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Annexe n° 4 : trois exemples régionaux

Afin de concrétiser ses investigations sur le terrain, d’enrichir sa compréhension des politiques publiques menées localement et d’affiner les axes de ses recommandations opérationnelles, la mission de la Cour a effectué des déplacements en région lui permettant de rencontrer à la fois les acteurs du secteur sanitaire et les représentants de la puissance publique, puis de réunir dans un second temps l’ensemble des parties prenantes au cours de trois tables rondes.

À partir des données disponibles pour l’analyse des situations régionales (données épidémiologiques, mortalité attribuable à l’alcool, accidentologie), le choix de la Cour s’est porté sur les régions Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Calais et Bretagne, chacun de ces territoires présentant une spécificité relative à la consommation d’alcool qui a orienté l’enquête sur place : pour le premier, il s’agissait de caractériser l’encadrement d’événements festifs d’ampleur (comme les ferias ou, lors de la visite de la mission de la Cour, le festival musical du Pont-du-Gard), pour le second, de comprendre le lien entre alcool, précarité et violences, enfin pour le troisième, d’appréhender les facettes d’un dispositif transversal de prise en charge des populations étudiantes.

Si l’atypie des régions étudiées ne saurait être exagérée compte tenue de la situation globalement préoccupante en matière d’usage nocif de l’alcool au niveau national, le phénomène de banalisation de la consommation d’alcool demeure problématique : que ce soit au cours des très nombreuses fêtes votives qui jalonnent le calendrier gardois, dans des zones en difficulté comme le bassin minier du Pas-de-Calais, ou à l’occasion des soirées étudiantes de grande ampleur du centre-ville rennais, la mission a pu constater la systématisation de la surconsommation d’alcool. Elle est à l’origine de nombreux troubles à l’ordre public, illustrés entre autres par leur responsabilité dans environ 60 % des infractions constatées en fin de semaine, et contribue à la dégradation de la situation sanitaire dans ces territoires.

Témoignant sans doute du fort ancrage culturel dont bénéficient les boissons alcoolisées en France, cette situation préoccupante relève à la fois de la responsabilité individuelle et d’une responsabilité collective en faveur d’une réduction des pratiques à risque, qui doit s’accompagner d’une amélioration des actions menées par les pouvoirs publics. À cet égard, les expériences régionales illustrent la prise de conscience par les pouvoirs publics, sur le terrain, du problème des consommations nocives d’alcool. Cependant, les actions menées sont encore éclatées et leur pilotage demeure perfectible, dans la mesure où les objectifs de prévention, de soins et de répression font appel à un grand nombre d’acteurs et ne sont pas aisément conciliables.

En matière de soins, la Cour a constaté le développement souvent adéquat de l’offre territoriale, à la fois médico-sociale et en addictologie hospitalière en fonction de la gravité des cas et de l’intensité de la prise en charge requise. Chacun des territoires étudiés dispose en effet d’une offre médico-sociale satisfaisante, tandis que les différents secteurs hospitaliers proposent une réponse graduée adaptée. Le service de soins de suite et de réadaptation d’addictologie de l’hôpital du Grau-du-Roi (Gard), dont l’organisation et la diversité des plateaux techniques ont été récemment repensées en vue de faciliter une prise en charge pluridisciplinaire et intégrée, pourrait inspirer d’autres établissements de ce type. En Bretagne, un effort important est porté sur le secteur médico-social, l’ARS travaillant à une modification des représentations souvent négatives dont pâtissent en particulier les consultations jeunes consommateurs (CJC). La « consultation avancée du 4Bis », localisée en plein cœur de la ville et intégrée à un centre d’information à destination de la jeunesse, offre à ce titre de belles perspectives, quand bien même ses capacités d’évaluation et de contrôle interne sont encore trop lacunaires pour permettre le déploiement d’une stratégie fondée sur les indicateurs. Cette couverture régionale globalement satisfaisante n’empêche pas des inégalités infrarégionales ou des capacités insuffisantes dans certains domaines (tels que parfois les prises en charge pour post cure de sevrage ou l’éloignement des consultations d’addictologie de niveau 3).

Si la prévention primaire en milieu scolaire est clairement identifiée comme un levier d’action nécessaire à la réduction des comportements à risque, les avancées dans ce champ sont trop disparates ; surtout, les actions menées sont encore insuffisamment articulées entre les niveaux d’étude et trop peu systématisées à l’ensemble des établissements scolaires. Ainsi, dans le Gard comme ailleurs, interviennent à la fois des professionnels de la prévention tels que l’ANPAA 30, qui conduit par exemple un programme « Jeunes relais santé » visant au développement des compétences psychosociales des élèves au niveau collège via des actions pédagogiquement innovantes, mais également des représentants des forces de sécurité, qui interviennent ponctuellement afin de sensibiliser les jeunes aux risques de certains comportements. Si la nécessité de ces actions, qui répondent à des logiques différentes, est compréhensible, cette dichotomie des interventions de prévention illustre le manque de concertation entre les acteurs.

Au cours des tables rondes, les parties prenantes ont appelé de leurs vœux une réflexion approfondie réunissant l’ARS, la préfecture, le rectorat d’académie et les chefs d’établissement afin de mettre au point de véritables plans de prévention à grande échelle. D’autres dispositifs récents tels que la diffusion d’une notice à l’intention des parents pas-de-calaisiens, ou d’un guide d’information pour les parents rennais dont l’enfant mineur a été arrêté ivre sur la voie publique, s’efforcent d’apporter aux parents d’autres ressources pour faire face aux consommations de leurs enfants.

S’agissant de la prévention secondaire et notamment du RPIB chez les praticiens médicaux et paramédicaux, la Cour a pu constater l’inégale mobilisation des acteurs à ce sujet : le plus souvent les praticiens ne sont pas formés spécifiquement à la question de l’alcool, que ce soit par manque d’offre de formation ou par leur absence de volonté de se former. En réponse aux difficultés de prise en charge de certains patients victimes d’addiction à l’alcool, la structuration de réseaux en addictologie « par la base » peut constituer une alternative crédible pour l’adressage des patients.

Souvent portés par un petit nombre de médecins militants (c’est le cas en Bretagne), ces réseaux sont fragiles et requièrent un appui de la part de l’ARS, qui permettrait d’ailleurs d’élargir la portée de leurs actions.

S’agissant du rapport entre services de la justice et prise en charge médico-sociale, les dispositifs existants ne sont pas satisfaisants : pour le juge, prononcer une peine alternative d’injonction thérapeutique à l’encontre d’un contrevenant marqué par la circonstance aggravante d’état d’ivresse au moment des faits, n’est pas gage de réussite puisque la prise en charge par le médecin est à juste titre protégée par le secret médical, ce qui ne permet pas de connaitre son efficacité ; pour les acteurs du champ médico-social, l’adressage contraint et forcé de certains patients sous main de justice ne permet que trop rarement de mener à bien une prise en charge largement dépendante de la démarche individuelle du patient. En outre, la présence d’intervenants sociaux au sein des commissariats reste à organiser alors que son impact positif a été constaté depuis de nombreuses années, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais.

S’agissant des questions de police administrative, il ressort des rencontres avec les services déconcentrés de l’État et les élus locaux un besoin de clarification de leurs rôles respectifs, et notamment des prérogatives dont disposent les maires en matière de régulation des horaires de vente et des autorisations de consommer ou non sur la voie publique. Les municipalités n’ayant pas la taille critique se retrouvent parfois démunies. À cet égard, la diffusion par la préfecture d’Arras de fiches pédagogiques à l’ensemble des élus locaux du département, de

même que la volonté de la préfecture de Nîmes de formaliser des accords avec les municipalités pour permettre un meilleur encadrement des fêtes populaires, font office d’exemples à suivre dans la collaboration des dépositaires de la puissance publique.

Par la mise en place du dispositif innovant Noz’ambule (qui depuis a essaimé dans d’autres villes françaises et européennes), la ville de Rennes s’est inscrite dans une logique partenariale, en déployant sur le terrain un contingent important de professionnels de la prévention, qui s’inscrivent dans une double démarche de prévention primaire et de réduction des risques, tout en adaptant, avec l’aide des services préfectoraux, ses prérogatives de police administrative aux phénomènes de masse (des milliers d’étudiants se retrouvent dans le centre-ville chaque semaine) : par la présence d’une brigade spécialisée de terrain, la ville se donne les moyens de contrôler les éventuels débordements pouvant survenir à l’occasion de ces rassemblements ; à la faveur

« d’opérations cartable » de fouille systématique des noctambules, elle tente d’assurer le respect de l’arrêté municipal visant à interdire la consommation de boissons alcoolisées sur la voie publique, en s’intéressant plus particulièrement aux mineurs.

Indéniablement, il ressort de ces expériences locales que la question de la sécurité routière apparaît comme la plus avancée: parce qu’elle a été établie comme objectif national, cette thématique bénéficie de moyens, qui bien qu’ayant été réduits, permettent de mener des actions de prévention, en particulier auprès des entreprises volontaires, du grand public ou des populations plus exposées à un usage nocif de l’alcool. Les forces de l’ordre tentent par ailleurs de rester mobilisées pour conduire les opérations de dépistage de grande envergure en dépit d’une forte sollicitation sur d’autres champs d’intervention (Vigipirate). La persistance de la part d’accidents mortels liés à l’alcool (autour de 30 %), la perception par l’opinion publique du manque de sévérité des sanctions, de même que les difficultés matérielles évoquées par les forces de l’ordre pour exercer les opérations de contrôle, font encore apparaître une marge de progression en ce domaine.

Annexe n° 5 : les pratiques de marketing