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Chapitre 5. Discussion

1. Matière première et technologie de pierre polie

1.1. Aspects techniques de la matière première

Malgré une légère différence proportionnelle dans la distribution des matières premières entre les haches et les herminettes, aucune distinction majeure ne peut être observée entre ces deux catégories d’outils ; l’amphibolite prévaut – même si on observe une variation dans la composition minérale à l’intérieur de la catégorie. Quant aux gouges, en dépit d’un petit échantillon, les mêmes matières que les lames d’outil de pierre polie furent employées, mis à part le grauwacke pour l’une des gouges de Muldoon. En ce qui concerne les pointes de projectile de pierre polie, il n’est pas surprenant d’y identifier une majorité d’ardoise.

Il est à se demander quelles motivations se trouvent derrière le choix d’employer l’amphibolite comme matière de prédilection pour la majorité des outils de pierre polie sur les deux sites. Gall et Steponaitis (2001 : 100) indiquent que les amphibolites composées principalement de hornblende ne sont pas des candidates idéales dans la fabrication de lames d'outil de pierre polie en raison de leur degré de métamorphisme, leur minéralogie et leur schistosité. Leur étude sur les lames d’outil de pierre polie du site Moundville, le long du Mississippi, a permis d’identifier une majorité de greenstone dont la composition minérale (identifiée par XRD) comporte de l’actinote, de l’épidote et de l’albite avec de faibles quantité de quartz et parfois de chlorite (Gall et Steponaitis 2001 : 110). Dunning (1960) indique que les greenstones sont des pierres privilégiées dans la fabrication d'outils de percussion polis comme les haches et les herminettes en raison de leurs propriétés physiques ; à savoir, leur résistance, leur haute densité (>3.0 g/cm3) et leur dureté modérée (6 à 7 sur l'échelle de Mohs) qui facilite le travail de la pierre. Pourtant, la matière première identifiée sur Muldoon et Lamoureux est bel et bien de l’amphibolite dont la composition

minérale comprend majoritairement de la hornblende et des feldspaths plagioclases. La présence de quartz, de grenats et de chlorite n’est pas rare non plus, mais en quantité beaucoup moins importante. Il faut rappeler que l’étude de Gall et Staponaitis se concentrait sur les sources de matières premières disponibles dans un rayon de 500 km autour du site Moundville, l’amphibolite répertoriée dans l’étude provenait des piedmonts intérieurs et méridionaux de l’Alabama. Existerait-il des différences majeures entre l’amphibolite de cette région et celle utilisée sur Muldoon et Lamoureux ?

L’amphibolite possède des propriétés physiques plutôt semblables au greenstone utilisé sur Moundville. D’ailleurs, la composition minérale de ce greenstone en fait un schiste à amphiboles vertes (actinote), donc de l’amphibolite. Or, l’amphibolite utilisée sur Muldoon et Lamoureux est un schiste à hornblende, tout comme l’amphibolite décrite par Gall et Steponaitis. Les amphibolites sont des pierres possédant une dureté légèrement inférieure au greenstone utilisé sur Moundville (5 à 6,25 sur l’échelle de Mohs). Il est vrai que ce sont des pierres qui cassent aisément (Chesterman 1979 [2007] : 738). Une étude sur les propriétés physiques et mécaniques de l’amphibolite démontre une densité entre 2,95 et 3,14 g/cm3, avec une moyenne de 3,00 g/cm3 pour six échantillons (Trčková, et al. 2002 : 380). Ces mesures ne furent toutefois pas prises sur des roches de surface, les échantillons proviennent d’un puits de forage de la République tchèque. Les amphibolites recueillies proviennent de deux formations rocheuses différentes : le complexe protérozoïque inférieur Karelian entre 0 et 6842 m sous la surface et le complexe archéen granitique métamorphique Kola-Belomorian, situé sous le premier. La résistance moyenne de compression uniaxiale est plus grande pour les échantillons du complexe protérozoïque Karelian (le moins profond, entre 3000 et 4400 m, résistance de 260 MPa) que pour ceux du complexe archéen Kola-Belomorian (profondeur entre 7900 et 9900 m, résistance de 170 MPa). Une même tendance fut observée sous une compression triaxiale. Les auteurs rappellent que de futures analyses devront être faites sur des échantillons de surface afin de comparer les résultats (Trčková, et al. 2002 : 385).

Il est intéressant de noter que l’affleurement d’amphibolite dans le Bouclier canadien au nord de l’Outaouais mentionné dans le chapitre 1 fait partie de la ceinture

métasédimentaire centrale de la province de Grenville (De Koninck, et al. 2006 : 60; Thurston, et al. 1992) ; une formation rocheuse datant du Protérozoïque supérieur. L’affleurement est situé près de Notre-Dame-de-la-Salette et est accessible par la rivière du Lièvre (Commission géologique du Canada 2003), mais celui-ci ne semble pas apparaître sur la carte géologique du Québec (Ministère des Ressources naturelles 2002). Une autre source d’amphibolite, dans l’Outaouais, apparaît sur la carte géologique du Québec, à environ une dizaine de kilomètres à l’ouest de la rivière Gatineau, au nord de la municipalité de La Pêche. La deuxième source possible mentionnée dans le chapitre 1 se situe dans les sous-provinces granitiques et de greenstone de la province géologique supérieure de l’Ontario, une formation archéenne (Eyles 2002 : 89, figure 7-6). Or, ces sous-provinces rassemblent plutôt des basaltes ayant souffert d’un faible métamorphisme créant des minéraux métamorphiques tels le chlorite, l’épidote et la serpentine. Il est à noter que d’autres roches archéennes (du gneiss gris à quartz, plagioclase, biotite et/ou hornblende, gneiss mafique à hornblende et/ou biotite et amphibolite) s’étendent sur d’immenses plaques le long de la frontière entre la province de Grenville et la province géologique Supérieure. Des affleurements d’amphibolite sont aussi présents dans la province appalachienne (près du Mont Albert, en Gaspésie et près de Thetford Mines) et dans la province géologique supérieure du Québec (à l’ouest du lac Mistassini, au nord du réservoir Gouin et près de Matagami) (Ministère des Ressources naturelles 2002). Il s’agit donc d’une pierre très accessible dans le Bouclier canadien.

La présence d’autres matières lithiques est faible dans les assemblages de Muldoon et Lamoureux. Les pierres métamorphiques – presque toutes des variantes de l’amphibolite à l’exception des schistes à mica, du phyllade et de l’ardoise – constituent autour de 78 % des outils analysés sur les deux sites. Pourrait-on croire que les pierres métamorphiques offrent un avantage technique considérable ? Leur utilisation massive est commune à plusieurs traditions technologiques de fabrication de lames d’outil de pierre polie dans le monde (Farvacque et Ross 1999 : 48-52; Pétrequin et Jeunesse 1995 : 31; Pétrequin et Pétrequin 2000 : 212-214, 357; Sanger, et al. 2001 : 643).

En ce qui concerne l’utilisation de l’ardoise pour la fabrication de pointes de projectile en pierre polie, cela s’explique probablement par la facilité avec laquelle celle-ci se façonne. En effet, l’ardoise est une pierre tendre, elle accuse 5,5 points ou moins sur l’échelle de Mohs (Chesterman 1979 [2007] : 622). La disponibilité de l’ardoise n’est pas un problème dans le sud du Québec. On en retrouve dans le groupe ordovicien moyen de Sainte-Rosalie sur la plateforme du Saint-Laurent, à environ 25 km au sud-est de Montréal et un peu partout dans la province géologique des Appalaches (Ministère des Ressources naturelles 2002).