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Nadège : Alors j’ai déjà pu échanger avec Jean-François Sacco. Il m’a surtout parlé du côté

créatif, et du contexte de création du spot. Moi je me suis surtout intéressée au court-métrage « Lait drôle la vie », parce qu’au départ mon sujet partait vraiment du court-métrage publicitaire et de son rôle dans le réenchantement de la grande distribution. J’ai vu que c’était quand même assez large, et du coup j’ai plus centré sur les deux courts-métrages d’Intermarché et de Monoprix. J’avais discuté de tout ça avec Jean-François et j’ai eu quelques questions par rapport à tout ça, donc je me suis dit que si ça t’allait, je pourrais en rediscuter avec toi.

Quentin Labat : Bien sûr, tu me dis.

N : Déjà, au niveau du contexte de production, Jean-François m’avait expliqué que c’était dans

la continuité du développement de la marque Monoprix, mais est-ce que du coup quand vous l’avez sorti en mai 2017, vous avez vraiment choisi ce moment pour une raison particulière ? Pourquoi le printemps par exemple ?

QL : Alors en fait, il y a plusieurs évènements arrivent au même moment. Nous on a lancé

l’idée de ce script et du film un peu long en août 2016. Tu imagines bien qu’ un film comme ça, ça ne se fait pas en 5 minutes, et surtout qu’à l’époque ça ne s’était jamais vu, ça n’avait jamais été fait et à l’époque Intermarché n’avait pas encore sorti son film. Donc au moment où on a commencé à réfléchir à tout ça, c’était un long chemin de transition, même si les clients Monoprix sont des clients qui sont extraordinaires, qui ont une capacité à comprendre la création et à acheter la création, ça a été un chemin un peu long pour les convaincre. Donc ça nous a pris quelques mois. Le film est entré en pré-production en décembre 2016, on a commencé à chercher des réalisateurs à ce moment-là. C’était un film à ce moment-là qui était censé faire environ deux minutes, on a travaillé là-dessus, et on devait sortir au départ la campagne en mars, même fin-février / début mars 2017. Parce qu’au départ il s’agissait de sortir ce film de marque au moment où on lançait le nouveau programme de fidélité de Monoprix, qui devait être présenté à cette période. Donc on devait tout préparer pour ça, et d’ailleurs il me semble qu’on a tourné le film en février 2017. Et finalement après de longues réflexions, on s’est dit : est-ce qu’on n’aurait pas d’impact en racontant ce film de marque à l’occasion des 85 ans de Monoprix, plutôt que de le raconter au même moment qu’un sujet qui est celui de la carte de fidélité, qui est un sujet un petit peu trop décorrélé. On s’est dit tiens, si tout d’un coup le film devient un film de marque qui au lieu de célébrer la signature, qui dit « au cœur de votre ville, au cœur de votre vie », si au lieu de le dire à l’occasion de la carte

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de fidélité, on le disait dans un contexte beaucoup plus perceptif en disant que finalement, cette mission-là d’être au cœur de votre ville, au cœur de votre vie, c’est l’âme de Monoprix depuis 85 ans. Monoprix c’est le premier distributeur cœur de ville en France, donc finalement il y avait une célébration à faire. On s’est dit techniquement que ça allait nous laisser un peu de temps de fignoler le film, qui est quand même une très longue production, donc on a pris le temps de le faire. On avait tout un programme qui allait autour, il y a eu une campagne d’affichage. Je ne sais pas si t’as vu un peu ce qu’on avait à côté. On a fait aussi une grosse activation en social, où tu pouvais réécrire la fin du film de façon différente.

N : Oui, vous aviez prolongé le film avec des fins un peu marrantes et avec d’autres produits.

QL : Oui, on avait surtout envie de raconter la tonalité de Monoprix, c’est-à-dire d’être capable

de faire un film très émotionnel, et puis en même temps de rigoler de nous-même et de sortir de quelque chose qui est un peu à l’eau de rose, en réécrivant la fin du film. C’est vraiment d’autres entrées parce que le propre de Monoprix c’est de bousculer le quotidien des gens, d’être là où on ne nous attend pas et de créer la surprise et l’étonnement. Donc ça c’est notre ADN. Donc on a finalisé ce film tranquillement et puis mars est arrivé, et en mars est sorti comme tu le sais le film L’amour, l’amour, l’amour d’Intermarché, et je pense qu’ils devaient être dans un planning de production très similaire. Sur le coup je ne te cache pas qu’on a vécu un mauvais moment, parce qu’on avait notre film prêt à sortir et en plus on avait décidé de le reporter pour avoir plus d’impact. On était en pleine post-production au moment où le film est sorti. Et forcément on s’est dit mince qu’est-ce qu’on va faire. La notion du premier film un peu court-métrage était déjà passée. Et puis en fait une notion qui est assez intéressante et qui prouve qu’il y avait un peu de place, c’est qu’autant Intermarché l’a fait à sa façon, autant on a fait la célébration de Monoprix à la nôtre. Et puis en termes stratégiques, ça traduit deux réalités différentes. Intermarché avait besoin de mettre un pied dans un domaine qui était extrêmement étranger jusqu’à présent à l’enseigne, qui est qu’Intermarché jusqu’à présent c’est une enseigne de distribution, ce n’est pas une marque. Personne ne les considérait comme une marque, et du coup pour eux c’était le premier pas pour devenir une marque. Là où Monoprix est déjà une marque, est déjà reconnue comme une enseigne qui a les attributs d’une marque. Nous notre enjeu c’était plutôt de célébrer un point de vue de marque, là où il faut bien garder à l’esprit que Monoprix a près de douze fois moins de budget que les concurrents, en médias, pour prendre la parole. Le film « lait drôle la vie », a été diffusé très fortement en social, en tout en social on a dû tourner autour de 11 millions de vues et ensuite on a fait treize diffusions en télévision, que qui normalement est assez peu. En revanche on a diffusé uniquement 4 minutes, qui est l’un des films les plus longs de l’histoire de la publicité, en diffusion, qui nous a permis de marquer les esprits dès la première diffusion. C’est une

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stratégie médias qui est très innovante, parce qu’au lieu d’essayer de répéter le message pour le faire rentrer dans la tête des gens, on a préféré choisir une approche qui cherchait à intéresser les gens et leur donner envie de se souvenir de ce film, parce qu’ils ont vécu quelque chose d’un peu neuf.

N : D’accord, et au final ce sont les gens eux-mêmes qui sont quasiment devenus le canal de

diffusion, puisqu’ils ont repartagé le film sur les réseaux sociaux.

QL : Exactement, il y a eu une logique, maintenant très courante, de « second screen », où

les gens voient un contenu et le repartagent en même temps. C’est quelque chose qu’on a refait quand on a fait la pire chanson du monde, où on l’a diffusé juste après Burger Quiz. On a eu seulement deux diffusions télé, et comme on l’a fait après Burger Quizz, les gens ont cru que c’était une fausse publicité d’Alain Chabbat. Donc voilà on a choisi cette stratégie-là. Et on a également eu une stratégie d’écrin qualitatif : on a été diffusés dans trois cents salles de cinéma, en format 4 minutes, et 90 secondes, parce que parce que la régie UGC n’accepte pas les formats plus longs. Mais donc tout ça pour un écrin très qualitatif, ça nous a permis d’avoir en tout 58 millions de points de contacts, c’est-à-dire c’est le nombre de fois où on a eu un contact entre le film et un être humain. Ça ne veut en aucun cas dire qu’on a touché 58 millions de personnes, parce qu’une personne peut être touchée deux fois, trois fois à des moments différents. Mais c’est quand même énorme. Donc il y a une vraie stratégie médias très forte de la part de l’agence Blue 449, qui a fait un gros travail d’amplification, donc il faut bien leu rendre ça, parce qu’ils ont fait un boulot formidable.

N : Ah oui c’est avec Blue 449 que vous avez collaboré ?

QL : C’est avec Blue 449 qu’on fait tout sur Monoprix. C’est l’agence média et il y a un vrai

partenariat entre agence de planning stratégique et agence média. Et il y a plein de choses qu’on fait avec eux qui n’auraient pas été possible sans une vraie vision de l’avenir. Donc ça c’est une chose, mais il y a plein d’autres exemples, à commencer par la diffusion de la pire chanson du monde juste après Burger Quiz, c’est un vraie stratégie médias, c’est une vraie intimité de contenu, c’est la capacité à aller chercher éditorialement des cartons d’audience qui sont pertinents. C’est un module d’ailleurs qu j’ai enseigné au CELSA cette année, je viens de faire un module au CELSA sur la mort de la publicité, auprès des étudiants M2 en Médias et créativité. J’ai fait un premier module sur l’avenir de la publicité avec l’avènement du storytelling et de la publicité non contrainte, c’est-à-dire de la publicité qui ne s’appelle plus vraiment publicité, mais beaucoup plus contenu ou entertainment. Et pour le deuxième module, je suis revenu avec le directeur de Rosapark pour Monoprix, et on a fait un case study intégral sur Monoprix, donc c’est dommage que tu n’aies pas été là. En gros on est parti du

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case study avec lequel on a gagné le grand prix Effie l’année dernière. C’est un des prix mondiaux les plus prestigieux, et donc chaque année, par pays, ils élisent la campagne la plus efficace de l’année, et l’année dernière on a été récompensés du grand prix. Et le film Lait

drôle la vie a également gagné un Lion d’or au festival de Cannes. Il a gagné plein d’autres

prix, donc largement récompensé. Et d’ailleurs Intermarché aussi a gagné pas mal de prix.

N : Et justement par rapport à Intermarché, on en avait parlé avec Jean-François, du fait que

le court-métrage publicitaire permet un passage de la valorisation du prix à la valeur de la marque. Et j’avais deux questions à ce sujet sur le court-métrage Lait dôle la vie pour Monoprix : est-ce qu’il y a une inspiration du côté du luxe à ce niveau, qui est un domaine où la valeur de la marque est très forte et qui utilise le court-métrage publicitaire. Et deuxièmement est-ce que le spot Monoprix valorise plutôt la marque Monoprix ou bien sa marque distributeur, ou est-ce que ce n’est plus pertinent aujourd’hui de faire une distinction entre les deux ?

QL : Alors pour répondre à ta question sur la longueur du format, maintenant c’est une question

qui se pose pleinement dans le secteur de la grande distribution. Mais au départ, il faut bien garder ça en tête les enseignes de distribution n’avaient pas le droit d’aller en télé. C’était interdit par la loi et la loi a réautorisé les enseignes de distribution à aller en télé à nouveau et donc ça a créé des nouvelles réflexions : et toutes les enseignes se sont posées à un moment la question de se dire tiens plutôt que de bastonner des choses sur des promos, si on essayait de se baser sur de la valeur ? Et Monoprix est un vrai meneur de jeu là-dedans, puisque c’est la première enseigne à avoir une expérience de marque. Et après ça a commencé à se développer, même récemment en enseigne de distribution au sens très large du terme, avec le film de Speedy par exemple. Donc clairement aujourd’hui il y a une tendance.

Pour répondre à la deuxième partie de ta question, le talon d’Achille de la campagne Intermarché, c’est qu c’est une campagne qui finalement est très faiblement brandée. Le film Monoprix, tu ne peux l’affilier qu’à Monoprix, puisque la narration même de l’histoire est tournée autour des packagings Monoprix. Maintenant, ce n’est pas du tout un film sur les marques de distributeurs, c’est un film sur la marque Monopri x, ce qui prouve que la stratégie de branding de la marque Monoprix a été d’utiliser la marque de distributeur comme un symbole de design et d’identité. Ce qui fait qu’aujourd’hui, quand tu penses à Monoprix tu penses aux bayadères, et il se trouve qu les bayadères se trouvent sur les MDD Monoprix, mais c’est totalement décorrélé. On a simplement voulu raconter une histoire brandée Monoprix, mais on n’a pas du tout cherché à valoriser les MDD dans ce film. L’idée c’était vraiment d’utiliser le design et le langage de marque comme un asset pour parler de nous. Maintenant, le sujet MDD et un sujet passionnant, mais c’est un sujet qui est à mon sens un

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peu différent. Pousser du business en MDD, c’est un sujet qui nécessite des stratégies encore différentes.

Mais en revanche, le gros point fort d’Intermarché, dans leur stratégie en général, c’est qu’ils essaient de taper dans la même direction, c’est-à-dire le mieux manger et la notion de producteurs commerçants. Et ça c’est une force, c’est qu’ils n’ont jamais changé de cap, ils sont dans cette direction-là et chacune de leur prise de parole passe dans cette direction. Ça c’est assez fort, là où un Monoprix qui est sur une phase d’étonnement, de surprise etc. a tendance à bouger d’emplacement à chaque fois quoi.

N : Mais après Monoprix se positionne un peu dans le plaisir de manger, le côté un peu fun et

gourmand, et c’est quand même une forme de positionnement.

QL : Oui c’est exactement notre stratégie là dans cette optique, Monoprix est une enseigne

plus chère que les autres, et dans laquelle on va chercher plutôt une approche plaisir, et se faire plaisir, ça peut être en bien avec des bons produits, mais nous on axe vachement notre communication sur la gourmandise, les bons produits, le plaisir décomplexé, qui correspond bien à notre audience première qui sont les urbains. Nous on est une enseigne urbaine, tandis que les Intermarché ce sont essentiellement des Intermarché en rase campagne, ce sont des grands Intermarché sur des très grandes surfaces. Monoprix n’est présent que dans les cœurs de ville. Donc c’est très différent, on a une audience qui est beaucoup plus premium aussi qu’une audience d’Intermarché ou Leclerc. Ça change pas mal notre façon de s’adresser aux gens.

N : Et pour finir, en termes de retombées en fréquentations dans les magasins suite à votre

stratégie de communication, en termes de perception de Monoprix par le grand public, même si j’ai conscience que ce n’est pas possible de détacher un spot de l’ensemble de votre communication, est-ce que vous avez pu observer des améliorations à ce niveau ?

QL : Oui bien-sûr, comme je t’ai dit on a gagné le grand prix Effie, qui est un prix qui intègre le

retour sur investissement et les impacts d’une campagne. Donc gagner le grand prix, ça veut dire que Monoprix est une marque, qui a su par sa communication, dégager le plus grand retour sur investissement, ou du moins selon le jury, de toutes les marques du marché, toutes catégories confondues. Après nous c’est l’ensemble de notre stratégie qui a été récompensée par le prix Effie, donc il y a plein d’autres choses qu’on a faites et il n’y a pas que le film, mais je peux te donner un chiffre : la semaine de diffusion du film, on a fait plus de 18% de fréquentation, ce qui en termes de chiffre retail est énorme. Voilà et maintenant nous notre enjeu c’est comment rebondir là-dessus pour faire autre chose. Il y a La pire chanson du

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N : Et justement au niveau des futurs enjeux de Monoprix, c’est quoi les prochains défis à

venir, dans la mesure où Monoprix est déjà une marque à part entière, reconnue, qui suscite je pense beaucoup d’engagement de la part des consommateurs ? C’est de maintenir cet engagement ?

QL : Non le défi de Monoprix, c’est un défi qui est lié au business. Premièrement toutes les

enseignes sont en train d’essayer de faire leur entrée sur le marché urbain. Je ne sais pas si tu as vu Leclerc, qui lance Leclerc chez moi ; ils sont quand même très forts, parce qu’ils sont beaucoup moins chers qu’un Monoprix et ils te livrent chez toi. Ensuite il y a Amazon qui arrive à Paris, et Monoprix s’est associé à Amazon, justement pour essayer de contrer Leclerc, ça fait partie de la stratégie mise en place. Donc tu trouveras des produits Bayadère et des produits MDD sur Amazon Prime à partir de fin août je pense. Donc voilà, ça c’est la guerre de la concurrence. Ensuite, tu as une guerre servicielle, qui est qu’aujourd’hui les urbains sont de plus en plus friands de services ultra rapides et ultra faciles, donc nous notre moto si tu veux c’est « minimiser la contrainte et maximiser le plaisir », c’est comme ça qu’on fonctionne en stratégie, donc comment tu fais en sorte de minimiser les points douloureux dans ton parcours client, et comment tu fais pur maximiser la relation au plaisir quand tu vas chez Monoprix. Et le dernier point, c’est, et ça c’est très spécifique à la marque, comment t u continues à justifier un écart prix qui est supérieur au concurrent. Monoprix est plus cher, donc il faut le justifier, il faut expliquer pourquoi, les raisons pour lesquelles on vend plus cher, que les gens qui viennent chez Monoprix puissent comprendre pourquoi ils paient plus cher.

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Annexe n°5 : entretien avec Alix de la Martinière, ancienne directrice de