• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Le public enfantin

2. Apprentissage du langage chez les enfants

En dehors des classes bilingues du LFIT, le lycée n’a pas pour objectif principal de former des élèves bilingues. Même si les langues occupent une place centrale dans l’établissement, l’enseigne- ment conduit est un enseignement immersif qui vise la réussite de la scolarité en français. Néanmoins, le soutien en FLSco se propose comme un moyen d’améliorer les compétences langagières en français des élèves qui n’ont pas le français comme langue première. C’est pourquoi je rappellerai les étapes du développement langagier chez les jeunes enfants pour ensuite détailler les différentes approches à considérer dans l’enseignement d’une deuxième langue.

2.1. Le développement langagier

Le développement du langage chez le jeune enfant se construit par les interactions qu’il a avec les autres. Vanthier (2009) rappelle, en citant Bruner, les trois grandes étapes par lesquelles un enfant acquiert le langage : la communication prélinguistique, le langage d’action et le langage d’évocation.

La communication prélinguistique (au cours de la première année) est une étape qui symbolise le moment où le langage s’installe entre l’enfant et ses adultes référents (les parents) avant même que l’enfant ne prononce ses premiers mots. Ce langage correspond à ce que Bruner appelle des « formats d’interaction » et qui représentent des schémas rituels d’interaction (souvent de petits jeux ritualisées) qui s’installent entre l’enfant et ses parents.

Le langage d’action (à partir de la deuxième année), quant à lui, correspond à la période où l’en- fant utilise des mots (dont le nombre va en décuplant) dont le sens va largement dépendre du contexte dans lequel ils ont été prononcés. Ainsi le décodage du langage prendra fortement appui sur l’action ou l’évènement en cours.

Enfin, la dernière étape est celle du langage d’évocation (vers quatre ans). Elle marque le pas- sage au langage permettant d’évoquer des situations ou des évènements qui ne sont pas en train de se passer, c’est-à-dire le passage au récit. Il s’agit d’un langage décontextualisé pour lequel l’adulte servira de guide dans le but de produire des énoncés ordonnés et cohérents. En effet, jusqu’à environ six ans (c’est-à-dire jusqu’à leur entrée en élémentaire), beaucoup d’enfants éprouvent des difficultés à évoquer un évènement que leur interlocuteur ne connait pas. Ce n’est que lorsqu’il parviendra à se décentrer totalement et à prendre en compte le point de vue de son interlocuteur (au stade des opé- rations concrètes) qu’il sera en mesure d’utiliser, seul, un langage d’évocation approprié.

Le développement d’une langue seconde ne reprend pas ces étapes d’acquisition d’une pre- mière langue. Néanmoins, nous allons voir qu’il est important que la langue première soit suffisam- ment développée pour que l’apprentissage de la langue soit bénéfique.

2.2. L’importance de la langue première dans le cas d’un bilinguisme consécutif Pour la plupart des élèves bénéficiant du soutien en FLSco au LFIT, le français est une langue seconde qui n’est vécue qu’à l’école. Ainsi, contrairement à leur langue première qui a été apprise en milieu naturel, le français est appris en contexte scolaire uniquement. Ils développent ainsi un bilin- guisme précoce consécutif puisque l’apprentissage du français se fait pendant l’enfance et après l’ap- prentissage de la langue première (Hamers & Blanc, 1983).

Bien que les contextes d’acquisition de la langue première et de la langue seconde soient très différents, Vanthier (2009) rappelle que la langue première va servir de base à l’apprentissage de la langue seconde. De même, l’AEFE précise que la scolarisation en langue française ne pourra être pro- fitable aux élèves que si leurs compétences linguistiques en langue maternelle sont suffisamment con- solidées, notamment en ce qui concerne la capacité des enfants à utiliser le langage d’évocation dans leur langue maternelle (AEFE, 2006).

Pour étayer ces affirmations, on peut rappeler la théorie de Cummins (citée par Hamers et Blanc (1983)) selon laquelle le niveau langagier de la langue première (L1) a un impact direct sur la capacité à maitriser la langue seconde (L2). En effet, d’après le principe d’interdépendance, le développement de la L2 dépendrait de la compétence acquise en L1 au début de l’apprentissage de cette L2. Si un bon niveau est atteint en L1, alors l’apprentissage de la L2 pourra être efficace et atteindre un bon niveau de compétence, ce qui en outre augmentera les compétences en L1. Par contre, si, lors du début de l’apprentissage, la L1 n’était pas suffisamment maitrisée, alors la L2 ne pourrait pas être bien acquise et, pis, elle freinerait le développement de la L1 jusqu’à aller, dans le pire des cas, à un déficit dévelop- pemental cognitif.

Il est donc important que la langue première des élèves soit favorisée afin de permettre une acquisition bénéfique, sur tous les niveaux, du français. On peut donc saluer l’effort du LFIT de propo- ser des cours de japonais pour ses élèves. Cette mise en place ne peut qu’être un appui à l’apprentis- sage du français pour les élèves japonophones puisqu’elle permet de solidifier le développement de la L1 de ces élèves.

2.3. Les différentes approches de l’enseignement des langues aux enfants

Nous venons de voir que l’apprentissage de la L1 et de la L2 ne suivaient pas les mêmes étapes de développement lors d’un bilinguisme consécutif. Nous allons voir maintenant quelles sont les dif- férentes approches à favoriser pour l’enseignement des langues étrangères aux enfants. Mais, avant de s’intéresser à l’enseignement des langues à proprement parler, rappelons que la spécificité du pu- blic enfantin est que, contrairement aux adultes, le développement cognitif des enfants n’est pas en- core terminé. Il est donc très important de prendre en compte, comme nous l’avons vu dans la partie précédente, ses étapes de développement mais également son avancement dans la scolarisation. Cela ne sert à rien de travailler sur les grands nombres avec des enfants qui ne sauraient compter que jusqu’à dix !

Selon Vanthier (2009), la pédagogie à privilégier pour un public enfantin est celle de la pédagogie de la tâche. Elle consiste à donner aux élèves des activités de manière à ce que la langue apprise se caractérise dans un contexte donné et pour un but donné. On remarquera qu’il s’agit précisément du principe préconisé par le CECR6 (Conseil de l'Europe, 2001), c’est-à-dire la perspective actionnelle. Mo- tivés par des tâches diverses, les élèves utiliseront et apprendront la langue comme un moyen qui permet d’atteindre un but qui est significatif pour eux. Or c’est bien là tout l’intérêt de maitriser une langue ! Ainsi, « [i]l importe de mettre le jeune élève en mesure d’accomplir des tâches complexes à l’aide de la langue ou à propos de la langue et pas seulement de réussir des tâches d’entrainement même si celles-ci sont indispensables » (Vanthier, 2009, p. 46).

Même si la pédagogie de la tâche doit être le moteur de l’enseignement, différentes approches peuvent être mises en place de manière complémentaire. Vanthier (2009) en cite plusieurs :

- l’approche plurisensorielle : il s’agit d’une approche faisant appel aux différentes perceptions. Ainsi, elle permet la rencontre entre les apprentissages langagiers et les apprentissages expé- rientiels tels que montrer, toucher, mimer, chanter, dessiner, etc.

- l’approche discursive : il s’agit d’une approche basée sur l’importance du contexte dans lequel les mots sont utilisés. Ainsi, il ne s’agit plus d’apprendre des listes de vocabulaire thématique

mais d’entrer en contact avec eux au travers des différents types de discours oraux ou écrits (expliquer, décrire, raconter, etc.) qu’il est possible de rencontrer dans les différents genres qui existent (comptines, histoires, recettes, etc.).

- l’approche ludique : le jeu a une place primordiale dans le développement de l’enfant. Il est motivant pour les élèves et permet de créer des situations de communication réelles où la nouvelle langue a toute sa place.

- l’approche interculturelle : cette approche met en avant les différentes cultures dans laquelle la langue française s’inscrit. Vanthier précise que les découvertes interculturelles nécessitent qu’il y ait une discussion et un partage de points de vue. Ainsi, selon le niveau des élèves, il sera intéressant de les mener en langue première.

- l’approche interdisciplinaire : cette approche permet de mettre en œuvre les démarches et activités cognitives des autres disciplines et ainsi de ne plus seulement apprendre le français mais également d’apprendre en français. Vanthier préconise les matières scientifiques, esthé- tique et d’éducation physique et sportive.

L’outil pédagogique que représente le jeu s’intègre parfaitement dans l’approche ludique. Nous verrons par la suite qu’il permet également de mettre en œuvre d’autres approches que celle-ci.

Ainsi en conclusion de cette partie sur le public enfantin, nous retiendrons deux principaux élé- ments. Premièrement, pour enseigner aux enfants, il est primordial de prendre en compte le fait que les enfants n’ont pas encore terminé leur processus de développement cognitif. Il faut donc prendre en compte ce qu’un enfant d’un tel âge est capable de faire ou non afin de se fixer des objectifs réali- sables. Deuxièmement, pour enseigner une langue aux enfants, il convient de faire en sorte que celle- ci fasse sens pour eux. Pour cela, varier les approches et privilégier une pédagogie de la tâche est essentiel. La pratique ludique parait être un bon outil pour le faire : elle permet d’ajuster ses objectifs selon le public et met en œuvre une approche ludique qui sort du cadre ordinaire de la classe.