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Arya Samaj : hindou ou Hindustani?

4. Ahmadiyya et Arya Samaj: entre le message universel et la communauté

4.2. Arya Samaj : hindou ou Hindustani?

L’organisation hindoue Arya-Samaj a été formellement créée le 10 avril 1875, en Inde, à Bombay (actuelle Mumbai), par Maharishi Swami Dayananda Saraswati. Samaj signifie « organisation » et Aryas, « personnes nobles » ; ainsi, l’Arya-Samaj fait référence à l’ensemble des personnes nobles qui suivent le Veda (ensemble de textes sacrés de l’hindouisme) et cherchent à vivre en accord avec ses enseignements166. Cette

organisation a été créée afin de préserver les valeurs et les croyances originelles de l’hindouisme qui y sont décrites, c'est-à-dire que l’Arya-Samaj est une société

166 GUYANA CENTRAL ARYA SAMAJ. What is the Arya Samaj?. Disponible sur le site :

d’Hindous qui propagent l’action par le développement de l’humanité et rassemble ses membres avec le but commun de préserver l’essence des valeurs de l’hindouisme167.

De la même manière que l’Ahmadiyya, ce courant est né en Inde britannique dans un contexte d’actualisation des courants religieux face aux changements dans la société, dus au colonialisme anglais et à la modernisation. Au départ, ces deux mouvements représentent, chacun à sa manière, des mouvements réformistes et modernistes qui luttent contre la montée du christianisme et, en même temps, défendent les principes musulmans (Ahmadiyya) et hindous (Arya-Samaj), se faisant alors concurrence à une époque d’ascension du nationalisme des deux communautés religieuses en Inde Britannique.

En Guyane Néerlandaise et dans les colonies anglaises de Guyana et de Trinité-et- Tobago, cette concurrence est aussi présente du fait de l’action missionnaire que chaque mouvement y a entrepris, une action particulièrement adressée aux communautés originaires du sous-continent indien, auprès desquelles ils obtiennent un succès significatif. Au Suriname, la plus grande mosquée appartient à l’Ahmadiyya, et l’un des plus grands temples hindous, à l’Arya-Samaj. Ainsi, bien qu’il promeuve un message universel, adressé à toute l’humanité — comme l’Ahmadiyya —, dans le contexte du Suriname (et du Guyana), l’Arya-Samaj présente des liens évident avec l’une des communautés ethnoculturelles du pays.

Il s’agit d’un mouvement minoritaire de la religion hindoue. Au Guyana, bien qu’il n’existe pas de données précises sur le nombre d’Hindous qui le suivent, sa présence est manifeste au quotidien. Le 29 juillet 2012, par exemple, le Times — journal largement présent dans le pays — a consacré deux pages à un hommage à la vie de l’un de ses leaders : le jeune homme a obtenu un doctorat en Inde, où il a appris le sanscrit et l’hindi et, après être rentré au Guyana, il est devenu l’un des leaders du mouvement. D’autres hommages ont été publiés dans ce tabloïde en 2013, illustrant la vie de personnalités de l’Arya-Samaj et qui ont contribué au développement du pays : en avril, mois d’anniversaire de la fondation de cette institution en Inde, le journal a dédié plusieurs articles qui ont anticipé et couvert l’événement commémoratif de la date, et

le 11 du même mois, il a publié un texte écrit par Pandid Suresh Sugrim, président de la Mission Humanitaire de l’Arya-Samaj du New Jersey (États-Unis) en hommage à Reepu Daman Persaud168 ; le 5 juin, un autre grand article a été dédié à Pandit Ramalall,

fondateur du Centre Spirituel Arya-Samaj, de New York169.

Au Suriname, selon les données du propre Arya-Samaj, environ 30% d’Hindous le suivent ; 60% suivent la tradition Sanathan Dharma (Religion Éternelle) ; et 10% suivent d’autres branches de l’hindouisme. Sur la base des données statistiques de l’ABS Suriname, selon lesquelles 20% des Surinamiens sont hindous, les adeptes de l’Arya-Samaj représenteraient 6% du total des Surinamiens, c'est-à-dire environ 30 mille personnes, ce qui, en termes statistiques, ne représente pas un nombre significatif. Pourtant, le mouvement parvient à être prédominant dans l’ensemble de la société. Le temple siège de l’association Arya Dewaker — la principale association Arya-Samaj du pays — inauguré le 11 février 2001, est réputé pour être le plus grand temple hindou du Suriname, et l’une des constructions hindoues les plus exposées dans les publicités touristiques170. La semaine, on y trouve des cours de yoga et de musique,

ouverts à tous mais principalement fréquentés par des Surinamiens d’origine indienne ; c’est pourquoi l’institution est perçue, grosso modo, comme une institution d’ Hindustani.

Dans la Guyane Néerlandaise du début du XXème siècle, les Hindous ne disposaient

pas d’un corps de brahmanes — la caste sacerdotale traditionnelle de l’hindouisme — capable d’organiser les dispositifs de la religion. Qui plus est, les Hindous issus de différentes castes se sont retrouvés à être soumis aux mêmes conditions difficiles de travail, à manger et à vivre ensemble, ce qui a d’autant plus ébranlé leur structure religieuse « traditionnelle ». Loin de la patrie originelle, et dans cette déstructure du système religieux « traditionnel », l’Arya-Samaj a trouvé un terrain fertile, principalement auprès de la nouvelle génération d’Hindous née dans la colonie néerlandaise, car il valorisait les principes de l’Hindouisme, dénonçait la stratification

168 SUGRIM, Suresh. A tribute to Pandit Reepu Daman Persaud. Guyana Times, april 11, 2013. Disponible

sur: http://www.guyanatimesgy.com/?m=20130411. . Consulté le 28 juin 2013.

169 BISRAM, Vishnu. Tribute to Pandit Ramlall. Guyana Times, june 5, 2013. Disponible sur le site :

http://www.guyanatimesgy.com/?m=20130605&paged=3. Consulté le 28 juin 2013.

170 THE ARYA SAMAJ. Spectacular Arya Samaj Temple of Suriname, 11 aug. 2013. Disponible sur le site :

http://www.thearyasamaj.org/insttopdetail?inststoryid=13&inststorypage=insttopstories. Consulté le 11 décembre 2013.

sociale basée sur les castes et donnait une nouvelle signification et valeur à l’héritage indien171. De plus, ce mouvement réformiste disposait d’un nouveau mécanisme

d’organisation religieuse : selon ses préceptes, les castes n’étaient pas reconnues et tout le monde pouvait être brahmane. Il rejetait par ailleurs le polythéisme, l’idolâtrie, l’usage du voile (considéré comme un système de réclusion des femmes), la tradition qui veut que la veuve se lance dans le bûcher d’incinération de son mari décédé, le mariage des enfants ou encore la suprématie exclusive des brahmanes172. Étant

monothéiste, il pouvait s’opposer aux questions théologiques des Chrétiens et des Musulmans, qui opéraient aussi en tant que missionnaires dans les zones habitées par des Hindous ; et il proposait des réponses aux questions qui tourmentaient les immigrants à ce moment-là : les conditions de vie difficiles ainsi que les difficultés à s’adapter à la nouvelle situation et à s’en sortir. En 1929, en réaction à ce mouvement réformiste, a été fondée la Sanathan Dharma, l’association qui visait à rassembler la branche traditionnelle de l’Hindouisme au Suriname, afin de devenir l’autorité officielle de la doctrine hindoue.

Dans la zone où se situe le temple Arya Dewaker, à l’angle de la Johan Adolf Pengelstraat avec la Dr. Samuel Kafiluddistraat, à Paramaribo, on trouve, en plus du bureau-siège de l’institution, un orphelinat et une école d’éducation fondamentale. Selon Ramsaroep Bansrad, le président honoraire de l’institution (interviewé en 2011), l’Arya-Samaj n’est pas une religion mais plutôt une association qui s’attache à promouvoir la connaissance, c’est pourquoi elle encourage l’éducation et investit dans la construction d’écoles : « Nous croyons en la connaissance. Ainsi, nous croyons aux connaissances hindoues »173. Sur la relation entre l’Arya-Samaj au Suriname et les

Surinamiens d’origine indienne, il dit que « Tous les livres étaient en hindi, et n’ont pas été traduits dans une autre langue. De nos jours, on les traduit de plus en plus vers l’anglais. Le message est bon, mais n’a pas été traduit »174. Reliant la diversité des

origines présentes au Suriname avec le contexte de l’Inde, il précise que le message a réussi à atteindre des personnes d’origines différentes : « En Inde, il y a différentes

171 HOEFTE, In place of slavery: a social history of British Indian and javanese laborers in Suriname, op. cit. 172 Brahmanes se réfère aux personnes appartenant à la caste des prêtres hindous.

173 Version originale: « We believe in knowledge. Thus, we believe in the Hindu knowledge ».

174 Version originale : « All books were in Hindi, and were not translated in another language. Nowadays

traditions. Il y a des familles qui sont venues de différentes parties, à partir de différentes traditions. La tradition change, mais pas la religion »175.

Bien que l’Arya-Samaj ne se définisse pas comme une entité religieuse, la cérémonie dominicale rappelle fortement une célébration religieuse. De plus, son déroulement met largement en lumière le lien de cette institution avec la communauté hindustani du Suriname. La cérémonie a commencé par des chants en hindi, qui rappelaient des mantras ; suivis d’un sermon (pravacham) en néerlandais et en sarnami, et réalisé par un leader de la communauté ; elle s’est terminée par un petit feu de brindilles de bois, tandis que des cantiques étaient entonnés, cette fois-ci en hindi et en sanskrit. Le pandit176 entonnait des chants comme des mantras, en hindi et en sanskrit,

accompagné d’un harmonium indien (instrument musical similaire à un accordéon).

5. Au-delà des limites : échanges symboliques, limites floues et frontières