs et des biographies langagières franchement similaires ; ils doivent tous passer par la même procédure faite de tests et d’entretiens. On se situe alors dans une réalité toute autre : il devient proprement aberrant que le Réseau n’élabore pas son propre référentiel de formation. Certes, les parcours universitaires de ces apprenants, une fois arrivés en France, seront multiples, mais il serait malgré tout possible de mettre à jour des constantes et d’exploiter cette analyse pour baser les contenus enseignés sur les besoins des apprenants ; par exemple, il pourrait s’agir de fixer des objectifs sur l’acquisition de connaissances en rapport avec le système universitaire français dans sa globalité (licence, master, doctorat, crédits européens, statut étudiant, etc.), ou encore avec les différents types de texte (résumatif, argumentatif, etc.). Une dernière précision viendra clore cette réflexion : je me suis attaché à démontrer que le CECR, à mon sens, ne peut être envisagé comme un référentiel. Cependant, il reste un outil de base extrêmement riche pour qui souhaite mettre en place un référentiel de formation. Il serait contre-productif, voire vaniteux, de se passer de ce matériau de travail. Simplement, l’élaboration d’un référentiel de formation doit suivre une procédure rigoureuse d’analyse des besoins puis de définition des objectifs généraux du dispositif ; alors, et seulement alors, les compétences pertinentes à acquérir dans le cadre de ce dispositif pourront être sélectionnées et ordonnées, notamment parmi celles proposées par le CECR.

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