4. Variabilité phénotypique : adaptation locale ? 4.2. Approche in situ L’estimation statistique de la différenciation génétique entre populations (QST) nécessite de séparer l’effet environnemental de l’effet génétique sur le phénotype. Il faut pour cela que les individus composant les deux populations soient observés au sein du même environnement. L’estimation de l’héritabilité nécessite quant à elle la connaissance des relations d’apparentements entre les individus d’une population. Or en conditions naturelles des populations différentes évoluent au sein d’environnements différents et leurs pedigrees sont a priori inconnus. L’estimation du QST et de l’héritabilité nécessite donc la mise en place de dispositifs expérimentaux de type agronomique particulièrement longs à mettre en place et coûteux. Des approches permettant d’estimer les paramètres génétiques in situ (c’est-à-dire directement au sein de populations naturelles) permettraient de s’affranchir de ces dispositifs expérimentaux, qui sont rares chez les arbres forestiers (Green 2005; Bresson et al. 2011; Kurt et al. 2012) et inexistant pour les populations d’altitude chez le mélèze d’Europe. Aujourd’hui seules des approches in situ peuvent être utilisées pour le mélèze. 4.2.1. PST, proxy de l’estimation de la différenciation génétique En l’absence d’un dispositif expérimental capable de contrôler les effets environnementaux, l’estimation de la différentiation génétique (QST) entre deux populations est impossible. Toutefois, elle peut être approchée in situ par le biais d’une mesure alternative au QST, nommée le PST, basée sur l’approximation de la différenciation entre populations à partir des données phénotypiques seules. Le terme PST a été inventé et utilisé pour la première fois par Leinonen (2006), bien que le concept ait déjà été utilisé dans des études antérieures (Merilä ont été réalisées chez diverses espèces telles que des rongeurs (Wójcik et al. 2006), des oiseaux (Merilä 1997; Sæther et al. 2007; Antoniazza et al. 2010) ou des poissons (Saint-Laurent et al. 2003; Østbye et al. 2005; Leinonen et al. 2006; Raeymaekers et al. 2007). Historiquement, le PST a été développé pour permettre d’approximer la différenciation génétique chez des espèces pour lesquelles il est impossible de réaliser des dispositifs de type « common garden ». Le fait que l’invention de ce paramètre de génétique quantitative soit relativement récente explique certainement qu’il n’existe (à ma connaissance) aucune étude l’ayant utilisé chez les arbres forestiers. L’approximation du QST par le PST est généralement biaisée car les différences phénotypiques observées intègrent, en plus de la différenciation génétique, les réponses plastiques dues aux différentes conditions environnementales (Pujol et al. 2008). Ainsi, si le PST ne peut pas fournir de preuves solides de l’action de la sélection naturelle dans le passé, il donne des indications sur le degré de différenciation phénotypique entre les populations pour les différents caractères (Leinonen et al. 2013). Cette approche possède notamment l’avantage de tester le réalisme de certains scénarios évolutifs, en déterminant par exemple quel pourcentage de la divergence phénotypique doit être attribué à un effet génétique pour que l’hypothèse d’une différenciation induite par l’action de la sélection divergente reste réaliste. 4.2.2. Héritabilité in situ La connaissance de la structure familiale est indispensable à l’estimation de l’héritabilité au sens strict. Or, les pedigrees des populations naturelles sont inconnus. Des outils ont donc été développés pour reconstruire l’apparentement entre individus à partir de marqueurs moléculaires neutres et pour ensuite se baser sur ces apparentements pour estimer l’héritabilité in situ (Ritland 1996a; Ritland 2000). Plusieurs estimateurs sont disponibles pour reconstruire les apparentements (Ritland 1996b; Lynch and Ritland 1999; Van De Casteele et al. 2001; Wang 2002; Milligan 2003; Csilléry et al. 2006). Chacun de ces estimateurs possède des propriétés différentes en termes de biais et de précision, dépendant notamment des caractéristiques génétiques de la population, telles que la distribution des fréquences alléliques entre marqueurs et la richesse allélique. Bien que cette méthodologie ait été développée depuis 1996 (Ritland 1996a), que l’utilisation des marqueurs moléculaires neutres se soit démocratisée et que dans le contexte du réchauffement climatique les études concernant l’estimation du potentiel de réponse génétique des populations soit en pleine expansion, peu d’études les ont utilisées, que ce soit chez les arbres (Klaper et al. 2001; Kumar and Richardson 2005; Andrew et al. 2005; Bouvet et al. 2008; Bessega et al. 2009; Bontemps 2012) ou d’autres plantes (Castellanos et al. 2011). Les réseaux d’apparentements au sein des populations naturelles d’arbres forestiers sont mal connus et sont supposés complexes. Les méthodes in situ imposent des conditions d’échantillonnage particulières, avec un nombre d’individus à génotyper et de marqueurs à analyser supérieur à un seuil. D’après des simulations, ce seuil serait d’au moins 150 individus et 15 marqueurs microsatellites par population (Leopoldo Sanchez, communication personnelle). De plus, la moyenne d’apparentement génétique est généralement très faible. A ce faible apparentement intra-population peut correspondre une variance d’apparentement non significative qui empêche de mettre en évidence des héritabilités significativement différentes de zéro (Klaper et al. 2001; Bouvet et al. 2008). C’est peut-être pour ces raisons que Kumar & Richardson (2005) ont trouvé une corrélation faible (0,13) entre l’héritabilité estimée à l’aide de marqueurs et celle calculée en se basant sur la connaissance a priori des pedigrees. La question à laquelle je tenterai de répondre dans le troisième chapitre de cette thèse est celle-ci: La variabilité phénotypique observée le long du gradient altitudinal est-elle en partie le résultat de pressions de sélection différentielles passées le long de ce gradient ? Comme il n’existe pas à ce jour de dispositif expérimental comprenant des peuplements de mélèze distribués le long d’un gradient altitudinal, les approches in situ sont les seules à pouvoir être utilisées. L’estimation du PST et sa comparaison aux valeurs de FST apparaît comme une approche adaptée à la recherche de l’adaptation locale le long du gradient. L’estimation de l’héritabilité in situ à différents niveaux altitudinaux peut donner des indices Dans le document Ajustement biologique du mélèze aux variations environnementales le long d’un gradient altitudinal : approche microdensitométrique de la réponse au climat (Page 38-41)