• Aucun résultat trouvé

LES ASPECTS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES DE LA SANTÉ EN CONTEXTE PLURIETHNIQUE

PARTIE II : CONTEXTE ETHNOGRAPHIQUE

CHAPITRE 4 LES ASPECTS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES DE LA SANTÉ EN CONTEXTE PLURIETHNIQUE

Je me demandais, en roulant dans le tram, comment maman qui connaissait si peu l’anglais et probablement sans argent avait pu se débrouiller [à la suite d’une chute sur trottoir ayant entraîné une fracture de la hanche]. À cette époque, il fallait presque avoir l’argent à la main pour être admis à l’hôpital ou avoir du moins avec soi un répondant.

La Détresse et l’Enchantement, Gabrielle Roy

La question posée par Gabrielle Roy, dont la mère canadienne-française vivait dans une province anglaise, demeure d’actualité pour deux raisons. Elle pose une première question quant à la manière dont se débrouillent les personnes immigrantes qui doivent faire face à des barrières linguistiques et à une méconnaissance du réseau de la santé dans leur nouvel environnement social et humain. Elle met aussi en évidence des enjeux actuels relativement à la privatisation des services de santé. La pluralité des sociétés à forte immigration amène le besoin de nouvelles visions. Selon Douglas (1989), les institutions pensent, mais on peut se demander comment elles pensent dans ce contexte de mondialisation. Comment pensent-elles les dynamiques interculturelles et quelles questions se posent-elles au sujet des populations pluriethniques, notamment dans les institutions de la santé? Ces questions, comme toutes les questions complexes, doivent être abordées à partir d’échelles diverses qui tiennent compte de la mondialisation, des politiques nationales et institutionnelles et des relations entre les personnes. La pluralité n’est pas un territoire facile à aborder, car il est traversé par les lois du marché international, les politiques nationales et les lois sur la discrimination. Au Canada, plusieurs de ces lois, pensons à celles sur le travail, sur la santé et sur la discrimination, existaient avant la diversité culturelle actuelle. Les politiques se trouvent donc confrontées à des situations pour lesquelles elles ne sont pas adaptées. À ces lois s’ajoutent de nouvelles politiques institutionnelles qui visent à répondre aux défis du pluralisme tout en étant traversées par des constructions historiques locales, par exemple l’accessibilité des soins et des services en santé. Cette diversité nationale et institutionnelle rend inefficaces, du moins en santé, les catégories actuelles de comparaisons entre pays quant aux problèmes spécifiques de ces populations. Malgré ce constat,

le chapitre qui suit cherche à donner quelques balises anthropologiques, sociologiques et interculturelles pour s’aventurer sur ce territoire. Cette première partie répond à la question suivante: pourquoi parle-t-on de gestion de la diversité? Pour y arriver, je reprends encore Bateson (1980) en faisant des nœuds dans un foulard pour attirer l’attention sur les situations qui, quoiqu’encore sans réponse, méritent de s’y attarder.

La mondialisation, la communication internationale et la communication interculturelle constituent des domaines aux liens étroits entre eux, ils permettent de penser les problématiques posées dans ce chapitre (Agbobli et Hsab, 2011). La communication internationale sert souvent de contexte pour comprendre l’interculturalité, tandis que l’interculturalité sert de contexte pour comprendre l’internationalité, selon l’expression de Hsab et Stoiciu (2011). Pour ces auteurs, la communication interculturelle réfère principalement aux phénomènes de communication en situation de pluralisme ethnique et culturel, touchant davantage, en principe, les sociétés et les pays d’immigration. Les principaux enjeux qu’ils soulèvent sont l’immigration, l’intégration, la reconstruction nationale et la gestion du pluralisme. Ensuite, ils s’intéressent à la rencontre avec l’autre et, finalement, aux appartenances identitaires. Ces auteurs établissent un rapport entre la communication interculturelle à l’échelle locale et micro et la communication internationale à l’échelle globale et macro. Suivant l’analyse de Friedman (1994; 1995; 2000), on peut dire que les liens entre ces échelles sont plus étroits qu’il n’y paraît à première vue parce qu’il y circule une élite cosmopolite.

Dans cet espace où l’international et l’interculturel se confondent et s’entrecroisent, ils se tissent des liens étroits entre le secteur privé et le secteur public (Galbraith, 2004) ainsi qu’entre une économie locale basée sur des travailleurs immigrants auxquels les institutions locales ont l’obligation de répondre et une économie globale fournissant ces travailleurs. De la même manière, le secteur privé mondial s’infiltre dans la gestion du secteur public et des politiques nationales (De Gaulejac, 2005), ce qui est d’intérêt pour cette thèse parce que ça nous ramène aux politiques canadiennes sur le travail et la santé. Le contexte des rencontres interculturelles en réadaptation physique apparaît alors comme un lieu de tensions entre un pouvoir disciplinaire (Foucault, 1976, 1993) et un pouvoir cosmopolite (De Gaulejac, 2005; Friedman, 1994, 2000). La gestion étant, selon De Gaulejac (2005), la pierre angulaire d’un pouvoir entrepreneurial le plus

souvent cosmopolite, mettre en évidence son fonctionnement dans les institutions permet d’en comprendre les opérations et leurs combinaisons et ainsi, pour cette étude, de donner du sens aux rencontres interculturelles dans les institutions de réadaptation physique en permettant de saisir le contexte où elles se déroulent.

4.1 La société malade de la gestion

D’après De Gaulejac (2005), la société est malade de gestion. Pour ce sociologue français, entre logique de profit et respect des personnes, les armes sont inégales. Amartya Sen (2004, 2012) récipiendaire du prix Nobel d’économie, reprend cette position lorsqu’il considère l’économie comme une science morale qui devrait permettre de repenser les inégalités. De Gaulejac décrit une société hypermoderne où « chaque individu peut être simultanément producteur et produit du système, en être l’acteur et l’agent, le faire fonctionner tout autant que le subir » (De Gaulejac, 2005, p. 11). Le système auquel il se réfère est celui de l’entreprise devenue un monde guerrier et destructeur qui suscite l’adhésion à travers une guerre des places plutôt que des classes. Dans ce système, les perdants sont stigmatisés et chacun doit démontrer sa capacité d’avancer et son statut de gagnant (De Gaulejac, 2005). Cette logique, comme explique Honneth à Fossel (2008), prend sens dans un modèle où l’individu devient « entrepreneur de lui-même » et où l’autonomie devient une source d’aliénation. Pour Honneth (2000), le modèle néolibéral pense le rapport social selon un modèle de transaction économique, de sorte qu’il ne reste plus d’espace pour des sphères de la société qui tentent de fonctionner selon d’autres principes que ceux de la rentabilité économique. Dans ce type de système, avancer permet de suivre le développement entrepreneurial dicté par un ordre mondial et une élite trempée d’une idéologie de cosmopolitisme (De Gaulejac, 2005; Friedman, 1994, 1995, 2000), sans lien avec le réel (Galbraith, 2004) et sans attache politique. Galbraith (2004), économiste, dénonce les mensonges de l’économie et offre ce qu’il considère une option en regard des idées en vogue en soulignant le décalage entre les idées admises, ce qu’il appelle la sagesse conventionnelle, et la réalité.

Quels sont ces mensonges de l’économie? D’après Galbraith (2004), il y en a cinq. Tout d’abord, on utilise aujourd’hui le terme économie de marché libre alors qu’« en réalité, le marché est habilement géré dans tous ses aspects » (Galbraith, 2004, p. 24). Selon lui, le mot qui convient le

mieux à la réalité d’aujourd’hui demeure le terme de capitalisme. Ensuite, la souveraineté du consommateur professé aussi bien « dans les cours d’économie que dans les discours d’apologie du système économique » (Galbraith, 2004, p. 28), n’existe pas. La preuve en est la présence de cours de marketing dans les sciences de la gestion. Troisièmement, on sert un double discours lorsqu’on affirme que les conditions de travail se valent partout, alors que le travail est épanouissement pour certains et asservissement pour d’autres. Le même double discours s’applique au management des entreprises. On fait l’éloge du petit entrepreneur, alors que le monde est dirigé par de très grandes entreprises gouvernées par des bureaucraties multinationales. « La célébration persistante, dans le discours politique et social, des PME et de l’agriculture familiale est un aimable mensonge » (Galbraith, 2004, p. 42). Finalement, Galbraith souligne le mythe de la séparation du secteur privé et du secteur public. Prenant le cas américain, l’auteur montre l’interpénétration des deux, par exemple dans les commandes d’armement. « En usant de son pouvoir d’influence et de son autorité, l’industrie d’armement octroie à ceux qui la soutiennent des postes convoités, des rémunérations de directeurs et des profits, et elle constitue indirectement une source privilégiée de financement politique » (Galbraith, 2004, p. 53). La Commission Charbonneau au Québec s’inscrit dans le même mouvement.

La convergence entre différentes analyses; Galbraith (2004), Sen (2004, 2012) et Stiglitz (2012) appellent à la vigilance entre une idéologie gestionnaire et un pouvoir managérial mondial. La logique économique internationale, qui dirige autant le développement (Rist, 2007) que les institutions étatiques nationales (De Gaulejac, 2005; Galbraith. 2004 ), est une source d’inégalités sociales autant locale que mondiale (Sen 2000) qui s’infiltrent de plus en plus dans notre vie quotidienne à travers un discours public dominé, voire manipulé, par les entreprises animées par le profit (Bibeau, 2004).

De Gaulejac (2005) reprend l’argument de Castoriadis (1997) selon lequel la guerre économique participe à la construction d’un imaginaire social qui sert de paravent à une domination, ressentie par chacun, notamment dans la perte de sens au quotidien, mais dont peu saisissent les causes dissimulées derrière la rhétorique internationale (Rist, 2002). À quel sens font-ils référence au niveau local? Selon Castoriadis (1997), il s’agit d’une montée de « l'insignifiance », causée par une élite politique qui applique « un intégrisme néolibéral amenant pour le citoyen » (guillemets

de Castoriadis) une augmentation du chômage, une précarité et finalement, un désengagement de la vie politique et sociale37.

Pour Appadurai (2005), la disparition des frontières et des États nations favorise la libre circulation des biens et des humains. Toutefois, tel que le dit Friedman (2000), cette avancée cosmopolite ne concerne que 2 % de la population mondiale qui voyage librement et dans des conditions avantageuses. Appadurai (2005) n’a pas anticipé les nouvelles difficultés engendrées par une économie mondiale qui favorise une certaine élite et ne tient pas compte des conséquences locales. Selon De Gaulejac (2005) et Friedman (2000), le pouvoir économique et politique serait en ce moment entre les mains d’une élite cosmopolite transnationale avec comme pierre angulaire, la gestion. Friedman (2010)38 ne fait pas de différence entre des positions

cosmopolites entrepreneuriales de droite et le cosmopolitisme de gauche qui composent obligatoirement avec les systèmes en place, comme dans le cas du développement international. Selon Rist (2007), le développement, profondément ancré dans l’imaginaire occidental, a servi pendant cinq générations à légitimer des politiques économiques et sociales. Pour le chercheur, à l’époque coloniale, le système économique a su mobiliser les humanistes pour parvenir à ses fins, reprenant en cela la critique des anthropologues postmodernistes.

Lewis (1998) critique les postmodernistes qui n’ont pas su faire la différence entre un système et les anthropologues opposés à ce système et, ce faisant, ont créé une rupture faisant en sorte que les anthropologues d’une nouvelle génération s’arrêtent à la lecture des critiques postmodernistes. Dans la situation actuelle, sans tomber dans le piège des critiques coloniales qui ont été appliquées à tous sans nuance, il serait important de faire une différence entre un système et les personnes qui évoluent dans ce système, tel que l’enseigne l’approche systémique de Palo Alto (chapitre 2). Ceci dit, De Gaulejac (2005), Galbraith (2004), Sen (2004, 2012), Stiglitz (2012) et Rist (2002, 2007) nous amènent aujourd’hui à porter une attention particulière à ce qui pourrait échapper aux chercheurs en sciences sociales dans leurs rapports critiques en regard de l’aspect  

37 Selon Montréal en statistiques, on note effectivement un appauvrissement de la population et une augmentation de l’exclusion sociale

38  Friedman, J. (2011). Globalizing Fantasies and Trenchant Realities : Global Systemic Anthropology, the

Contemporary Crisis and the Reconfiguration of the World, Again. Santa Barbara : University of California, Orfalea

économiques qui traverse nos institutions. Le débat sur la valorisation du cosmopolitisme par les anthropologues pourrait être, à mon avis, un exemple du même type. Les modèles d’analyse du pouvoir offerts par les postmodernistes peuvent ici aider à éviter certains pièges.

Pour De Gaulejac (2005), le pouvoir au sein des multinationales repose sur une alliance entre des cadres qui font des choix stratégiques et des actionnaires qui attendent des dividendes, alors que pour les institutions locales, les décisions économiques échappent au débat public malgré leurs effets sur la société. Dans ce contexte, les politiques ne peuvent que gérer les conséquences et veiller au respect du droit. Les acteurs politiques n’ont pratiquement aucun pouvoir et certains n’ont aucun intérêt pour le contrôle des circuits financiers et du droit au travail ou pour contrer les stratégies des firmes multinationales (De Gaulejac (2005). La mondialisation engendre à la fois des liens élitistes internationaux (Friedman, 1994, 1995, 2000) et une rupture entre un certain pouvoir politique et économique issu d’une population locale (De Gaulejac 2005; Galbraith, 2004). Les élections américaines offrent un bon exemple du détournement des gouvernements aux mains d’une élite entrepreneuriale lorsque l’on compare les discours républicains et démocrates. Pour les élections de 2012, Romney a soutenu la position néolibérale selon laquelle le gouvernement est la source des problèmes économiques, alors qu’Obama ne considère pas que le gouvernement soit la source du problème et que certains choix reviennent à la population. Malgré cela, Obama a bénéficié des super pac, les Political Action Committees, qui permettent un abus excessif des contributions du secteur privé au secteur public au moment des élections, tout en les critiquant dans son discours. Dans ce contexte, certains acteurs politiques sont heureux de l’évolution des mécanismes de financement et d’autres auraient, quelque part, les mains liées. Stiglitz (2012), récipiendaire du prix Nobel de l’économie et ancien conseiller de Bill Clinton, a été renvoyé de la Banque Mondiale lorsqu’il a souligné l’échec du projet de développement et proposé de mettre en place des moyens plus cohérents aux besoins locaux (Lapeyre, 2002). De Gaulejac (2005) cite également Stiglitz pour son analyse de l’idéologie gestionnaire néolibérale qui gouverne les instances internationales chargées de réguler l’économie mondiale (FMI), le développement (Banque Mondiale) et le commerce (OMC). De Gaulejac (2005) reprend cette analyse pour mettre en évidence l’influence des décisions de quelques experts sur les mesures prises par les entrepreneurs et par les services publics, particulièrement en Occident. Dans un

film documentaire réalisé en 2008 et intitulé L’encerclement: la démocratie dans les rets du néolibéralisme, le réalisateur Richard Brouillette réunit plusieurs personnalités: Ignacio Ramonet, Normand Baillargeon, Susan George, Omar Aktouf, Oncle Bernard, Michel Chossudovsky, François Denord, Noam Chomsky, François Brune, Martin Masse, Jean-Luc Migué, Filip Palda et Donald J. Boudreaux, qui expliquent l’idéologie néolibérale et ses mécanismes pour imposer ses décisions aux Nations39.

Les réflexions de ces intellectuels aident à circonscrire la complexité du néolibéralisme et la transversalité de la doctrine; de la politique à l’économie, à l’éducation et aux médias. Le film met aussi en évidence les échecs de ces politiques et l’endettement des Nations causé par des institutions internationales comme la Banque mondiale (Stiglitz (2012). Cette dette est aujourd’hui utilisée par le secteur privé, par exemple l’Institut économique de Montréal (IEDM), comme motif de récrimination contre l’État et comme argument pour favoriser son démantèlement. Pendant ce temps, les pays dits en voie de développement voient leur pauvreté augmenter (Rist 2002 : Sen, 2004, 2012) et ceux dits riches voient leurs richesses aux mains d’une élite40. Aux États-Unis par exemple, 1% de la population contrôle 40% des biens41 (Stiglitz, 2012). Par ailleurs, la crise mondiale de 2008 a confirmé beaucoup des craintes des critiques de la pensée économique contemporaine, résumées par la métaphore américaine du trickle down. À ce sujet, la volte-face d’Alan Greenspan, président de la réserve fédérale, au sujet de cette théorie qui prévoit que les baisses d’impôts et autres mesures incitatives pour les riches retombent sur les plus pauvres est à noter. Cette approche mise en œuvre sous Reagan et sous Bush a endetté le gouvernement américain, le laissant vulnérable par rapport aux crises économiques actuelles42. En résumé, il y a coupure totale (De Gaulejac, 2005, p. 42) entre l’élite  

39 Voir à ce propos l’analyse de Bernier (2010) sur les flux financiers et la relation global-loccoll. Cette analyse historique critique pointe le trickle down et met, entre autre, en évidence comment le Chili représente un terrain de jeu pour les économistes de l’École de Chicago qui y testent leurs théories néolibérales basées sur les analyses de M. Friedman avant de les exporter.

40 En ce moment, des journalistes commencent à mettre en évidence les liens entre les manœuvres de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs dans les problèmes de l’Euro, notamment dans la faillite de la Grèce, soutenant ainsi la thèse de Brouillette dans L’encerclement. Goldman Sachs avait été sauvé en 2008 de la faillite grâce à ses liens étroits avec le gouvernement américain. Voir « Goldman Sachs : La banque qui dirige le monde », RDI 2012. 41 Le mouvement Occupy a d’ailleurs popularisé cette métaphore.

42 Pour consulter, suivre le lien suivant :

http://www.google.ca/#hl=fretsclient=psyabetq=alan+greenspan+trickle+downetoq=alan+greespan+tricetgs_l=hp.1. 0.0i13i30l2j0i8i13i30.5226.8205.1.11335.12.11.1.0.0.0.144.1063.8j3.11.0...0.0...1c.1.NHSTornMUNketpbx=1etbav =on.2,or.r_gc.r_pw.r_qf.etfp=228fd1ee39a31d20etbiw=1280etbih=858

technocratique, les experts internationaux et les populations concernées. Les cures d’austérité et la privatisation sont présentées comme des solutions, mais connaissent aussi la contestation des populations touchées. Dans ces conditions, ce sont les contradictions qui doivent attirer notre attention, des contradictions que l’on retrouve dans le discours, dans les résultats ou encore, dans les structures.

L’influence d’une élite du secteur privé sur les décisions de l’État (De Gaulejac, 2005; Galbraith, 2004) n’est pas seulement américaine ou française, elle est aussi locale. Au Québec, on peut penser à l’Institut économique de Montréal (IEDM) qui se définit comme un organisme de recherche et d’éducation indépendant, non partisan, dont les idées visent à enrichir le Québec. Par ses publications, ses interventions et ses conférences, l’IEDM dit vouloir alimenter les débats sur les politiques publiques du Québec et du Canada en proposant sur leur site « des réformes créatrices de richesse et fondées sur des mécanismes de marché ». Ces recherches portent sur l'efficacité des services publics, la santé, l'éducation, la fiscalité et l'environnement et argumentent pour leur privatisation. Cet organisme répond parfaitement aux descriptions de De Gaulejac (2005) sur les institutions néolibérales qui, malgré les apparences de séparation entre le privé et le public, illustrent l’interpénétration des deux secteurs (Galbraith, 2004). La santé est un enjeu politique dans lequel s’insère le privé, elle est d’ailleurs est au centre du devenir de la société (Béland et coll., 2008). Les conseils d’administration d’organismes publics regroupant des entrepreneurs privés, par exemple les universités au Québec, représentent une autre forme de pression du pouvoir privé sur les organismes publics.

Théorisées par De Gaulejac (2005) et illustrées par Greenspan, certaines visions du monde, ou idéologies sont à l’œuvre derrière les outils, les procédures, ainsi qu’au travers des dispositifs d’information et de communication (Keesing, 1987, 1989). Derrière un système qui se présente comme rationnel se dissimule un projet de domination dans lequel, à l’heure de la mondialisation, un modèle capitaliste néolibéral est imposé, mais aussi valorisé par une élite cosmopolite. Y est exclu tout ce qui est considéré comme irrationnel, non objectivable, non mesurable, non calculable. Les seuls indicateurs considérés sont ceux mettant en valeur l’excellence, la réussite, l’engagement, le progrès, la satisfaction des besoins et la qualité. Ces critères permettent bien

certaines avancées, mais, selon De Gaulejac (2005), leur surutilisation devient une pathologie de la gestion, une caricature de la pensée occidentale. L’ambiguïté du pouvoir managérial :

réside dans le décalage entre les intentions affichées d’autonomie, d’innovation, de créativité et d’épanouissement dans le travail, et la mise en œuvre de dispositifs organisationnels producteurs de prescriptions, de normalisation, d’objectivation, d’instrumentalisation et de dépendance (De Gaulejac, 2005, p. 75)43.

L’efficience, la responsabilité, la communication et la mobilité sont les mots d’ordre du modèle managérial. La gestion se fait par objectifs; la flexibilité et la réactivité sont favorisées en vue de transformations « totalement » positives (guillemets de De Gaulejac). La productivité est encouragée, mettant les travailleurs devant des contradictions et utilisant des instruments de