Chapitre V Implications des bactéries dans la santé des
V.I. 2 Aperçu morphologique des bactéries présentes dans les tissus et rôles potentiels
Figure 5.3 : Nombre de colonies (CFU, colony forming unit) poussant sur milieu TCBS (Vibrionaceae) par ml d’échantillon d’eau (identique à la Figure 5.4 mais sans les données de l’interface sédimentaire). Surface: eau de surface, supcolo: eau prélevée 1m au-‐dessus de la colonie échantillonnée (Pocillopora verrucosa; ACROP : Acropora globiceps), colo: eau prélevée entre les branches de la colonie. Cyanobactéries ("Cyanobacteria-‐like structures") et, 3) des bactéries "libres" (Tableau 5.2).
Tableau 5.2 : Types de bactéries retrouvés au sein des tissus coralliens, espèce corallienne hôte, état de santé de l'hôte, fréquence d'observation (estimation) et morphotypes bactériens associés. S : sain, B : blanchi, L : lysé, +/-‐ : peu fréquemment observé, + : assez fréquemment observé, ++ : très fréquemment observé.
V.I.2.a Agrégats bactériens
Des bactéries sous forme d’agrégats (inter-‐ ou intra-‐cellulaires) ont été observées chez des individus sains de l’espèce corallienne Pocillopora verrucosa (Figure 5.4). La taille des agrégats observés varie de 10 à 50 μm de diamètre, pouvant contenir jusqu'à plusieurs centaines de bactéries. Dans certains cas, les agrégats bactériens semblent délimités par une membrane (Figure 5.4 A-‐B). Dans d’autres cas, l'agrégat semble plutôt résulter d’une accumulation de bactéries entre les cellules épidermiques de l’hôte (Figure 5.4 C-‐D). Cependant, la structure de ces agrégats paraît en accord avec ce qui a été décrit chez l’anémone de mer Aiptasia pallida (Palincsar et al. 1989), chez le corail Acropora aspera (Ainsworth and Hoegh-‐Guldberg 2009) et chez le ver annélide pogonophore Riftia pachyptila de sources hydrothermales (Lechaire et al. 2002). Cependant, chez A. aspera, les agrégats étaient présents dans le gastroderme du corail; ce qui n’est pas le cas chez P. verrucosa. Par ailleurs, ce type d’agrégat n’a pas été observé dans nos échantillons de A. globiceps, P. rus ou P. damicornis. Le fait que ces agrégats bactériens aient été observés à diverses reprises uniquement chez des individus sains de l’espèce P. verrucosa, soulève la question de la raison de la présence et du rôle de ces bactéries.
D’autres types de bactéries ont également été retrouvées dans des zones de lyse tissulaire chez P. rus blanchi naturellement (Figure 5.4 E-‐F). En effet, l’internalisation de bactéries dans l’épiderme peut résulter d’une activité pathogène de ces bactéries et/ou d’une réaction du corail pour les isoler. L’isolement des bactéries permet de limiter la prolifération de celles-‐ci, ce qui permet de les conserver ou de les détruire (ou au moins de les séquestrer). Il pourrait s’agir d’un mécanisme de phagocytose pour une consommation future en cas de besoin ou d’un mécanisme de défense afin de détruire un pathogène éventuel. En effet, ce type d'agrégat (Figure 5.4 E-‐F) semble avoir un contenu hétérogène avec des bactéries intactes et des bactéries en dégradation (paroi bactérienne rompue), se vidant de leur contenu.
Dans ce cas, les bactéries seraient alors contenue dans un phagosome.
La forme des bactéries observées au sein de ces agrégats pourrait s'apparenter aux morphotypes bactériens des coques, bacilles ou coccobacilles.
Figure 5.4 : Vues en MET d'agrégats bactériens dans l'épiderme sain de Pocillopora verrucosa (A-‐D) et dans des zones de lyse tissulaire chez Porites rus (blanchi) (E-‐F). A : agrégat bactérien dans l'épiderme de P. verrucosa sain, B : zoom sur les bactéries de l'agrégat, C : agrégat bactérien dans un épiderme sain, D : zoom sur les bactéries de cet agrégat, E : agrégat bactérien dans les débris d’un épiderme de Porites rus, F : zoom sur les bactéries de E, les flèches indiquent la rupture de la paroi de la bactérie et la libération de son contenu. ab : agrégat bactérien, e : épiderme, b : bactérie, m : mésoglée, me : milieu extérieur.
10 !m 1 !m
10 !m 1 !m
A B
C D
ab
b b
b e
ab e
b b
b
2 !m 1 !m
E F
ab b
me
m
m
me
V.I.2.b "Cyanobacteria-‐like structures"
Par ailleurs, des structures apparentées à des Cyanobactéries ("Cyanobacteria-‐like structures", figure 5.5 A) ont été observées, en nombre parfois élevé, chez des individus sains et ainsi que chez des individus blanchis de P. verrucosa, P. damicornis et chez des individus blanchis de P. rus. Ces structures semblent d'ailleurs occuper plus d’espace chez les individus blanchis et se retrouvent aussi bien dans l’épiderme que dans le gastroderme (Figure 5.5 A-‐B). Lesser et al. (2004) ont décrit des structures similaires dans les cellules épithétiales du corail Montastraea cavernosa, capables de fixer l’azote (via marquage immunohistochimique de la nitrogénase). Plus tard, Kvennefors & Roff (2009) ont également mis en évidence de telles structures au sein de deux espèces d’Acropora tabulaires (A. hyacinthus et A.
cytherea). Dans cette seconde étude, tout comme au cours de nos observations, les auteurs ont constaté, à de nombreuses reprises, que ces structures étaient adjacentes à des zooxanthelles (Symbiodinium) au sein de la même cellule hôte, et retrouvées en densités importantes au sein du gastroderme. Nos observations confirment donc l’hypothèse que cette association serait plus répandue que présumé auparavant (Figure 5.5 B).
Les études citées ci-‐dessus suggèrent que ces cyanobacteria-‐like structures auraient un rôle dans la fixation de l’azote au sein du corail. Cependant, la forme en
“aiguille” des éléments internes de ces cellules peut faire penser à des éléments minéraux (dissous lors de la décalcification des échantillons). Certaines études (Urrutia and Beveridge 1994, Ehrlich 1999) soulignent le rôle des bactéries dans la formation de minéraux comme voie de détoxification, mais des études complémentaires sont nécessaires pour valider cette hypothèse.
Figure 5.5 : Vues en MET de structures s’apparentant à des bactéries (b) dans le gastroderme sain de Pocillopora verrucosa (A-‐B) et dans des zones de lyse tissulaire chez des individus blanchis (P. rus et Pocillopora damicornis) (C-‐F). A : "cyanobacteria-‐like structures" dans le gastroderme sain de P. verrucosa, B : "cyanobacteria-‐like structures" jointives à une zooxanthelle (contenant des granules d’apoptose ?) dans un individu blanchi, C : bactéries dans des débris tissulaires (indéterminés) de P. rus, D : zoom sur les bactéries de C, E : bactéries dans des débris de P. damicornis, suite à un stress thermique, F : zoom sur les bactéries de E. b : bactéries, cy : cyanobacteria-‐like structure, z : zooxanthelle.
500 nm
C D
F E
1 !m
5 !m
1 !m
b
b
b
b
5 !m 5 !m
z cy
cy
z
cy
cy
A B
cyV.I.2.c Bactéries "libres"
D’autres types de bactéries ont également été retrouvées dans des zones de lyse tissulaire chez P. rus blanchi naturellement (Figure 5.5 C-‐D) et chez P. damicornis blanchi expérimentalement par un stress thermique (Figure 5.5 E-‐F). Ces bactéries se trouvant dans des zones de lyse et donc dans des débris tissulaires, il est difficile de savoir si ces bactéries étaient internalisées dans les tissus (Figure 5.5 C) et sont responsables de cette lyse ou si elles constituent des agents secondaires, profitant de cette lyse pour coloniser ce nouveau substrat (Figure 5.5 E-‐F).
Ce type morphologique de bactéries s'apparenterait plutôt aux morphotypes de bacilles ou vibrions.
Ces trois grands types de bactéries sont donc repris dans le Tableau 5.2.
V.I.3 Caractérisation génétique des communautés bactériennes associées aux