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Apports du modèle interactif sous l’angle d’une lecture territoriale

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 135-138)

L’entreprise ethnique à la lumière des nouvelles mobilités

I. LES MODÈLES D’INTERPRÉTATION DE L’ENTREPRISE ETHNIQUE : UNE LECTURE CRITIQUE

4. Apports du modèle interactif sous l’angle d’une lecture territoriale

Les travaux sur l’entreprise ethnique proposent deux séries d’explications à la mise en œuvre d’une entreprise : les structures d’opportunité et les ressources de groupe, ou ressources ethniques. Le modèle interactif reprend ces deux séries de facteurs, pour en conclure que l’entreprise résulte de leur interaction. Ce modèle présente un certain nombre d’avantages. Tout d’abord, d’un strict point de vue de l’exposé, il permet d’éclairer précisément la façon dont différents facteurs interagissent dans la mise en œuvre d’une entreprise. Plus qu’un véritable modèle d’analyse, il s’agit donc, avant tout, d’un outil descriptif et méthodologique (Rath, Kloosterman, 2000).

D’autre part, le modèle interactif montre qu’il serait vain de se référer exclusivement à l’un ou autre des deux types de facteurs, mais qu’il convient plutôt d’adopter une approche dynamique permettant de comprendre pourquoi et comment les ressources ethniques sont mobilisées, dans quelle mesure et de quelle manière elles sont construites et influent sur les structures, qui elles-mêmes orientent les stratégies entrepreneuriales des migrants (Aldrich, Ward, Waldinger, 1990 ; Waldinger, 1989). L’entrepreneuriat migrant devient un phénomène en perpétuelle évolution, résultant d’une série d’interactions entre demande et offre, structure et ressources. Le modèle interactif permet de comprendre que, d’une part, la propension socio-culturelle n’est pas importée du pays d’origine, mais plutôt réactive ou situationnelle (Waldinger, 1994, 50) ; d’autre part, que les acteurs font preuve d’une capacité à transformer les structures :les entrepreneurs ne répondent pas uniquement à des structures d’opportunités statiques, ils sont capables de les changer et de les forger à travers un comportement innovant et en créant des opportunités qui jusqu’ici n’existaient pas (Rath, Kloosterman, 2001, 4).

Bien entendu, cette capacité est limitée et les changements impulsés par les entrepreneurs peuvent être infimes. On compte peu de pionniers et beaucoup de suivants, et l’entrepreneur innovant du type défini par Joseph Schumpeter constitue la minorité parmi la masse (Rath, Kloosterman, 2001). Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer la capacité de l’entrepreneur migrant, à travers les ressources dont il fait preuve, d’influer sur les structures. Un exemple particulièrement révélateur de la relation entre acteurs et structures est celui de la relation réciproque existant entre les membres de la diaspora chinoise et les mesures économiques prises par le gouvernement chinois. Les travaux de Carine Guerrassimof ont montré l’influence des entrepreneurs de la diaspora sur la constitution de zones économiques spéciales en Chine et en retour, celle de l’institution de ces ZES sur les stratégies entrepreneuriales des Chinois d’outre-mer (Guerrassimof, 1997). Autre exemple, ici à une échelle locale : Ivan Light montre la participation toujours plus importante des entrepreneurs coréens de l’immobilier à la machine de la croissance urbaine à Los Angeles.

Ces derniers contribuent à la formation de ce qu’il nomme une véritable enclave géographique coréenne, Koreatown. En investissant dans la production immobilière, les constructeurs coréens encouragent la venue de nouveaux arrivants coréens à Koreatown, tandis que ce flux favorise, en retour, l’émergence de nouvelles opportunités pour les constructeurs immobiliers (Light, 2002).

Cette remarque a des conséquences méthodologiques. Il est difficile en effet de délimiter clairement la part des structures et celles des ressources, dans la mesure où les structures sont en constante redéfinition, notamment sous l’impulsion des initiatives des migrants.

Ainsi, l’usage que nous ferons dans ce travail de l’approche interactive cherchera à aborder les deux phénomènes et à les distinguer dans la mesure du possible, tout en gardant à l’esprit que la distinction entre structures et actions des individus sur les structures est artificielle, et même parfois impossible à effectuer.

En réalité, comme il a été dit plus haut, le modèle interactif se raccroche à un débat plus général concernant les relations entre structure et sujet dans la société, et tente d’y

répondre en s’attachant au caractère processuel des situations. Ce faisant, il s’inspire plus ou moins directement de la théorie de la structuration d’Anthony Giddens, dans laquelle celui-ci affirme que les propriétés structurelles des systèmes sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les agents qui font partie de ces systèmes (1987, 15 ; voir aussi Aldrich, Ward, Waldinger, 1990).

On retrouve la référence à A. Giddens dans les travaux de K. B. Chan et J. H. Ong, qui écrivent à ce sujet : les recherches sur l’entrepreneuriat migrant montrent, entre autres, comment l’ethnicité peut être et a été utilisée par certains, sinon par tous. Le migrant, en tant qu’individu et en tant que membre d’un groupe, s’engage dans ce que Giddens appelle une dialectique du contrôle, engagée avec l’histoire et avec la structure sociale. Par cette expression, Giddens souligne la capacité du faible, (la compétence de l’agent) à utiliser sa faiblesse contre le pouvoir ou la majorité compacte. Ce qui émerge est donc une image de l’immigrant entrepreneur qui improvise sans cesse, innove et met en place des stratégies dans le contexte d’une dialectique du contrôle incessante entre histoire, personnalité du migrant, ethnicité, race, genre, classe et structure sociale. Cette conception a pour idée centrale une vision des stratégies ethniques comme des phénomènes changeants, dynamiques, émergents, et de nature sociale et collective (Ong, Chan, 1995, 525 ; voir aussi Joseph, ed, 1987).

La théorie de la structuration insiste sur la relation dialectique entre sujet et structure, pour tenter de dépasser le débat entre structuralistes et partisans de l’individualisme méthodologique. Elle met en évidence la capacité d’individus dotés de réflexivité à transformer les structures, à travers la notion de dualité du structurel, qui montre comment les agents sociaux sont dépendants des structures pour réaliser leurs buts, mais en même temps combien c’est à travers les actions collectives et individuelles que ces structures sont reproduites ou transformées. Cette théorie, qui a été reprise par de nombreux géographes dans le cadre de l’analyse des processus socio-spatiaux, peut présenter une utilité dans le cadre d’une lecture territoriale des phénomènes d’entrepreneuriat migrant, au-delà des nombreuses critiques dont elle a fait l’objet57. Elle permet de revenir à la question de la relation dialectique entre structures spatiales et acteurs, évoquée dans l’introduction de cette thèse. Les acteurs sont à la fois influencés par les structures spatiales, mais en retour ils contribuent à leur organisation et à leur transformation. Replacée dans le contexte de l’entreprise migrante, la référence à la théorie de la structuration permet de souligner le

57 Cette théorie était très à la mode à la fin des années 80, au même moment où se développaient les travaux sur l’ethnic business. Elle a ensuite été très critiquée, notamment pour son éclectisme. Elle est cependant toujours utilisée par certains géographes. Sur l’application de la théorie de la structuration en géographie, on peut se référer aux travaux de Nicholas Etrikin (2001), Steve Herbert (2000) et Robert David Sack (1997) ; Voir également le commentaire de J-F Staszak sur l’utilité de la théorie de la structuration en géographie (Staszak et al., 2001). Voir aussi Eward W. Soja (2001), pour une approche critique ainsi que la définition de Derek Gregory (2000), dans le Dictionnary of Human Geography. A. Giddens développait lui-même sa théorie dans une optique géographique, en s’appuyant notamment sur les travaux des géographes suédois comme Hägerstrand (Giddens, 1987). Voir, à ce sujet l’article « Time geography » dans leDictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy, Lussault, 2003). Pour une application de la théorie de la structuration aux études migratoires voir Goss, Lindquist, 1995.

caractère processuel et dynamique de la construction des territoires de l’entrepreneuriat migrant. Lue sous cet angle, l’approche interactive replace l’étude des phénomènes d’entrepreneuriat ethnique dans une perspective territoriale, alors que certains travaux semblaient avoir exclu les structures spatiales de leurs explications. En ce sens, elle sera utile quand il s’agira de retracer la formation d’une place marchande, entre structures socio-spatiales et initiatives des entrepreneurs migrants.

De plus, la théorie de la structuration permet d’insister sur une notion centrale, celle de stratégie dont font preuve les acteurs dans la transformation des structures. L’analyse des conduites stratégiques permet en effet, selon Anthony Giddens, de mettre entre parenthèses les institutions envisagées sous l’angle de leur reproduction sociale pour examiner plutôt comment les acteurs contrôlent de façon réflexive ce qu’ils font, et comment ils utilisent des règles et des ressources dans la constitution de l’interaction (1987, 439). Elle permet de mettre en évidence la part d’initiative des individus.

Dans notre travail, cette notion de stratégie sera utilisée pour faire référence à un ensemble de processus, parfois contradictoires, plus ou moins rationnels, et qui ne se solde pas nécessairement par une réussite du projet social. Cette notion, prise au sens large du terme, permet aussi bien de s’intéresser aux compétences déployées dans le court terme des situations d’échange, aux jeux d’acteurs au quotidien (tactiquesou ruses dans le langage de Michel de Certeau) ; qu’au temps plus ou moins durable des alliances économiques ; ou encore au temps long des trajectoires socio-spatiales.

II. L’ENTREPRISE MIGRANTE À L’ÉPREUVE DES NOUVELLES

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 135-138)

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