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Pour bien comprendre ce qu’a dû être le gisement à l'origine, revenons un peu en arrière...

1/ - Des occupants...

Au Paléolithique la grotte a été occupée depuis l'Aurignacien ancien jusqu'au Magdalénien. Elle constitue la stratigraphie la plus complète de toute la vallée du Rhône et du Languedoc pour le Paléolithique supérieur. Elle a aussi fait l'objet d'une forte occupation au Néolithique et au Chalcolithique, notamment devant le porche. Les néolithiques ont d'ailleurs quelque peu "perforé" les niveaux paléolithiques par l'installation de plusieurs fosses (fig. 4).

À l'époque romaine sa proximité immédiate avec le Pont-du-Gard pendant le chantier de construction du fameux édifice a dû donner lieu à une occupation, dont on a cependant aucune idée.

Bien plus tard, Le Pont-du-Gard attira beaucoup de grands du monde. Au XVIe siècle, par exemple, on sait que Charles IX lors d’un voyage en Languedoc, le 12 décembre 1564, visita le Pont-du-Gard. Il était accompagné de la reine mère, Catherine de Médicis, du duc d’Anjou son frère, de Henri de Navarre (le futur Henri IV), des cardinaux de Bourbon et de Guise, du duc de Longueville, du connétable de Montmorency, du chancelier de l’Hospital et maréchal de Damville.

Après un dîner au château de Saint-Privat, non loin du Pont-du-Gard, le sieur de Crussol "feit apprester une belle collation de confitures au roy et à toute sa compagnie". Cette collation, à ce qu'on dit, leur fut présentée par de jolies jeunes filles du pays,

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La présence de l'habitat de plein-air de Fontgrasse, probable site d'abattage de gibier à 1,5 km de la

Salpêtrière, dans un vallon qui débouche précisément sur ce secteur, renforce l'hypothèse du passage régulier de troupeaux sur un axe migratoire nord-sud plus ou moins parallèle à la vallée du Rhône.

Chapitre II : Le Salpêtrien ancien - 1ère partie : La grotte de la Salpêtrière

57 complètement dénudées, cachées dans la grotte du Pont-du-Gard… (d’après l’association "les amis de l’aqueduc romain" à Vers).

Plus récemment, la grotte servait de halte aux bohémiens de passage comme en témoigne le grand tableau d'Alexandre-Marie Colin datant du début du XIXe siècle, conservé au Musée des Beaux-Arts de Nîmes. Ce tableau intitulé "Une halte de bohémiens au Pont du

Gard" représente plusieurs personnages nonchalamment installés à l'entrée de la cavité

obscure. Cette scène a inspiré de nombreuses gravures (fig. 6a).

Toujours au XIXe siècle, une tradition voulait que chaque lundi de Pâques se tienne une grande fête au Pont-du-Gard. Les gens des environs avaient l'habitude de venir en famille déguster l’omelette de Pâques au pied du célèbre pont.

Une fête foraine était également installée sur place, occasion de tous les heurts entre "pays" voisins. Mais surtout, on garde en souvenir le bal qui s'y tenait et ses grandes farandoles (fig. 6b) . Le lieu choisi était la terrasse devant la grotte. Le bal du lundi de pâques 1857 marqua les esprits à plus d'un titre et donna lieu à une gravure extraordinaire intitulée "Le bal sous la baume pendant l'orage" : 28 000 ans après les premiers aurignaciens, la grotte servait encore de refuge...

Un hôtel enfin fut construit non loin de la grotte. Il était tenu par un certain M. Labourel et le bâtiment est encore aujourd'hui désigné par ce nom. Un mur fut construit pour fermer la grotte. Elle faisait partie du domaine de l'hôtel et servit tour a tour de cave à vin, de hangar, de garage...

C'est dans ce dernier état que Max Escalon trouva la grotte en 1954. Ses fouilles, nécessitèrent le rebouchage des tranchées après chaque campagne afin de remettre en état le sol du garage. La grotte était pourtant classée Monument Historique depuis près de 25 ans...

2/ - Et des fouilleurs...

Paul Cazalis de Fondouce fut le premier à s'intéresser à la grotte de la Salpêtrière. Il y reconnut immédiatement "l'age du renne" appartenant plus précisément "aux types des Eyzies,

de Laugerie-Basse, de la Madelaine et de Bruniquel" (Cazalis de Fondouce 1872).

La grotte appartenait encore au domaine de Saint-Privat, château tenu par M. Calderon

"mon collègue à la société géologique de France. Je dois à sa bienveillance pour moi et à son zèle éclairé pour les intérêts de la science, la facilité que j'ai eue de faire à deux reprises différentes, des fouilles dans cette cavité". C'est donc un concours de circonstances qui a

donné la chance à Cazalis d'y définir ce que l'on n'appelait pas encore le Paléolithique supérieur.

Pour Cazalis, la grotte, le paysage avec en toile de fond les ruines de l'aqueduc ont encore une forte connotation romantique. Selon lui, la Salpêtrière "rappelle à première vue,

de la manière la plus frappante, les encorbellements de Laugerie, de la Madelaine et du château de Bruniquel" .

Il procèdera à des fouilles "contre la paroi de droite et sur le devant" et découvrira des objets de l’age du renne à 1m20 de profondeur sur 30 à 50 cm d’épaisseur. Cette fouille donna lieu à un magnifique volume accompagné de superbes gravures du matériel archéologique, parfois réhaussées de couleur.

Les fouilleurs furent ensuite nombreux. Paul Raymond, on le sait, vint gratouiller le sol de la grotte avant 1900.

Chapitre II : Le Salpêtrien ancien - 1ère partie : La grotte de la Salpêtrière

58 Le frère Sallustien (alias Siméon Lhermite) parfois accompagné du frère Savinien (alias Joseph Lhermite), frères des écoles chrétiennes d'Uzès et d'Avignon, a lui aussi fouillé dans la grotte avant 1898 (Sallustien 1898, 1899, Gimon 1922, 1924).

Il a touché le Salpêtrien, comme semble le montrer une photo publiée plus tard par Gabriel Carrière (Carrière 1912). D'ailleurs la description correspond assez bien à celle des pointes à crans : "pointe magdalénienne en forme de feuille de saule à cran tourné vers la

droite, retouchées très adroitement" (Sallustien 1898). Les collections du frère Sallustien se

trouvent actuellement à la Société Archéologique de Montpellier.

Ont également fouillé ou récupéré du matériel, Louis Féraud, agent voyer à Remoulins (Mazauric 1911), le groupe spéléo-archéologique d’Uzès (Pascal & al. 1911), Mazauric, conservateur du Musée Archéologique de Nîmes et son acolyte Joseph Bourrilly, juge de paix du canton de Marguerittes. Gabriel Carrière a également ramassé des pièces à la Salpêtrière.

Dans l’homme préhistorique de 1906 p. 26, Cartailhac donne dans la liste des objets préhistoriques du Muséum de Toulouse : des pièces de la grotte de la Salpêtrière au Pont-du- Gard y sont conservées.

En 1911, a lieu le Congrès Préhistorique de France à Nîmes. Pour cette occasion, une excursion est organisée dans les environs d’Uzès. Voici comment est relatée page 729 cette sortie :

"Après cette intéressante visite, les automobiles déposent les congressistes au restaurant du Pont, dont les caves sont installées dans la grotte de la Salpêtrière, immense abri sous roche de l’époque magdalénienne. M. Cazalis de Fondouce y a fait de très importantes fouilles, qui lui ont donné des objets en os et des silex taillés de l’époque magdalénienne. Il avait promis au comité du congrès d’être là pour donner lui-même des explications sur ses fouilles ; mais, au dernier moment, une indisposition l’a empêché de venir. Le comité local avait fait faire, à

l’intention des membres du congrès, une tranchée dans les couches plus ou moins remaniées formant le sol de la grotte ; et les congressistes, tout en recueillant eux-mêmes quelques silex taillés, ont pu se rendre compte de l’importance de ce remarquable gisement." (Congrès Préhistorique de France de Nîmes, 1911, P.729).

Eugène Gimon avait commencé à fouiller la grotte à partir de 1906-08 (Gimon 1922) jusqu'en 1925, notamment durant l'été 1923 (Ulysse-Dumas 1944). C’est probablement à cette époque qu’a été prise la photo des fouilles à la Salpêtrière provenant de la Collection Henri Beauquier (Fig. 5). Pour ces fouilles, Gimon reçoit des subventions de l'état, du département, de la ville. Malgré cela, il y va de sa poche pour mener à bien ses recherches.

En 1924, Gimon, dans une lettre adressée au président de la SPF, exprime son désir de voir ses travaux publiés : "dont il me paraît nécessaire qu'il reste trace puisque la Salpêtrière

est désormais un gisement anéanti" (archives de la SPF, inédit).

Les fouilles de Gimon furent assez importantes. Le commandant semble avoir suivi les niveaux archéologiques de façon assez fine mais en mélangeant plusieurs d'entre eux puisqu'il distingue seulement trois niveaux d'occupation au lieu de la trentaine repérés par Bazile (dont une quinzaine avec une industrie caractérisée). La couche 5 de ses fouilles comprend

certainement l'ensemble du Solutréen et du Salpêtrien. Gimon extraira plus de 360 m3

de terre et récoltera quelques 25 400 silex taillés (Louis 1935).

En 1927, Georges Goury signale brièvement qu'il y a recueilli 5639 pièces en silex en pratiquant visiblement des fouilles importantes (Goury 1927, 1931).

Chapitre II : Le Salpêtrien ancien - 1ère partie : La grotte de la Salpêtrière

59 A la fin des années 1920, c'est au tour de l'abbé Jean Bayol, du village voisin de Collias d'entamer ses recherches à la Salpêtrière, alors qu'il vient de découvrir la première grotte ornée des gorges du Gardon à laquelle il donnera son nom (Bayol 1935). L’abbé Bayol, pour sa part avait entamé ses travaux dès 1929 et creusa la cavité surtout au cours de la seconde guerre mondiale (Anonyme, 1932).

L'abbé Bayol paraît avoir procédé à des décapages horizontaux sans respecter aucun pendage ni déformation de la couche, comme le note précieusement un compte-rendu d’excursion durant ses fouilles : "...le tout en d'énormes foyers, parfaitement horizontaux,

sans aucun vallonnement, bien en place donc, sans aucun remaniement." (Anonyme 1932).

Or les fouilles d’Escalon et de Bazile ont montré la nette déformation des couches archéologiques (Bazile 1980, Bonifay 1957, Escalon 1963). Cela se confirme lorsqu'on ouvre un lot de silex des collections Bayol au Muséum de Nîmes, et que l'on retrouve pêle-mêle des lames à retouche aurignacienne et des pointes à face plane du Solutréen...

À ce propos, Marc Sauter, en 1948 dans "Préhistoire de la Méditerranée" s'exprimait ainsi : "Mais disons le regret que trop de collectionneurs aient massacré inutilement tant de

stations. On a déjà dit et écrit quel tort ces "fouilles" ont fait à la science préhistorique... Nous pourrions par exemple donner plusieurs pages de documentation sur la grotte de la Salpêtrière, si elle avait été explorée avec méthode ; au lieu de cela, nous serons réduits à quelques mots très réticents, que le souvenir des séries immenses de silex exposés dans les vitrines du Muséum de Nîmes nous rend plus amer à prononcer."

D'autres personnes recueillirent du matériel dans les déblais de fouilles, notamment Sylvain Gagnière (Ulysse-Dumas 1944) et M. Labourel, le propriétaire de la grotte et de l'hôtel attenant.