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Évaluation de rapports de vraisemblance

Annexe V. Code de procédure de l’International Association for Forensic Phonetics (IAFP)

II. L A VOIX COMME INDICE MATERIEL

3.5. Inférence de l’identité d'un locuteur

3.5.4. Évaluation de rapports de vraisemblance

L’analyse des méthodes précédentes montre que l’inférence de l’identité d’un locuteur à partir d’un élément de preuve fourni par l’analyse de la voix ne peut être envisagée d’un point de vue déterministe par l’expert, en termes de culpabilité ou d’innocence. Le rôle du scientifique se borne à établir la vraisemblance de l’élément de preuve en cas d’identité ou de non-identité de la personne mise en cause.

3.5.4.1. Définition

Cette approche par évaluation des rapports de vraisemblance prend sa source dans le théorème de Bayes. Par rapport à la statistique classique, le point de vue bayésien se distingue notamment par la prise en considération des probabilités a priori des hypothèses vérifiées. Ainsi le niveau de signification, la probabilité du premier type d’erreur fixé habituellement à une valeur faible (cinq ou un pour cent), est en réalité dans l’interprétation bayésienne, fonction à la fois de la probabilité subjective qu’on attribue au premier type d’erreur et du coût de l’erreur qu’on accepte de courir [MATALON, 1967].

3.5.4.2. Exemple

« Un joueur se demande si son adversaire triche. Il ne dispose d’aucune preuve parfaitement convaincante, mais seulement d’un certain nombre d’indices : l’adversaire a l’air louche, il a gagné huit parties sur dix, etc. Aucun de ces indices n’est suffisant : un joueur honnête peut parfaitement « avoir de la chance » et gagner souvent. Quant à l’air louche, c’est une question d’appréciation. Supposons qu’on puisse évaluer la probabilité conditionnelle qu’un joueur gagne huit parties sur dix, s’il triche ; on peut raisonnablement penser qu’elle est assez élevée. Mais cela ne nous suffit pas pour l’accuser ; ce qu’il nous faudrait, pour être en mesure de tirer une conclusion inverse, c’est la probabilité conditionnelle inverse, la probabilité pour qu’un

individu triche, sachant qu’il a gagné huit parties sur dix » [MATALON, 1967].

3.5.4.3. La notion de probabilité a priori

Le problème a été abordé sous cette forme à la fin du XVIIIe siècle par le Révérend Thomas

Bayes (702 – 1752), qui a cherché à calculer la « probabilité des hypothèses », et le théorème qui porte son nom nous donne cette probabilité. Sa démonstration à partir des axiomes ne soulève aucune difficulté et son application n’exige que des calculs simples. Toutefois la formule présente une caractéristique essentielle : elle nous indique que si l’on veut être en mesure de calculer la

PARTIE I : APPROCHE THEORIQUE CHAPITRE III : MERTHODOLOGIE 45

probabilité pour qu’un joueur ait triché, sachant qu’il a gagné huit fois sur dix et qu’un tricheur gagne avec une probabilité de quatre-vingt-dix pour cent, il est indispensable en plus d’avoir une idée a priori sur la probabilité de tricher, avant de disposer d’aucun indice. En d’autres termes, le théorème de Bayes ne permet pas de se faire une opinion à partir des indices uniquement, mais indique simplement comment notre jugement préalable doit être modifié par le rapport de vraisemblance ou Likelihood Ratio (LR), calculé à partir de ces indices [MATALON, 1967].

3.5.4.4. Application forensique

3.5.4.4.1. Principe

L’application du théorème de Bayes au problème juridique pénal a été initiée par KAPLAN

[KAPLAN, 1968 IN : KWAN, 1977]. Elle a ensuite été développée par FINKELSTEIN ET FAIRLEY, suite

aux problèmes d'interprétation des données chiffrées liées aux différents éléments de preuve, dans l'affaire People v Collins 25 [FINKELSTEIN ET FAIRLEY, 1970].

L'utilisation de ce théorème permet de faire évoluer un rapport de probabilité a priori de deux hypothèses compétitives, H1 et H2, vers un rapport de probabilité a posteriori de ces deux

hypothèses, après l'analyse d’un indice matériel X et d'un échantillon de comparaison provenant d’une source Y. H1 représente l’hypothèse que la personne mise en cause Y est la source de l’indice

matériel X, alors que H2 représente l’hypothèse que la personne mise en cause Y n’est pas la source

de cet indice matériel X ; par définition les hypothèses H1 et H2 sont mutuellement exclusives.

L’élément de preuve E est le résultat de l’analyse comparative des caractéristiques x de l’indice matériel X avec les caractéristiques y de l’échantillon de comparaison de la source Y. La vraisemblance de E est estimée, d’une part lorsque l’hypothèse H1 est vérifiée et d’autre part

lorsque l’hypothèse H2 est vérifiée. Le rapport entre ces deux vraisemblances, likelihood ratio (LR),

est le résultat du calcul de la valeur numérique qui permet de faire évoluer le rapport de probabilité a priori vers le rapport de probabilité a posteriori.

3.5.4.4.2. Formalisation

P (H1) Représente la probabilité que l’hypothèse « Y est la source de l’indice matériel X »

soit vérifiée, avant l’analyse de x et y.

P (H2) Représente la probabilité que l’hypothèse « Y n’est pas la source de l’indice

matériel X » soit vérifiée, avant l’analyse de x et y.

P H P H 1 2

( )

( )

Représente le rapport de probabilité a priori des deux hypothèses compétitives H1

et H2, avant l’analyse de x et y.

P (H1|E) Représente la probabilité que l’hypothèse « Y est la source de l’indice matériel X »

soit vérifiée, après l’analyse de x et y.

P (H2|E) Représente la probabilité que l’hypothèse « Y n’est pas la source de l’indice

matériel X » soit vérifiée, après l’analyse de x et y.

P H E P H E 1 2 | |

(

)

(

)

Représente le rapport de probabilité a posteriori des deux hypothèses compétitives H1 et H2, après l’analyse de x et y. P E H P E H 1 2

( )

( )

Représente le rapport de vraisemblance, likelihood ratio (LR), mis en évidence entre le rapport de probabilité a priori et le rapport de probabilité a posteriori.

P H P H P H E P H E multiplié par LR 1 2 1 2

( )

( )

→

((

))

Rapport de probabilité a priori

LR P E H P E H

=

(

)

(

21

)

Rapport de probabilité a posteriori

Tableau III.1. Schématisation du processus d’inférence de l’identité en sciences forensiques par évaluation de

rapports de vraisemblance [CHAMPOD ET TARONI, 1994 ; ROBERTSON ET VIGNAUX, 1995].

3.5.4.4.3. Approches discrète et continue pour l’évaluation de rapports de vraisemblance

La formulation de la méthode d’évaluation de rapports de vraisemblance développée par

FINKELSTEINET FAIRLEY diffère toutefois de celle initiée par KAPLAN. La probabilité a priori que la

personne mise en cause soit la source de l’indice matériel, P (H1), définie par KAPLAN, est

équivalente à la prior probability de FINKELSTEINET FAIRLEY. Par contre la posterior probability de

FINKELSTEINET FAIRLEY ne correspond pas à la probabilité a posteriori que la personne mise en

cause soit la source de l’indice matériel, P (H1|E), définie par KAPLAN [KAPLAN, 1968 IN :KWAN,

1977 ; FINKELSTEIN ET FAIRLEY, 1970 ; KWAN, 1977]. En effet, la probabilité a posteriori, P (H1|E),

définie par KAPLAN, représente la probabilité d’observer les caractéristiques x et y dans le cas où l’hypothèse H1 est vérifiée, alors que la posterior probability, P (H1|E) de FINKELSTEIN et FAIRLEY,

représente la probabilité d’une non-discrimination des caractéristiques x et y, en anglais match, dans le cas ou l’hypothèse H1 est vérifiée [KAPLAN, 1968 IN :KWAN, 1977 ; FINKELSTEIN ET FAIRLEY,

1970 ; KWAN, 1977].

FINKELSTEIN et FAIRLEY considèrent donc que l’analyse comparative des caractéristiques x et

y aboutit à une décision binaire de discrimination ou de non-discrimination, en anglais match ou

non match, accessible aux méthodes quantitatives non paramétriques d’inférence que sont les tests

statistiques de signification de type t-test de Student, test de rang et test de χ2. Cette approche peut

être qualifiée de discrète puisqu’en cas de correspondance, P (H1|E) = 1. L’approche de KAPLAN,

par contre, peut être considérée comme continue car en cas de correspondance P (H1|E) ≤ 1

[KWAN, 1977].

En conséquence, la formulation de FINKELSTEIN ET FAIRLEY ne se préoccupe pas de la question de l’intravariabilité de la source pour des raisons de simplicité. Cependant cette

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simplification implique des limitations propres aux approches discrètes, souvent mises en évidence, comme le calcul des taux d’erreur de type I et de type II, lié à toute décision binaire, ou le « fall of the cliff effect », phénomène décrit par Ken Smalldon [FINKELSTEIN ET FAIRLEY, 1970 ;

LINDLEY, 1977 ; AITKEN, 1995 ; EVETT ET BUCKLETON, 1996 ; CURRANET AL., 2000].

La formulation de KAPLAN ne souffre pas de ces limitations car, dans l’approche continue,

l’intravariabilité de la source Y et l’intervariabilité de l’indice X sont prises en considération pour l’évaluation du rapport de vraisemblance de l'élément de preuve E. Dans le cas où l’intravariabilité et l’intervariabilité sont équivalentes, les probabilités associées à H1 et à H2 sont égales et le rapport

de vraisemblance vaut 1.

3.5.4.4.4. Conséquences de l’adoption de l’approche par évaluation de rapports de vraisemblance

KAPLAN, ainsi que FINKELSTEIN et FAIRLEY s’accordent pour proposer que la cour soit libre de

fixer la valeur de la probabilité a priori [KAPLAN, 1968 IN :KWAN, 1977 ; FINKELSTEIN ET FAIRLEY,

1970]. En 1977, LINDLEY formalise ce point de vue : La preuve devrait être présentée au jury sous la forme de déposition au sujet des éléments matériels, X et Y, ainsi que du rapport de vraisemblance qui peut en être déduit. La cour s’appuie sur ce rapport de vraisemblance pour diminuer son incertitude et déterminer le rapport de probabilité a posteriori et, delà, la décision d’innocence ou de culpabilité. L’élément de preuve est le travail du témoin, de l’expert ou du scientifique, la décision finale celui du tribunal. Cet auteur soutient que la tâche du scientifique est de déterminer ce que l’élément de preuve signifie en cas de culpabilité et ce qu’il signifie en cas d’innocence [LINDLEY, 1977]. LINDLEY observe aussi l’indépendance de tout ce qui concerne le rapport de probabilité a

priori vis-à-vis du théorème de Bayes, avant que les éléments de preuve ne soient introduits. Cette

constatation est non seulement valable en sciences forensiques, mais aussi en général [LINDLEY, 1977].