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4. Récit du séjour

4.4 Arrivée à Café Lompré

Mardi 2 octobre 2007, j’ai rendez-vous à Carrefour, quartier périphérique de Port-au-Prince, à 7h30 du matin avec le Frère François, devant une église. Pour y arriver à l’heure et ne pas être bloqués dans le trafic, Roger et moi nous sommes levés à 4h30 et avons quitté la maison avant 6h. Ici, il est recommandé d’avoir les nerfs solides et de posséder un 4x4 ou une grosse voiture du moins, car la plupart des routes sont détériorées, caillouteuses, avec des nids de poules fréquents et souvent démunies de grilles d’égouts ou de feux de signalisation. Autant dire qu’il faut être très attentif et prudent pour oser prendre le volant dans cette capitale désordonnée ! Et c’est encore sans avoir dévoilé le pire, la gangrène de cette ville autrefois si attrayante, les innombrables tas d’immondices qui bordent les routes et les marchés, gonflant et obstruant les canaux débouchant sur la mer. Cette vision me donne parfois l’impression étrange d’avoir débarqué sur une autre planète ou, pour être plus représentative, dans une énorme décharge publique. Démunis par la situation, les habitants mettent régulièrement le feu à ces tas d’ordures, dans l’espoir de voir ce désastre diminuer…En vain malheureusement.

Figure 2 Tap-Tap (transport collectif) Figure 3 Canal à Port-au-Prince

Figure 4 Tas d’ordures qui se consument en bord de route (Port-au-Prince)

Frère François nous attend comme prévu devant l’église. Les présentations sont brèves car nous devons nous empresser de reprendre la route pour ne pas être surpris et bloqués par l’averse qui menace. Rassuré de me savoir entre de bonnes mains, Roger rebrousse chemin. Le pick-up du

Frère François est plein de marchandises : des sacs de riz et bouteilles de boissons diverses (bières, Coca Cola, Malte etc.) principalement. Nous faisons encore plusieurs stops sur la route pour acheter quelques fruits et épices. Nous n’arrivons malheureusement pas à éviter l’averse et à la sortie de la route bétonnée, au Carrefour Saint Etienne, Frère François a l’air un peu inquiet.

Je suppose alors qu’il redoute des affaissements de terrains, mais heureusement, la pluie n’est pas encore trop tombée dans la zone. Le sentier n’a en rien changé de mes souvenirs. Constitué de pierres et de terre, la chaussée n’est praticable que dans un sens. Certains segments ont bien fait l’objet de bétonnages vulgaires mais n’ont pas tenu, par manque d’entretien, affaissements de terrain ou inondations à répétition.

Au premier coup d’œil, le paysage ressemble un peu à celui de la Suisse étant donné que nous nous trouvons dans une région montagneuse de l’île. Au détail près que la quasi totalité des vallées sont dépourvues de végétation ! En effet, le problème de déforestation est un autre fléau incontournable du pays. Seuls 3 à 5% de la forêt originale (avant la colonisation) subsistent aujourd’hui9. Nombreuses sont les organisations locales ou internationales qui s’efforcent de

“réparer les dégâts“ ou du moins de “limiter la casse“. Frère François ne manque d’ailleurs pas de m’indiquer que les quelques jeunes arbres qui arborent la route ont été plantés à l’initiative des PFST, il y a une dizaine d’années.

Pour grimper les quelques derniers mètres menant à la cour de la maison, il est nécessaire d’activer l’option 4x4 du véhicule. Nous y voilà enfin. Il est 14h30 environ. Que de péripéties pour parcourir une distance de 50km !

A notre arrivée, je remarque immédiatement que le bâtiment a été agrandi étant donné qu’il dispose aujourd’hui de deux étages alors qu’à ma précédente visite, il était de plein pied. Grâce à OTM qui s’est chargé de financer la construction, huit chambres supplémentaires sont dorénavant disponibles et peuvent accueillir les intervenants de l’organisation. Nouveauté de bonne augure pour moi qui me retrouve installée dans la chambre N°8, côté droit au centre de ce premier étage. A l’intérieur, un lit superposé sur la droite, un lit double sur la gauche, une table contre le mûr avec pour seule décoration une lampe à pétrole. Au fond de la pièce, une fenêtre, sur la gauche une armoire et à droite, surprise, une salle de bain !!! Je n’en crois pas mes yeux, j’ai une salle de bain personnelle munie d’une douche, d’un lavabo et d’un WC. Si je m’attendais à ça… il n’y avait même pas d’eau courante la dernière fois ! Après avoir poussé un petit cri de joie, je commence à défaire ma valise en prenant tout le sens du proverbe : « Il en faut peu pour être heureux ! ».

La fin de journée passe sans que j’aie eu le temps de m’en apercevoir quand une clochette retentit. Ne sachant pas ce qu’elle signifie, je n’y prête d’abord pas attention jusqu’au moment où Frère François vient me chercher et m’explique que cette sonnerie est annonciatrice des repas ainsi que des moments de recueil à la chapelle (interne à la maison). Après quelques jours passés au sein de la communauté, je remarque qu’habituellement cette clochette résonne six fois par jour. Une première fois à 5h du matin, pour annoncer la prière du réveil, une seconde fois dans les environs de 7h15 pour le petit déjeuner, une troisième fois vers 13h30 pour le dîner, une quatrième fois à 17h pour la prière de fin d’après-midi, une cinquième fois vers 19h pour le souper et enfin, une sixième et dernière fois vers 20h30 pour la prière de nuit.

Mon entrée dans la salle à manger dont la simplicité donne plutôt l’impression d’un réfectoire, ne passe pas inaperçue. Tous les Frères sont restés debout devant leur chaise en m’attendant.

Après que Frère François m’ait introduite et présentée à chacun d’entre eux, un des Frère récite le Bénédicité ouvrant les festivités. Au menu, bananes plantains, riz avec une sauce aux haricots rouges (appelés “pois“ en Haïti), avocats et en dessert, des oranges. L’étonnement est de taille quand j’annonce que je ne mange pas d’avocat, car ici, ce fruit est le produit de substitution

9 Estimation tirés du rapport de TDH Suisse 2004

idéal au beurre. Riche en protéines, il se consomme régulièrement, voire même traditionnellement. Surpris par cette annonce mais bien décidé à ce que je me sente à mon aise, un Frère tourne la conversation en dérision en disant que cela n’en fera que plus pour la confrérie !

Malgré ma gêne et une certaine timidité lors de mon entrée, le repas se passe bien. Nous faisons tous un peu connaissance. Le temps est donc venu de faire la présentation de mes “colocataires“

haïtiens ou plutôt mes hôtes de Café Lompré :

Frère François, frère supérieur responsable de la mission.

Frère Tonner, conseillé des projets éducatifs et agricoles.

Frère Jordan, responsable de l’école primaire et de la comptabilité.

Frère Vaillant, responsable des projets d’apiculture et d’agriculture.

Frère Jules, responsable du secteur administratif.

Frère Martin, consultant dans le secteur de l’apiculture.

Frère Samedi, responsable de l’atelier ferronnerie.

Frère Gérard, responsable de l’atelier menuiserie.

Valentin, aspirant au titre de Frère, en attente de faire ses vœux.

(Je reconnais immédiatement Frère Martin qui était déjà présent dans la mission lors de mon passage en 2001, mais mettrais plus d’une semaine pour réaliser que Frère Vaillant en faisait également partie.)

De retour dans ma chambre après le repas, peu d’activités s’offrent à moi. Etant donné l’absence d’électricité, il ne me reste qu’à lire, jouer au sodoku ou faire un solitaire avec pour seule lumière, la lueur réduite de ma lampe à pétrole. 20h, alors que les Frères s’apprêtent à rejoindre la chapelle, je rejoins les bras de Morphée, exténuée par cette longue journée.

Réveillée aux alentours de 5h du matin, j’apprécie le lever du soleil. Et oui, ici les grasses matinées sont rares, mais je commence gentiment à me faire à ce rythme et pour la première fois, ma nuit n’a pas été interrompue par les attaques agressives des moustiques, au contraire de celles passées dans la capitale. Toutefois, les chants “ultra“ matinaux des coqs sont toujours aussi perçants, voire irritants !

Après le petit déjeuner, je finis par persuader le Frère François de m’emmener et me présenter à Tania, professeure de crochet du centre de formation professionnelle. Surprise et un peu gênée par ma présence aux premiers abords – tout comme l’ensemble des étudiants d’ailleurs – celle-ci finit par m’accepter et m’intégrer pleinement dans son quotidien. Suivent alors près de trois semaines d’observation, de partage et de moments de complicité avec la trentaine de filles qui suivent les enseignements de l’atelier couture du centre.