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Articulation du rattrapage vaccinal avec un bilan de santé pour les migrants primo-arrivants ?

Le rattrapage vaccinal chez les migrants primo-arrivants ne peut se penser seul sans l’intégrer dans le parcours médico-social et de prévention des personnes arrivant sur le territoire français. Outre la réponse aux éventuelles demandes de soins des personnes primo- arrivantes et le rattrapage vaccinal, un des temps importants à organiser est la réalisation d’un bilan de santé. Ce bilan de santé pourrait avoir lieu à l’occasion du « rendez-vous santé » tel que cela a été récemment recommandé et proposé en France par le HCSP (85) et la DGS (86).

Ce « rendez-vous santé » vient réformer en 2015 l’ancienne visite médicale obligatoire que passait tous les étrangers primo-arrivants de pays tiers qui souhaitaient obtenir un titre de séjour pour une durée supérieure de 3 mois sur le territoire national. Cette visite médicale instituée en 1946, initialement comme un outil de vérification de l’aptitude des migrants à occuper un emploi en France, à l’époque de l’immigration massive de l’après-guerre, a connu depuis des évolutions majeures (87). Avec l’arrêt progressif de celle-ci et la place de plus en plus importante occupée par l’immigration familiale, la visite médicale est devenue une interface de l’intégration des migrants, le lieu de leur premier contact avec le système sanitaire et social français, et elle tend à s’inscrire dans une logique de partenariat, tout en faisant de l’accès à la santé un des éléments de l’intégration des migrants primo-arrivants. Le HCSP a été saisi en 2014 par le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur pour émettre un avis sur le maintien ou non de cette visite médicale, réalisée à l’époque par les services médicaux de l’OFII et de redéfinir son contenu. Cette visite médicale répondait ainsi à un double objectif de contrôle et de prévention. Or, le HCSP a considéré qu’il existait un obstacle éthique et déontologique à ce que ces deux fonctions soit effectuées par une même structure. Ainsi, le HCSP recommande dans son texte la réalisation d’un « rendez-vous santé » obligatoire dans les 4 mois qui suivent l’arrivée des migrants sur le territoire. Ce rendez-vous, détaché de toute fonction de contrôle et strictement soumis au secret médical, a pour objectifs l’information, la prévention, le dépistage, l’orientation et l’insertion dans le système de soins de droit commun. Outre des informations à délivrer systématiquement (modalités d’accès, d’organisation, de fonctionnement, de prise en charge des soins, etc.), il comprend des examens obligatoires et d’autres adaptés au contexte. Le HCSP recommande en première analyse, les examens obligatoires suivants : examen clinique général, évaluation et mise à jour du statut vaccinal, dépistage de la tuberculose. Un dépistage VIH, VHB, VHC sera systématiquement proposé. D’autres examens seront à réaliser en fonction du contexte (glycémie à jeun, examen parasitologique des selles, etc.).

L’instruction du 8 juin 2018 de la DGS (86) reprend la proposition du HCSP de « rendez- vous santé des primo-arrivants » et de son contenu. Cette instruction a pour objectifs d’informer les ARS et de les guider dans la construction des parcours de santé adaptés à leur territoire. La DGS fixe plusieurs axes de travail pour les ARS dont le premier qui vise à faciliter

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l’accès à la prévention et aux soins par une meilleure information des personnes sur leurs droits et sur le système de santé, d’une part, et par une meilleure information des professionnels de santé sur la prise en charge des migrants d’autre part. Les axes 2 et 3 invitent à une mobilisation de tous les acteurs médicosociaux et au développement d’une coordination renforcée des acteurs pour atteindre les objectifs de santé publique, afin de construire des parcours de santé pour les migrants primo-arrivants cohérents et efficients.

La question reste de définir l’organisation de ce « rendez-vous santé » : quand, où et par qui ? En effet, la prise en charge sanitaire des migrants primo-arrivants dans cette logique de parcours suppose l’intervention de structures médicales « pivot » à même de réaliser ce « rendez-vous santé » initial ou de coordonner l’intervention concertée de plusieurs professionnels de santé pour la réalisation de ce rendez-vous. La DGS invite donc les ARS, en concertation avec les acteurs de la région, à « construire une offre de soins adaptée aux territoires en identifiant des structures qui pourraient jouer ce rôle pivot. » La DGS identifie, entre autres, les PASS comme des structures médicales adaptées susceptibles d’initier ce « rendez-vous santé ». Or, on constate une saturation de ces dispositifs que sont les PASS depuis plusieurs années. Selon une étude de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS), en 2013 seulement un quart des PASS satisfaisaient aux critères d’exigence fixés (à savoir disposer d’un mi-temps de travailleur social, au moins 10% de temps médical dédié, accès aux consultations de médecine générale et à des médicaments sans frais, recours à l’interprétariat, etc.). Les équipes de MDM font également le constat d’une mise en place des PASS inégalement effective selon les régions et les villes ainsi que des difficultés croissantes pour les personnels des PASS à pouvoir relayer la prise en charge des patients vers la médecine de ville (désertification, refus de soins, saturation de certains dispositifs comme les Lits Halte Soins Santé : LHSS etc.) (22). Les deux médecins exerçant en PASS que nous avons interviewé au cours de notre étude ont eux-mêmes rapporté le manque de temps et de moyens avec l’augmentation de la file active de patients comme étant un des principaux obstacles au rattrapage vaccinal des migrants.

L’articulation du rattrapage vaccinal avec un bilan de santé pour les migrants primo- arrivants, avec notamment la proposition du « rendez-vous santé » paraît indispensable. Sa mise en œuvre concrète reste encore à définir. D’autres sociétés savantes travaillent sur le sujet dont le HCSP qui a été saisi sur la question du bilan de santé des MNA (dont une proposition avait été faite en Gironde par Pierre Baudino dans sa thèse d’exercice (88)), le groupe vaccination et prévention de la SPILF, l’Institut Convergences et Migration et son département santé, etc. Des pistes de bonne pratiques pour la mise en place de ce bilan sont proposées par Vignier et al. dans un article paru en 2019 (89) fonction du pays d’origine.

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Harmonisation des recommandations européennes ?

Les recommandations vaccinales, générales et spécifiques à destination des migrants, sont très hétérogènes entre les différents pays européens, comme nous l’avons détaillé en introduction. Ce manque d’harmonisation des pratiques vaccinales européennes complexifie la mise en œuvre du rattrapage vaccinal chez les migrants, lorsqu’ils ont traversé d’autres pays de l’UE avant d’arriver sur le territoire français et n’ont pas de preuve d’éventuelles

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vaccinations qu’ils ont reçus le long de leur parcours. L’EVAP 2015-2020 comprend une série d’objectifs et de mesures pour le contrôle et la prévention des MPV à destination des pays membres de la région Europe de l’OMS, avec une attention spéciale apportée aux migrants et aux communautés éloignées du soin, leur assurant un accès équitable et égalitaire aux soins et à la prévention, incluant notamment la vaccination. L’importance d’une collaboration et d’un partage transfrontalier des bonnes pratiques et des données de santé a été souligné par le bureau régional Europe de l’OMS en 2016.

Au cours de notre étude, la grande majorité des médecins interviewés a déclaré être favorable à une harmonisation des pratiques européennes dans le but de faciliter la mise en œuvre du rattrapage vaccinal chez ces populations mobiles que sont les migrants. Cette volonté d’homogénéiser ces pratiques dans le but d’améliorer la prise en charge vaccinale des migrants et ainsi contrôler les risques de maladies infectieuses, est reprise également dans la littérature. Dans cette étude anglaise par exemple dont nous avons parlé en introduction et qui souligne les différences de politiques vaccinales européennes à destination des migrants (58), la plupart des experts (26/32) était d’accord sur la nécessité de recommandations vaccinales communes. Les auteurs soulignent la nécessité d’explorer et de développer un support idéal et commun, permettant une traçabilité des vaccinations entre les pays et évitant ainsi une duplication des injections et une confusion quant à savoir quelles vaccinations ont été réalisées. Ils mentionnent à ce sujet, l’initiative de l’International Organization for Migration (IOM) de développer un carnet de santé électronique européen (incluant notamment les vaccinations). Sa pertinence et son implémentation sont à l’étude chez certains migrants arrivant en Grèce, Italie, Slovénie et Croatie. L’intérêt de ce registre électronique commun est double : améliorer la mise en œuvre du rattrapage vaccinal des migrants d’une part comme nous l’avons vu précédemment, mais également mettre en place un système de surveillance épidémiologique accessible pour tous les pays européens. L’ECDC encourage l’utilisation de registres dans l’objectif de créer une base de données sanitaires commune et ainsi suivre les taux de couverture vaccinale, les épidémies, etc. La problématique inhérente à la mise en place de ces registres à des fins épidémiologiques, est la crainte de certains migrants notamment ceux en situation irrégulière, de voir leurs données enregistrées.

Dans leur étude, Prymula et al. (55) souligne également l’obstacle que représente ces différences de politiques vaccinales entre les pays européens dans l’amélioration de la couverture vaccinale des populations migrantes. Les auteurs proposent comme solution une collaboration des états européens afin de mettre au point une stratégie vaccinale commune, en accord avec les objectifs de l’EVAP.