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2.2 Systèmes de microfluidique digitale basés sur EWOD

2.2.2 Applications

Les travaux initiés par Bruno Berge ont rapidement été valorisés, en particulier par la création de la société Varioptic dans lequel le phénomène EWOD est exploité pour réaliser des lentilles optiques fluidiques. Ici le rayon de courbure du ménisque de liquide est modulé par application d’un potentiel électrique, permettant de réaliser des lentilles opto-fluidiques présentant des pro-priétés intéressantes en termes de robustesse, de coût de fabrication ou de modulation [108]. Ces travaux ont également été repris par la société Philips [109], et intégrés dans des dispositifs variés tels que des smartphones, caméras dentaires ou scanners à code barre.

Dans de tels systèmes de lentilles à focales variables exploitant le phénomène d’électro-mouillage, deux liquides non miscibles et à différents indices de réfraction (une solution aqueuse à un indice de réfraction typiquement environ n= 1,3 et un isolant tel qu’une huile à n= 1,6) sont contenus dans une cellule fermée. Les parois latérales de la cellule sont constituées d’une électrode revêtue d’un diélectrique et d’une couche hydrophobe, généralement un fluoropolymère. L’interface liquide-huile constitue une lentille optique dont la convergence est ajustable grâce aux changements du rayon de courbure du ménisque à l’interface des deux milieux en tirant profit de l’actionnement par EWOD. À une tension nulle et compte tenu du fait que les parois latérales de la cellule sont hydrophobes, l’angle de contact initial formé par le liquide avec les parois est élevé (figure 2.5(a)), résultant en un ménisque convexe et la création d’une lentille divergente. À l’application d’une tension entre le liquide et les électrodes (figure 2.5(b)), le liquide mouille les

parois latérales entrainant la modification de rayon de courbure du ménisque qui devient concave, ce qui conduit à une lentille convergente.

Figure2.5 – Schéma illustrant le principe d’un système de lentilles à focales variables exploitant le phénomène d’électromouillage. Figure extraite de [109].

En comparant avec les systèmes optiques traditionnels, l’ajustement focal des lentilles fonc-tionnant sur ce principe s’affranchit des grandes pièces mobiles utilisées dans le processus de foca-lisation de lentilles classiques. De plus, la miniaturisation de ces lentilles les rend particulièrement intéressantes pour la téléphonie mobile où elles sont utilisées depuis 2010 dans la stabilisation optique des appareils photo intégrés1. Le phénomène EWOD a également été exploité dans les micro-prismes à électromouillage en opto-fluidique [110,111]. Le principe de fonctionnement est le même que dans les lentilles à focale variable, cependant, les tensions appliquées aux parois opposées sont commandées indépendamment (notées VL et VR sur la figure 2.6.a), de sorte que différents angles de contact sont formés (✓Let ✓R) sur les deux cotés des parois de la cellule. En ajustant ainsi les tensions appliquées de telle sorte que ✓L+ ✓R = 180°, cela permet de mainte-nir le ménisque du liquide à plat et un prisme variable est ainsi créé. Ces micro-prismes à base EWOD peuvent être intégrés sous forme matricielle (figure 2.6.b) et les plus grandes matrices conçues à ce jour peuvent atteindre jusqu’à 1500 unités de dimension, chaque cellule possédant une dimension caractéristique de l’ordre de 150 µm [112].

Figure 2.6 – (a) Schéma de réseaux de micro-prismes exploitant le phénomène EWOD, (b) photographie de matrices de micro-prismes. Figure extraite de [111].

Enfin, dans le domaine de l’affichage, et faisant écho aux travaux précurseurs de G. Beni et S. Hackwood [103], de nouvelles tentatives d’utilisation de la microfluidique digitale par action-nement EWOD ont été effectuées. Ainsi, un premier dispositif d’affichage utilisant l’EWOD a vu le jour en 2003 [113], dont le principe est donné à la figure2.7. Il est constitué d’un substrat de couleur blanche revêtu d’un réseau d’électrodes transparentes. Chaque électrode représente

un pixel, recouvert d’un diélectrique hydrophobe et contenant de l’eau et une huile colorée. Ces gouttes d’huile colorées sont déplacées sur chaque d’électrode par électromouillage. À une tension nulle (off-state) (figure 2.7.a), l’huile mouille la couche hydrophobe préférentiellement et forme ainsi un film continu. La couleur du pixel apparait donc colorée de même couleur que celle de l’huile. Lors de l’application d’une tension entre l’eau et l’électrode (figure2.7.b), l’eau commence à mouiller la base et déplace ainsi l’huile d’un coté du pixel en formant un petit spot de taille négligeable par rapport à la taille de l’électrode, de sorte que le pixel apparait de la couleur du substrat (figure2.7.b).

Figure 2.7 – Schéma de principe d’affichage par électromouillage. Figure extraite de [113]. Si les applications dans le domaine de l’optique ont rapidement été proposées et valorisées, la technologie EWOD, de par sa capacité à manipuler de petits volumes de fluides par application de potentiels électriques, a également rapidement été envisagée pour des applications de type Lab on a chip [58,114,57].

Le concept proposé à cet effet consiste à utiliser une matrice d’électrodes à la surface d’un substrat, matrice recouverte par un matériau diélectrique et un traitement hydrophobe. Ces électrodes sont activées de façon programmable, et permettent sous certaines conditions de créer des gouttes, de les déplacer, de les coalescer ou de les séparer de façon rapide et reproductible, permettant ainsi de reproduire les étapes classiques de manipulation d’échantillons telles que présentes en biologie ou en chimie.

Le déplacement des gouttes peut être interprété en reprenant l’équation 2.4 qui peut être réécrite sous la forme :

fEW OD= C

2V

2 = (cos ✓ cos ✓0) (2.5)

Prenons le cas d’une goutte disposée à cheval sur deux électrodes adjacentes dont une est actionnée : la force d’électromouillage notée fEW OD va alors agir sur la ligne de contact de la goutte située au dessus de l’électrode activée, tandis que la ligne de contact de la goutte au niveau de l’électrode non-activée sera uniquement soumise aux forces capillaires. Dans le cas d’un substrat hydrophobe, cette force capillaire sera orientée dans le même sens que la force d’électromouillage.

L’actionnement d’une électrode va entrainer un gradient apparent de mouillabilité entre les deux électrodes, qui va se traduire sous certaines conditions par un déplacement de la goutte.

Deux types de configurations sont à distinguer dans ce cas : (i) la configuration dite ouverte, dans laquelle la goutte se retrouve exposée à l’air, ou (ii) la configuration fermée, dans laquelle la goutte est alors prise en sandwich entre deux supports plans et parallèles. Chacune de ces configurations comporte plusieurs déclinaisons, dont les plus communes sont représentées à la figure2.8. Les configurations ouvertes, plus simples à mettre en œuvre, présentent l’inconvénient d’une évaporation rapide, d’une exposition des échantillons à l’air ambiant pouvant entrainer des contaminations, et d’une sensibilité accrue à l’horizontalité du système, l’ensemble de ces

inconvénients en faisant une solution peu adaptée à être déployée sur le terrain. Les configurations fermées, bien que plus complexes, offrent l’avantage de limiter les phénomènes d’évaporation, d’autant plus lorsqu’une phase d’huile est utilisée pour séparer les gouttes. Cette phase d’huile offre également l’avantage de diminuer la tension nécessaire au déplacement des gouttes. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés dans nos travaux à la configuration fermée telle que décrite sur la colonne de droite de la figure2.8, en utilisant une huile polydimethylsiloxane comme fluide de séparation entre les gouttes.

Différentes configurations d’électrodes sont également possibles dans les systèmes EWOD fermés pour appliquer les potentiels nécessaires au déplacement des gouttes, que ce soit des électrodes parallèles comme en (c), des électrodes coplanaires comme en (d), ou encore une électrode de masse enterrée comme sur figure (e). La configuration (c) est la plus répandue, et c’est celle qui sera retenue pour nos travaux.

Figure 2.8 – Configurations communément utilisées pour des puces EWOD. Sur la colonne de gauche, les configurations dites ouvertes, et sur la colonne de droite les configurations dites fermées.

Une séquence de déplacement typique est présentée à la figure2.9 dans le cas simplifié d’un système à deux électrodes adjacentes.

Figure2.9 – Séquence de déplacement d’une goutte dans la configuration fermée. En (a) la goutte est au repos, avec un angle de contact ✓0. En (b), l’électrode adjacente est activée, entrainant une modification de l’angle de contact apparent qui passe à une valeur ✓ < ✓0, ce qui conduit à un déplacement de la goutte sur l’électrode activée. En (c), une fois la goutte correctement positionnée, l’électrode est désactivée, et la goutte retrouve son angle de contact au repos ✓0.

La goutte forme initialement un angle de contact ✓0 (figure 2.9 (a)) avec les deux supports hydrophobes. Lors de l’application d’une tension aux bornes de la goutte, une déformation asy-métrique du ménisque de la goutte, un gradient apparent de mouillabilité se crée entre l’électrode activée et l’électrode non-activée, et une déformation asymétrique du ménisque de la goutte se produit (figure 2.9 (b)). La force d’électromouillage fEW OD créée sur la ligne de contact de la goutte avec l’électrode activée s’ajoute à la force de capillarité présente sur la ligne de contact de la goutte avec l’électrode inactivée, permettant un déplacement de la totalité du volume de la goutte vers l’électrode activée (figure 2.9(c)).

L’utilisation d’une matrice d’électrodes permet en utilisant le même principe de disposer d’une surface de déplacement des gouttes pour réaliser les opérations de déplacement, de mélange, de coalescence ou de séparation. La dispense de différents fluides physiologiques humains, tels que le sang, l’urine, la salive a été réalisée avec succès par cette configuration [114].

La création des gouttes nécessite une configuration d’électrodes ainsi qu’une séquence d’ac-tionnement particulières. La figure 2.10 illustre une séquence type de création de goutte. Les réservoirs sont remplis au préalable à l’aide d’une micropipette (a), puis une électrode en forme d’étoile est activée au centre du réservoir (b), afin d’amener le volume de liquide proche de la sortie du réservoir, délimitée par des parois verticales. Les trois électrodes présentes dans l’alignement de la sortie du réservoir sont alors actionnées (c), ce qui par l’effet de la force d’électromouillage entraine la création d’un doigt de liquide. Le doigt de liquide est alors étiré/pincé, en désactivant les électrodes présentes en son centre et en activant l’électrode de forme étoilée du réservoir (d). En maintenant ce pincement (e), le doigt de liquide finit par se couper, et une goutte est formée (f), prête à être déplacée pour les opérations suivantes.

Figure 2.10 – Séquence de création d’une goutte à partir d’un réservoir par l’actionnement successif d’électrodes sur une puce à électromouillage.