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2.1.3 Animer des ateliers d’écriture

2.1.3.2. Animateur vs enseignant

« L‟atelier d‟écriture est un espace-temps institutionnel, dans lequel un groupe d‟individus, sous la conduite d‟un „expert‟, produit des textes en réfléchissant sur [les représentations] les pratiques et les théories qui organisent cette production, afin de développer les compétences scripturales et méta-scripturales de chacun de ses membres » explique R. Guibert (2003 : 24). On comprend par là que l‟animateur d‟atelier d‟écriture poursuit les mêmes objectifs que le professeur de français, souhaitant tous deux construire avec les apprentis-scripteurs des savoirs et savoir-faire autour de la langue écrite. Bien qu‟ils se réunissent autour de ce point commun lorsqu‟ils abordent l‟écriture, des divergences de rôle et d‟objectifs permettent de démarquer ces deux acteurs de l‟apprentissage de l‟écrit. Ceci n‟est guère étonnant au vu de l‟histoire des ateliers – dressée précédemment –, ces derniers ayant été impulsés par un désir de rupture par rapport au cadre scolaire.

Le premier point à relever est peut-être celui de l‟importance de la forme : nous l‟avons dit, l‟institution scolaire est très attachée à cet aspect de la langue, demandant que toute production réponde à la norme, sans quoi elle est fortement blâmée. A l‟inverse, Maillet nous éclaire sur la place de la norme dans les ateliers d‟écriture, expliquant que c‟est un lieu dans lequel on évite aux apprenants de produire un « écrit docile, sans transgression, sans

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réinvestissement, un écrit qui ne vous appartient pas, sans transformation de son regard sur soi, ni construction de pouvoirs » (citée par Guibert, 2003 : 16).

Cette citation nous amène alors au deuxième point, soulevé par R. Guibert, qui souligne que les ateliers d‟écriture appellent à un fort investissement de la part de l‟apprenti- scripteur, puisque « l‟essentiel n‟est pas la qualité du produit, mais la posture de recherche induite » (2003 : 25). On pourrait pourtant penser que l‟enseignant poursuit un objectif opposé : il n‟envisage l‟écrit qu‟en termes de produit fini, la preuve en est l‟évaluation sommative qu‟il impose à ses élèves.

Rebondissons alors sur cette notion d‟évaluation : très (trop ?) présente à l‟école, elle est absente en atelier, où tout jugement est déconseillé en faveur de l‟encouragement, partant du principe « qu‟il n‟y a pas de bons ou de mauvais textes : il n‟y a même pas d‟œuvres ratées (Bayard, 2000), puisque les écrits peuvent toujours être améliorés » (Guibert, 2003 : 144). Deux démarches donc bien différentes. Ne nions pas pourtant l‟importance de l‟évaluation pour les élèves : le retour de l‟enseignant leur permet de se situer, une évaluation bien faite leur permettant de voir ce qu‟ils peuvent améliorer dans leur production. Cet aspect n‟est pourtant pas absent non plus dans l‟atelier puisqu‟on donne des outils aux élèves pour se relire et réécrire : des grilles d‟auto-évaluation, les commentaires des participants sont là pour les aider à prendre une distance avec leur texte et le retravailler.

Le cadre même de ces deux lieux d‟écriture implique des différences : tandis que l‟école marque les apprentissages d‟une forte institutionnalisation, les ateliers se veulent plus libres. En effet, le but peut-être premier de l‟animateur est de faire écrire ses participants, alors que le professeur vise réellement la mise en œuvre de savoirs ciblés, répondant aux attentes du MEN. Ainsi, les procédés d‟écriture divergent : A. Chartier, ou encore J.-C. Chabanne et A. Dunas (1999 : 19) soumettent l‟idée que l‟atelier d‟écriture est une forme d‟invitation à l‟invention puisque le sujet créerait à partir d‟un vague projet. Dans ce contexte, la place du respect des consignes est relativisée, et on ressent en ce sens l‟influence des travaux de l‟Oulipo : « Le principe de base de ces ateliers d‟écriture est celui du jeu avec des règles. […] Non seulement les contraintes facilitent l‟écriture, en proposant des points d‟appui, des tremplins, mais l‟exercice permet un entrainement, donc plus de facilité » (Guibert, 2003 : 132). Cette approche est loin d‟être considérée à l‟école, où le respect des consignes est preuve d‟un texte réussi. Les méthodes de construction de textes doivent également être conformes à des règles strictes : l‟enseignant propose alors de recourir à des plans canoniques (on se souvient du fameux plan en trois parties „„thèse, antithèse, synthèse‟‟)

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ou s‟inspire de modèles de production textuelle à l‟instar de celui établi par Hayes et Flower18

qui met en évidence une architecture rédactionnelle dans laquelle la planification du texte intervient très tôt.

L‟accompagnement de l‟écriture par le professeur est donc orienté par l‟institution. L‟élève est souvent seul face à sa copie, et ne sollicite que rarement l‟enseignant puisqu‟il sait que son écrit doit être personnel, le fruit de sa propre réflexion. A l‟opposé, le participant à l‟atelier reçoit continuellement le soutien de l‟animateur, pour lever des blocages, faire des choix d‟écriture, obtenir un avis qu‟il sait encourageant. A. Chartier explique alors que « c‟est cette modification du « faire avec » qui contraste le plus entre les deux postures de l‟enseignant et de l‟animateur » (2008 : 52).

Pourtant, enseignant et animateur travaillent tous deux à construire avec les apprentis- scripteurs une pratique et une culture de l‟écrit, « faite de repères théoriques et méthodologiques, dénominations, jargons pour nommer les états du texte, les différentes sources, les opérations, les mouvements… » (Guibert, 2003 : 49). A mes yeux, la situation d‟écriture serait ainsi le principal facteur de divergences que connaissent les apprenants en classe et en atelier. Dans ce dernier contexte, le but est de montrer aux écrivants que leur écriture n‟est pas purement scolaire au sens artificiel du terme, « mais qu‟elle est réellement informative et surtout communicative, montrer qu‟elle ne s‟adresse pas à des surlecteurs- évaluateurs mais à des lecteurs réels qui doivent être élaborés en lecteurs construits, c‟est redonner précisément du sens à leur écriture » (Guibert, 2003 : 129).

La divergence d‟objectifs et de modes d‟actions entre animateur et professeur amène à croire que l‟écriture est pensée différemment par les apprentis-scripteurs selon le lieu d‟écriture : présentée de façon un peu caricaturale, la dimension de plaisir est sans doute celle que l‟animateur met le plus au jour, tandis que l‟enseignant affiche clairement son souhait de mesurer et faire évoluer les compétences. Deux intentions qui mènent à vivre différemment la construction de soi comme scripteur alors que la progression de l‟apprenant vient croiser ces deux approches : A. Boissinot et al. révèlent en effet que lorsque les élèves se sont améliorés, les enseignants constatent que chacun a « surtout acquis une plus grande confiance en lui, une meilleure compréhension des consignes et des capacités rédactionnelles plus aisées » (2008 : 8).

18 Leurs travaux à dominante cognitive sont très largement répandus dans le domaine de la didactique de l‟écrit depuis 1980

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2.2.

Les ateliers d’écriture : une aide à la compétence scripturale à