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Annexe V. Code de procédure de l’International Association for Forensic Phonetics (IAFP)

IV. A PPROCHE AUDITIVE

4.3. Procédure de reconnaissance par des profanes

4.3.1. Approche descriptive

4.3.1.1. L’anthropométrie ou bertillonnage

Dès 1879, Alphonse BERTILLON propose une méthode de reconnaissance des récidivistes basée sur les mensurations de certaines longueurs somatiques particulièrement invariables : le signalement anthropométrique [BERTILLON, 1881]. Il s’assortit d’une série de systèmes complémentaires, dont l’ensemble a reçu du professeur Alexandre Lacassagne le nom de bertillonnage. Parmi les nombreux caractères d’identité proposés à cette époque en police scientifique, certaines particularités d’ordre physiologique, telles que la démarche, l’allure, le geste, le regard et la parole sont inclus dans le signalement anthropométrique [LOCARD, 1909].

La voix et le langage sont caractérisés pour la première fois dans les instructions signalétiques de BERTILLON :

«Le timbre de la voix est l’un des caractères les plus distinctifs de l’individualité. Chacun sait que nous reconnaissons nos parents, nos amis, toutes les personnes avec lesquelles nous sommes en rapport journalier, à distance, d’une pièce à une autre, rien qu’au son de leur voix. Malheureusement, le phonographe mis à part, aucun signe n’est plus difficile à noter. On signalera les voix particulièrement graves ou aiguës, la voix de fausset, la voix féminine chez l’homme et la voix masculine chez la femme. Les principaux vices organiques d’articulation sont : le zézaiement, le chuintement, le bégaiement et le grasseyement.

La connaissance raisonnée des différents accents qui caractérisent chacune des provinces de la France serait certes d’une grande utilité pour l’identification des inconnus qui cachent leur nom, si en cette matière si délicate la théorie pouvait suppléer à la pratique. La distinction des principaux accents étrangers, pour peu qu’on ait eu l’occasion d’y familiariser son oreille, est certes plus aisée et plus tranchée que celle des accents provinciaux. Chaque nationalité transporte dans sa manière de parler une langue étrangère, la prononciation, les règles de

grammaire et les tournures de phrase usitées en sa propre langue » [BERTILLON, 1893].

BERTILLON postule que la voix répond au « principe d’individualité », mais il souligne la

faible capacité de l’être humain à décrire une voix, ainsi que le manque de connaissances théoriques en linguistique et en phonétique. Il tente aussi une première analyse en distinguant dans le signal de parole les éléments de phonétique acoustique comme le timbre, les éléments de phonétique fonctionnelle, telle la prononciation et ses défauts, et les éléments de linguistique, comme la langue et ses particularités.

Le dénuement des caractérisations de la voix, présentées dans la télégraphie chiffrée du portrait bertillonnien d’Archibald Rodolphe REISS, « Le Portrait Parlé », illustrent d’ailleurs ce

manque de connaissances théoriques et cette difficulté à décrire la voix (Tableau IV.1.) [REISS, 1907] :

0,87 : La voix 0,871 : voix grave 0,875 : zézaiement

0,872 : voix aiguë 0,876 : chuintement

0,873 : voix féminine 0,877 : bégaiement

0,874 : voix masculine 0,878 : accent étranger

Tableau IV.1. Les caractérisations de la voix dans « Le Portrait Parlé » de REISS

Cette inaptitude des locuteurs à augmenter, par eux-mêmes, le nombre d’adjectifs permettant de caractériser les voix a d’ailleurs été mise en évidence expérimentalement [VOIERS,

1964].

4.3.1.2. Le signalement descriptif fonctionnel

Dans son « Trattato di Polizia Scientifica», Salvatore OTTOLENGHI souligne qu’un individun e se reconnaît pas seulement par ses attributs anatomiques, mais aussi par la façon qu'il a de se présenter, par sa démarche, par sa voix, par sa mimique, par son écriture, par sa force, par son acuité sensorielle et par ses attitudes organiques viscérales [OTTOLENGHI, 1910]. Avec beaucoup de détails, il analyse cette partie du signalement qu’il appelle « signalement descriptif fonctionnel » et montre qu’en plus de l’observation de l’anatomie, celle de la physiologie peut contribuer à l’identification d’une personne :

«Le signalement physique doit tenir compte de la propriété que l'individu a de parler, car le langage peut offrir des caractéristiques de sa personnalité très importantes et faciles à relever. Pour comprendre les caractères du langage, il faut en connaître les mécanismes de formation. On ne doit pas s'occuper ici du contenu du langage, mais de la formation des mots et de leur émission.

Nous parlons surtout, car nous entendons. C'est-à-dire que des sons parviennent à notre ouïe. Ils sont récoltés alors par notre organe auditif, puis transmis au centre cortical (première circonvolution temporale) où s'accumulent ces images acoustiques. Quand on parle, on répète en fait des sons que l'on a entendus une fois (le sourd-muet ne parle pas, car il n'entend pas). Et qui a parlé et perd la faculté d'entendre, perd nécessairement la faculté de parler.

Il n'est pas suffisant d'entendre, il faut former le mot et le prononcer. La formation de la parole est un mécanisme qui se met en place grâce à la participation du centre psychomoteur de Broca, qui se trouve à la base de la troisième circonvolution frontale et des zones psychomotrices adjacentes. Il s'agit de l'évocation des images verbales sensorielles accumulées dans les centres psychosensoriels, en particulier dans le centre auditif, et dans la formation des images motrices relatives. La parole formée dans le centre cortical est transformée en acte moteur à travers les systèmes centraux et périphériques qui sont responsables de la coordination des mouvements phonatoires. Cette transmission se fait au moyen du système nerveux moteur, localisé entre les centres corticaux et les muscles destinés à l'articulation de la parole. Il s'ensuit la formation et l'émission des sons dans les systèmes phonatoires externes : larynx, pharynx, bouche et nez. Pour étudier les fonctions essentiellement motrices, il faut s'occuper seulement du mécanisme intrinsèque de la parole, c'est-à-dire de la manière avec laquelle l'individu émet des sons vocaux (phonation), de celle dont il prononce les mots et de celle dont il les articule (articulation). On

s'occupera des autres fonctions du langage dans les examens psychologiques » [OTTOLENGHI,

PARTIE II: RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE CHAPITRE IV : APPROCHE AUDITIVE 59

L’auteur mentionne que la production de la parole est le résultat des deux fonctions mécaniques de base que sont la phonation et l’articulation et, comme BERTILLON, fait la distinction entre analyse de la voix et analyse du langage. Sa description de la voix est beaucoup plus fouillée que celle de BERTILLON, car elle fait référence à de nombreuses connaissances médicales, qui rappellent l’origine professionnelle d’OTTOLENGHI :

«De la voix, il faut considérer le volume ou la force, la hauteur du son ou le ton, la qualité du son ou le timbre, l'agilité, le type et l'intonation. Selon la force, la voix peut être forte, moyenne ou faible. Elle peut, dans des cas exceptionnellement morbides, être très forte, très faible ou manquer (pseudo-mutisme ou aphonie). L'aphonie peut être temporaire ; c’est le cas des hystériques, qui peuvent tout à coup perdre la voix.

Selon la hauteur ou le ton, la voix peut être plus ou moins haute ou plus ou moins basse. Selon le son, on distingue la voix ordinaire, la voix nasale et la voix gutturale (un peu rauque). Certaines voix ont le caractère de véritables marques personnelles, car elles contiennent des sons spéciaux qui dépendent de différentes causes, par exemple la voix stridente des tuberculeux, qui ont des processus maladifs à la muqueuse du larynx, la voix toute spéciale, presque aphone, de ceux qui ont le bec de lièvre, la gorge de loup, la paralysie du vélus palatal pendant, des maladies ou des déformations de la cavité nasopharyngale.

Selon le timbre, la voix peut être plus ou moins claire, rugueuse ou stridente ; selon la malléabilité ou l’agilité, elle peut être agile, fluide ou tremblante. Le type ou la qualité de la voix peut varier selon l'âge ou le sexe. On parlera de voix infantile, sénile, de voix masculine ou féminine. Les caractères distinguant ces divers types de voix sont trop connus pour être décrits. Le type de voix spéciale de l'eunuque complète le type eunuchoïde déjà décrit. Des variations très exceptionnelles se retrouvent seulement dans certains types d'aliénation mentale dans lesquels la voix perd son type humain : émission de cris plus ou moins aigus, de hurlements comme des vaches mugissantes, de grognements, de miaulements, de bêlements ou d’aboiements.

L'intonation de la voix varie selon le renforcement ou l'abaissement de la voix, la modulation selon l'accentuation des syllabes, les pauses, le ton différent, la cadence et la rapidité. La voix peut souvent changer de force, elle peut passer d'un excès à l'autre. La phrase peut être plus ou moins modulée, afin d’être harmonieuse ou rugueuse, uniforme ou non. L’accentuation des syllabes peut être normale, absente, exagérée, ce qui équivaut à souligner certains mots dans l'écriture. Les pauses entre un mot et l'autre peuvent être uniformes ou non, proportionnées ou pas. Le ton peut être varié, il peut être exalté, déprimé ou ordinaire. La cadence peut être plus ou moins soutenue, musicale ou monotone. Selon la rapidité de la phonation les mots se

suivent, rapides ou lents » [OTTOLENGHI, 1910].

OTTOLENGHI met déjà en évidence certaines causes de la variabilité du signal de parole,

qu’elle soient dues au locuteur, comme l’âge ou le sexe, ou au message lui-même, comme le ton ou l’accentuation. Il met aussi en évidence la valeur informative des silences et établit une première comparaison entre le signal de parole et l’écriture.

Dans la suite de sa description, il énumère toutes sortes de défauts de prononciation et d’articulation et les maladies ou malformations qui leur sont liées. La plupart ne sont cependant plus d’actualité. Les observations d’OTTOLENGHI sur les handicaps cérébro-moteurs illustrent par

contre la difficulté à appréhender les mécanismes de production de la parole qui, aujourd’hui, restent encore en grande partie à découvrir :

«On ne peut pas se désintéresser des altérations de la formation de la parole, qui dépendent de lésions des centres mnémoniques du cortex et qui peuvent fournir des caractéristiques personnelles très utiles. Ces lésions s'appellent dysphasies et consistent dans la perte de la parole ou dans le fait que les images verbales deviennent floues. Parmi ces dysphasies, l'aphasie motrice est très intéressante : l'individu veut commencer à parler spontanément ou répéter des mots dits par autrui, mais il ne peut que partiellement ou pas du tout s’exprimer. Il intervertit une syllabe ou un mot, car le mécanisme d'évocation des images motrices de la parole est défectueux. Parfois, ce défaut est limité à quelques mots, par exemple aux noms. Il se peut que la formation de la parole soit très simple ; par conséquent elle est émise impulsivement avec précipitation et on aura le contraire de l'aphasie, c’est-à-dire la loquacité exagérée qui s'appelle soliloque ou logorrhée. On peut avoir la répétition insistante de certains mots, ce qui s'appelle

écholalie, ou de certains noms (onomatopée) ou de nombres (arithmomanie) » [OTTOLENGHI,

1910].