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Tajfel (1969) a insisté sur les contenus cognitifs et affectifs des attitudes nationales mais également sur la formation de systèmes de croyances et de valeurs autour de l’idée nationale, à travers les processus d’identification et d’influence sociales. Dans ce sens, la condition sine qua non de la réussite de la communication sociale est l’acceptation par une population des messages à contenu national. Ce processus communicationnel atteint son plus haut degré de persuasion, et donc d’influence, à travers la diffusion sociale et culturelle d’attitudes et d’idées relatives à l’idée de la nation. La preuve directe de la réussite de ce type de messages s’apparente surtout dans la perception subjective d’une menace supposée, orientée vers le groupe national d’appartenance et partagée par les autres membres. Cette attitude, résultat d’une vaste diffusion culturelle de certaines significations et de valeurs « […] doit se comprendre comme une fonction des mécanismes psychologiques qui transforment la variété et la multiplicité des messages sociaux en une unité cohérente, une structure cognitive et affective. L’une tend à

simplifier, l’autre à idéologiser plusieurs aspects de l’environnement social et même physique » (ibid., p. 168).

La simplification, selon le même auteur, présente deux caractéristiques essentielles : l’attribution de propriétés générales et évidentes au groupe national d’appartenance et, par conséquent, la perception de différences générales et évidentes des autres groupes nationaux. L’articulation de ces différences forme une croyance et une justification de la singularité par le biais d’une tradition nationale unique qui se perd loin dans le passé, englobe le présent et détermine des lignes de développement pour le futur. Des années plus tard, le même auteur parlera de « catégories simplificatrices » ayant un degré d’accessibilité plus large que d’autres, faisant partie « […] de l’ensemble des croyances, mythes, traditions et images d’une culture » (Tajfel, 1981).

Ces différences générales sont non seulement perçues, accentuées et généralisées ; elles sont également fabriquées, mais aussi éliminées lorsqu’elles ne correspondent plus aux raisons de leur fabrication. Doise et Dann (1976), ont montré que les effets de la catégorisation sociale peuvent trouver une explication comme étant une accentuation des frontières du groupe à l’aide de principes de division affectifs, cognitifs ou comportementaux. Des biais implicites provenant de la catégorisation sociale peuvent transformer une information d’égalité entre deux groupes en une donnée psychologique selon laquelle des comportements non-favorables de la part de l’exogroupe sont représentés de manière disproportionnée. L’évidence de la différence d’un groupe peut être générée même si une telle différence n’a aucun rapport avec la réalité (Howard et Rothbart, 1980).

Les caractéristiques unificatrices et cohésives s’apparentent à un deuxième niveau, décrit par Tajfel (1969), plus abstrait cette fois, idéologique. Les actions politiques, discutées par les leaders, les médias, les manuels scolaires ou les citoyens, se réfèrent invariablement à un contexte d’intérêt et de destin nationaux communs, de valeurs et modes de vie, de traditions, de produits culturels, et de caractère commun des membres qui partagent ces liens. Tajfel jette implicitement – dans un de ses écrits qui n’a pas reçu une visibilité académique adéquate – les bases théoriques pour une articulation entre l’idée de la nation, l’identité sociale et la théorie des représentations sociales. Ces deux niveaux d’interprétation des attitudes nationales (simplification, idéologisation) mettent en lumière une description – quoique élémentaire – des mécanismes de formation des représentations sociales, tels l’objectivation et l’ancrage, si nous pouvons risquer cette comparaison. Simplifier et idéologiser s’avèrent être des processus d’élaboration et de partage de significations (croyances, mythes, traditions, stéréotypes, préjugés, images de soi et de l’autre) à l’intérieur d’un groupe national, tant par rapport à l’affirmation d’une unité, qu’à l’affirmation d’une différence. Unité du dedans et « altérité du dehors » (Jodelet, 2005) se construisent collectivement, dans un contexte culturel donné, à partir d’un début et d’une fin temporels communs, grâce à un cadre communicationnel qui les propage sous forme de messages. La nation semble imposer la mêmeté et l’altérité en ses termes, formant ainsi le tissu de sa propre image déguisée.

L’identité sociale sous ses différentes acceptions

Un nombre important de travaux théoriques et empiriques produits dans le domaine de la psychologie sociale ont eu tendance à développer l’identité sociale en tant que représentation de soi et d’autrui. Des premiers travaux

théoriques des psychologues sociaux, aux plus récents, les dimensions sociale, culturelle et historique demeurent essentielles, non seulement en tant que cadres permettant son actualisation, mais aussi en tant que composantes principales déterminantes de son existence.

Deux critiques majeures aux recherches sur l’identité sociale ont été récemment formulées par Billig (1995). La première concerne le paradoxe de la tendance universaliste de cette théorie et la négligence parallèle des significations spécifiques des catégories sociales. La seconde relève de l’attention portée par les recherches sur l’identité sociale uniquement à la catégorisation individuelle, sans vraiment expliciter ni de quelle manière, ni dans quel contexte sociohistorique l’identité nationale prend corps et devient forme de pensée sociale commune et habituelle. La recherche sur l’identité doit donc s’orienter vers les différentes formes et conditions d’expression identitaires, non pas dans un vacuum social, mais au sein de ses cadres sociaux et culturels de genèse et d’évolution (Jodelet, 1989b).

La psychologie sociale contemporaine s’intéresse surtout à l’aspect dynamique de l’identité sociale. En ce sens, l’hypothèse stratégique, c’est-à-dire les différentes stratégies identitaires mises en œuvre à travers la communication sociale pour atteindre un but donné, apparaît comme l’élaboration individuelle et sociale des acteurs en fonction des finalités situationnelles exprimées. L’une des finalités, qui semble avoir une importance et une fréquence particulières, soulignées dans plusieurs travaux, est celle de la « temporalité » : « Les groupes, comme les individus expriment le besoin d’une filiation dans le passé, de racines historiques, même mythiques, et d’une possibilité de se projeter, en tant que groupe dans l’avenir… » (Taboada-Leonetti 1990, p. 56). Cette finalité s’inscrit dans un projet de réappropriation de l’histoire du groupe, un projet collectif qui

légitime cette projection via l’enracinement dans un passé commun.

Depuis longtemps, Willem Doise a insisté sur le rôle des représentations dans le processus d’interaction entre groupes. Selon lui, si le contenu des représentations est modifié par la nature même des rapports intergroupes, il n’en demeure pas moins que ces mêmes représentations influencent, anticipent et justifient à leur tour ces rapports. Les représentations sociales sont déterminées par l’interaction, mais elles l’influencent tout autant : « Sélectivité, justification, anticipation ne sont évidemment pas trois propriétés indépendantes des représentations intergroupes. Les représentations, en projetant une certaine image de l’autre groupe, en lui attribuant certaines motivations, facilitent et préparent l’action qui sera entreprise à son égard » (1976, pp. 111, 116).

Les travaux de Moscovici et de Paicheler (1978) sur la comparaison, la reconnaissance et l’identification sociales ont montré qu’une majorité en insécurité évitera la comparaison avec la minorité et montrera une forte identification défensive intergroupe. Dans le cas de l’affaire macédonienne, il y avait en effet une forte emphase avec l’identité et l’histoire nationales de la majorité et un refus des demandes de la minorité par peur de confusion nominale et identitaire. Nous observons le même phénomène dans le cas de la Grèce. Il est certes difficile de la « classer » ou de parler d’elle en termes de groupe national majoritaire ou minoritaire. La distinction de Tajfel (1981) entre minorités numériques et psychologiques nous aidera peut-être à clarifier la confusion. En effet, la Grèce est numériquement majoritaire par rapport à la République de Macédoine (presque onze millions d’habitants versus un million et demi). Cependant, l’attitude grecque d’opposition au nom, l’a mise dans une position (psychologique) minoritaire sur la scène internationale,

si l’on pense à l’afflux de reconnaissances provenant de la plupart des autres pays du monde, à la pression internationale envers elle et au résultat final de cette affaire. Plus récemment, Moscovici (2002) a adressé une critique à l’égard des études psychosociologiques des stéréotypes et des préjugés et souligné que le phénomène social de classification a été souvent oublié, car les groupes ont été considérés dans des relations dyadiques indépendamment du système social d’appartenance, du contenu des catégories de classification, bref de la représentation sociale que la société a d’elle-même.

La définition de soi et les définitions des groupes d’appartenance ont été étudiées aussi dans le cadre de la théorie des représentations sociales, comme des principes organisateurs des rapports symboliques entre acteurs sociaux. Doise et Lorenzi-Cioldi (1991) ont montré que l’étude de l’identité en tant que représentation, nécessite une attention particulière et un regard global, puisque les multiples appartenances des sujets à différentes catégories sociales, voire à différents groupes sociaux, relèvent de contenus qui n’obéissent pas nécessairement à la conception d’une appartenance homogène. Selon ces auteurs, la réflexion sur les images et les stéréotypes intergroupes doit abandonner la simplicité déductive de la catégorisation sociale et introduire (ou réintégrer) la définition de soi comme représentation sociale. Ceci, dans une logique qui ne prive pas les sujets du droit à une multitude de caractéristiques (même antithétiques) en provenance de leurs appartenances et de leurs expériences sociales. Un cadre théorique comme celui des représentations sociales doit pouvoir saisir l’identité nationale comme forme de vie sociale, comme une modalité de connaissance de soi, d’autrui et du monde, comme un lieu commun, évident, familier, presque banal d’après Billig (1995), où le sens commun tient le premier rôle. Tout de même, il faut noter que malgré sa banalisation à travers ses multiples supports

institutionnels, malgré son évidence quasi naturelle aux yeux de ses partisans, la nation évoque une idée forte qui médiatise symboliquement le partage d’une essence commune.

Quelques études récentes dans le contexte théorique spécifique des relations intergroupes font de plus en plus appel aux représentations de l’histoire comme facteur essentiel de l’union ou de la scission de l’identité sociale. Les perceptions de l’histoire unissent ou divisent selon l’enjeu social et le contexte culturel. L’une des explications souvent évoquée par les théoriciens de l’identité sociale fait référence au favoritisme ingroup, la tendance à évaluer son propre groupe de manière plus positive que les autres dans l’effort de marquer les limites des frontières identitaires entre groupes. Pour Tajfel, l’origine de l’ethnocentrisme repose justement sur la motivation à avoir une estime de soi positive. Dans cet esprit, les groupes nationaux ou ethniques auront tendance à glorifier les événements positifs de leur propre histoire et minimiser ou même anéantir les événements négatifs, afin de garder un équilibre ou d’augmenter l’estime collective (Hilton et al., 1996). D’autres auteurs vont un peu plus loin dans la même direction, en affirmant que l’estime de

soi ne peut pas être le seul ou l’unique facteur qui relie la

perception de l’histoire à l’identité sociale (Swann, 1987). Ils suggèrent de prendre aussi en compte une autre fonction de l’identité sociale souvent négligée, l’auto-vérification. L’histoire, pour ces auteurs, c’est le récit de la genèse du groupe et accepter cette représentation signifie accepter de faire partie de ce même groupe. Les narrations du groupe deviennent ainsi également narrations du soi.