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b. Capabilité et environnements capacitants

Section 3. Une approche par l’activité : théorie et champs d’analyse d’analyse

Dans le cadre des défis et enjeux qui sous-tendent la transformation numérique du travail, une approche par l’activité peut apporter des éléments clés de compréhension. En effet, de par une approche réflexive sur les pratiques mises en œuvre dans le travail tant au niveau organisationnel qu’individuel, l’analyse de l’activité permet de mettre en évidence les facteurs dominants qui l’influencent et de s’interroger dans l’action. Nous présenterons la théorie de l’activité, de ses évolutions majeures à une lecture orientée systèmes d’information et TIC ; puis nous aborderons les apports de plusieurs champs d’analyse de l’activité pour réfléchir aux notions d’apprentissage individuel et de comportements au regard de la transformation de l’activité.

Mais tout d’abord posons une base sur ce que l’on entend par activité. En s’appuyant sur Rogalski (2008), l’activité sera ce que développe un sujet lors de la réalisation de la tâche non seulement ses actes extériorisés mais aussi les inférences, les hypothèses qu’il fait, les décisions qu’il prend. Dans ce qu’il fait et ce qu’il se retient de faire, l’activité comprend également la manière dont le sujet gère son temps, son état personnel en termes de charge de travail, de fatigue, de stress, et aussi de plaisir pris au travail ainsi que ses interactions avec autrui dans la situation de travail.

3.1. La théorie de l’activité

Prenant source dans l’école russe de psychologie du développement humain, la théorie de l’activité a connu des évolutions majeures sur plusieurs générations de chercheurs tout en enrichissant son idée centrale que l’apprentissage est d’abord un phénomène social, avant d’être le fait d’individus isolés. En outre, elle apporte un cadre théorique riche pour étudier l’activité humaine comme un processus médiatisé, médiation par exemple par les TIC.

issue des liens sociaux et des interrelations médiatisées par des artefacts, du langage à la culture ou encore aux TIC aujourd’hui. La communication fait référence à la médiation par les tiers ou zone proximale de développement.

Dans la lignée et dans une deuxième génération de travaux, Leontiev (1978) ajoute une structuration hiérarchique de l’activité en trois niveaux distincts (Figure 16)car toute activité est pour lui tripolaire.

Figure 16 : Activité, structure hiérarchique à trois niveaux

Le niveau supérieur – Activité – est l’activité intentionnelle. L’activité est orientée par les motifs liés à un objet à satisfaire pour l’individu. Le niveau intermédiaire – Action – est la planification de l’activité. L’action est orientée par les motivations et les buts de l’individu et correspond à l’exécution de son modèle de pensées. Enfin, le niveau élémentaire – Opération – est le niveau instrumental, exécutif de l’activité. L’opération est orientée par la réalisation pratique des actions et s’appuie sur les exécutions inconscientes, les expériences antérieures de l’individu. Cette structuration hiérarchique prend toute la mesure de la dynamique

puisque l’action repose sur le modèle de pensées de l’individu, en cas de défaillance du modèle, ce dernier sera modifié, entraînant une augmentation de l’expérience et un développement individuel ; et ce, dans la filiation de Piaget qui caractérise l’apprentissage comme la recherche d’un équilibre entre une situation initiale et une situation nouvelle par assimilation et accommodation.

La troisième génération de la théorie de l’activité est caractérisée notamment par les travaux d’Engestrӧm (1987) qui promeut plusieurs évolutions majeures du cadre théorique tel que le modèle du système général de l’activité ou le processus d’expansion du système de l’activité, communément nommé « expansive learning at work ». Un des points de réflexions porte sur les organisations et les limites des approches traditionnelles du réalisme, du constructivisme ou du constructionisme quant à l’étude de l’activité ; l’individualisme méthodologique se trouvant en décalage face à la réalité sociale et l’activité n’étant pas une simple somme d’actions individuelles mais un système complexe d’interrelations (Engestrӧm, 2000).

À compter de ces évolutions, la théorie de l’activité s’attache à caractériser un cadre conceptuel pour étudier les pratiques humaines comme processus de développement. Elle présente un ensemble d’outils pour rendre compte de l'activité dans sa complexité et permet d’établir un modèle heuristique qui rend intelligible les composantes de l'activité humaine médiée par des artefacts dans un contexte défini, ainsi que le déroulement des activités collectives conjointes. L’activité humaine y est modélisée comme un système qui associe individu et communauté car « la mobilisation de l'activité permet de définir à un temps t les

composantes de l'activité (les éléments du modèle systémique), d'en saisir les interrelations ainsi que les contradictions émergentes, en vue du développement par expansion des systèmes engagés. [...] Elle invite à une étude de l'activité en train de se faire » (Durand & Barbier, 2017,

p. 499). Dans ce système, il est donc important d’analyser les interrelations entre le système d'activité lui-même et le système d'activité compris dans son organisation, la théorie de l'activité suggérant que l'interaction résulte des outils techniques et psychologiques que les acteurs utilisent pour interagir avec leur environnement (Engestrӧm, 2000). Ainsi Engestrӧm (1987) définit un modèle structurel en pôles et relations : la structure de base d’une activité (Figure 17).

Figure 17 : Modèle structurel de base d’une activité (Engeström, 1987)

Dans toutes situations, les relations du sujet à la communauté, dans l’appréciation d’un objet vers lequel il tend, sont médiatisées par des règles et une division du travail prévalant dans l’activité, ainsi que par des outils mobilisés spécifiques à cette activité ; l’ensemble de ces médiations et réalisations conduisant en finalité à produire un résultat. Ce sont les contradictions et les tensions observables dans ce modèle qui permettent de caractériser l’évolution de l’activité. Ces contradictions se divisent en quatre niveaux : primaires lorsqu’elles concernent les pôles, secondaires lorsqu’elles concernent les relations entre pôles, tertiaires lorsqu’elles concernent des activités identiques mais mobilisant des outils ou technicité différents, et quaternaires lorsqu’elles concernent le réseau d’activités identiques. Ainsi dans l’activité, la notion de communauté est fondamentale et se définit comme l’ensemble des individus partageant un but commun et mettant en œuvre des processus de transformation axés sur la résolution de tensions. Cependant, la transformation d’une activité collective n’est en rien linéaire et repose sur un processus progressif où chaque évolution de médiateurs ou de relations redistribue la définition de l’activité et crée de nouvelles contradictions (Virkkunen, 2007). C’est de ce processus progressif et incrémental (Figure 18) que naît l’apprentissage par « expansive learning at work », soit une expansion du système d’activité collectif de travail comme source de développement (Engestrӧm, 1987).

Figure 18 : Processus d’expansion du système d’activité (Engeström, 1987)

Ce processus d’expansion tire une force cyclique de l’enchaînement de résolutions de contradictions internes au système d’activité.

Les trois concepts clé à retenir de la théorie de l’activité sont ainsi les médiations, les contradictions et la zone proximale de développement. À partir de ces concepts et du fait majeur que l’étude de l’activité doit se faire via l’action pratique, menée pour un objet défini, la compréhension des mécanismes qui entourent l’action humaine et ses conséquences est éclairée.

Cependant, exposer ici l’ensemble des apports de la théorie de l’activité reste difficile sans tendre à produire un simple résumé qui serait à notre sens inopportun et réducteur, ce cadre théorique étant tout à la fois dense et subtil. Pour le lecteur qui souhaiterait aller plus loin, nous proposons de mettre en annexe (Annexe 1) une interview de Yrjӧ Engestrӧm (2011) qui retrace en toute clarté la théorie de l’activité.