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Chapitre 2. Qualité et suivi de la fraîcheur du poisson : quels outils ?

II. Méthodes analytiques d’évaluation de la qualité/fraîcheur du poisson

2. Analyses biochimiques

Parmi les composés issus de la dégradation des tissus sont retrouvés les bases vola- tiles, les dérivés nucléotidiques, les amines biogènes et les produits d’oxydation des lipides. Ces derniers peuvent être analysés par différentes méthodes biochimiques.

a.

Dosage de l’azote basique volatil total (ABVT)

Ammoniac, DMA, TMA ainsi que des amines primaires à faible poids moléculaire sont des molécules regroupées sous la dénomination de bases volatiles et constituent l’azote basique volatil total (Ifremer 2008a). Ces composés sont essentiellement issus de la dégra- dation de l’OTMA et d’acides aminés. Une des méthodes de référence pour le dosage de l’ABVT (European commission 2005b) consiste à déprotéiniser l’échantillon, puis de distiller et entraîner à l’aide d’un flux de vapeur l’ensemble des amines volatiles avant de les titrer par un acide fort (figure 2-11). Les autres méthodes de référence consistent à réaliser une distillation directe sans précipitation ou utiliser la méthode de microdiffusion de Conway (figure 2-12), plus difficile à mettre en œuvre (Timm & Jørgensen 2002).

L’ABVT permet d’évaluer l’état de fraîcheur d’un poisson entier ou transformé. Diffé- rentes valeurs de rejet ont pu être définies par la réglementation selon les espèces de pois- sons (European commission 2005b). En France ces valeurs sont peu utilisées, un système de catégories a été substitué, essentiellement pour les poissons maigres (Tableau II-V).

Des méthodes existent permettant également de doser plus spécifiquement ammo- niac, DMA ou TMA. Elles consistent notamment en des approches de dosages colorimé- triques (pour la TMA et la DMA), enzymatiques (pour le NH3 et la TMA) ou de titrage d’un

échantillon déprotéinisé aditionné de formaldéhyde pour le dosage spécifique de la TMA (Ifremer 2008a). D’autres techniques permettent le dosage de l’ensemble des molécules de l’ABVT, ainsi une méthode d’électrophorèse capillaire permet la séparation et la quantifica- tion de l’ammoniac, la DMA, la TMA et l’OTMA (Timm & Jørgensen 2002). Des méthodes de chromatographie gazeuse ont également été développées avec une bonne sensibilité de détection des molécules volatiles (Veciana-Nogues et al. 1996; Chan et al. 2006).

La mesure de l’ABVT par la méthode de référence est rapide et simple à réaliser, néanmoins la méthode reste peu fiable pour les premiers jours d’altération des poissons (Huss 1999). D’autres inconvénients pour la mesure d’ABVT ont été décrits comme la limita- tion à certaines espèces, à certains types de conservation, ou l’impossibilité d’évaluer des produits transformés (Ifremer 2008b). Une dernière limite la méthode de référence est son absence de sélectivité vis-à-vis des différents composants de l’ABVT. Ce paramètre a été en partie résolu par l’utilisation de méthodes chromatographiques sélectives et sensibles, comme la GC/MS, mais elles nécessitent une phase de préparation importante et l’utilisation de solvants dangereux (Veciana-Nogues et al. 1996).

b. Dosage des dérivés nucléotidiques

Figure 2-13 : Formules établissant la valeur du facteur K (a) permettant d'estimer la fraîcheur d'un pois- son et celle du facteur K’ (b), forme simplifiée du facteur K.

Figure 2-14 : Profil chromatographique obtenu lors de la séparation de l'ATP et de ses catabolites par HPLC. Avec : Hx, l’hypoxanthine et HxR l’inosine. (Ryder 1985)

𝐾(%) =

𝐼𝑛𝑜𝑠𝑖𝑛𝑒 + 𝐻𝑦𝑝𝑜𝑥𝑎𝑛𝑡ℎ𝑖𝑛𝑒

𝐴𝑇𝑃 + 𝐴𝐷𝑃 + 𝐴𝑀𝑃 + 𝐼𝑀𝑃 + 𝐼𝑛𝑜𝑠𝑖𝑛𝑒 + 𝐻𝑦𝑝𝑜𝑥𝑎𝑛𝑡ℎ𝑖𝑛𝑒 × 100

𝐾′ =

𝐼𝑛𝑜𝑠𝑖𝑛𝑒 + 𝐻𝑦𝑝𝑜𝑥𝑎𝑛𝑡ℎ𝑖𝑛𝑒

𝐼𝑀𝑃 + 𝐼𝑛𝑜𝑠𝑖𝑛𝑒 + 𝐻𝑦𝑝𝑜𝑥𝑎𝑛𝑡ℎ𝑖𝑛𝑒 × 100

(a) (b)

Qualité et suivi de la fraîcheur du poisson : quels outils ?

l’estimation de la fraîcheur du poisson (cf. Chapitre 2 I.). Le facteur K, développé par Saito et

al. (1959), permet de calculer la part de métabolites finaux de l’ATP (i.e inosine et hypoxan-

thine) par rapport à l’ensemble des concentrations de l’ensemble composé de l’ATP et de ses dérivés (figure 2-13). Néanmoins les étapes initiales de dégradation de l’ATP étant très rapides (Saito et al. 1959; Henehan et al. 1997; Karube et al. 1984), il a été suggéré de sim- plifier le ratio par un autre facteur (K’ ou K1) (Henehan et al. 1997; Howgate 2006). Les fac-

teurs K et K’ sont de bons indicateurs de l’état de fraîcheur du poisson, leurs valeurs aug- mentent de façon quasi linéaire tout au long de la conservation (Henehan et al. 1997; Gon- çalves et al. 1997)

Deux types de techniques analytiques principales permettent de quantifier l’ATP et ses métabolites : les méthodes enzymatiques et les méthodes chromatographiques. Les méthodes enzymatiques utilisent des enzymes catalysant la dégradation de l’IMP, l’inosine et l’hypoxanthine. La détection peut être réalisée selon différentes méthodes comme le suivi de la consommation de dioxygène par des sondes (Freshness Meter, BIOFRESH system, etc.), l’utilisation de bandelettes test (Henehan et al. 1997) ou plus récemment la production de NADH (PRECICE® Freshness Assay). La première méthode chromatographique (figure 2-14) permettant la séparation de l’ATP et de ses catabolites fait suite à des travaux de Ryder (1985). Elle permet à partir d’une préparation simple de l’échantillon de réaliser une séparation en phase inverse par HPLC, la phase mobile étant composée d’un tampon phos- phate et la détection étant réalisée dans l’UV.

Si le facteur K est un outil intéressant de mesure indirecte de la fraîcheur par le do- sage de catabolites des nucléotides, il n’en demeure pas moins limité par plusieurs facteurs. Ainsi, des variations importantes du facteur K ont été reportées en fonction des individus (maturité, sexe), des méthodes de pêche, de l’état de fatigue du poisson, de la méthode d’abattage ou du mode de stockage, un phénomène de lixiviation pouvant être observé (He- nehan et al. 1997; Howgate 2006).

c. Dosage des amines biogènes

Les amines biogènes sont des molécules issues de la décarboxylation d’acides ami- nés, essentiellement sous l’action d’enzymes bactériennes (Santos 1996). Parmi les amines biogènes isolées dans les poissons sont notamment retrouvées l’histamine, la putrescine, la cadavérine et la tyramine. Ces amines proviennent respectivement de la décarboxylation de l’histidine, l’ornithine, la lysine et la tyrosine (Huss 1999). L’histamine est l’amine biogène responsable d’une intoxication alimentaire spécifique des produits de la pêche appelée in- toxication scombroïde (Lehane & Olley 2000) qui touche particulièrement la chair des Scom- bridés, Clupéidés et Engraulidés. Les espèces bactériennes productrices d’histamine sont bien renseignées dans la littérature, ainsi Hafnia halvei, Raoultella planticola, Morganella morganii, Morganella psychrotolerans ou encore Photobacterium phosphoreum ont été dé- crits productrices d’histamine (Kanki et al. 2004; Emborg et al. 2006; Ferrario et al. 2012).

𝐴𝐼′ =

𝐻𝑖𝑠𝑡 + 𝑃𝑢𝑡 + 𝐶𝑎𝑑

𝐻𝑖𝑠𝑡 + 𝑃𝑢𝑡 + 𝐶𝑎𝑑 + 𝑆𝑝𝑑 + 𝑆𝑝𝑚 + 𝑇𝑦𝑟𝑎 + 𝑇𝑟𝑦𝑝 + 𝑀𝑒𝑡ℎ × 100

𝐼𝑛𝑑𝑖𝑐𝑒 𝑑𝑒 𝑞𝑢𝑎𝑙𝑖𝑡é = 𝐻𝑖𝑠𝑡𝑎𝑚𝑖𝑛𝑒 + 𝑃𝑢𝑡𝑟𝑒𝑠𝑐𝑖𝑛𝑒 + 𝐶𝑎𝑑𝑎𝑣é𝑟𝑖𝑛𝑒

1 + 𝑆𝑝𝑒𝑟𝑚𝑖𝑑𝑖𝑛𝑒 + 𝑆𝑝𝑒𝑟𝑚𝑖𝑛𝑒

Figure 2-15 : Formule permettant de définir l'amine index (AI') en fonction des concentrations en hista- mine (Hist), putrescine (Put), cadavérine (Cad), spermidine (Spd), spermine (Spm), tyramine (Tyra), tryp- tamine (Trp) et en méthylamine (Meth) (Duflos et al. 1999). La formule de l’indice de qualité valable pour des canettes de thon, défini par Mietz & Karmas (1977), est donnée ensuite.

Qualité et suivi de la fraîcheur du poisson : quels outils ?

Plusieurs méthodes existent permettant le dosage des amines biogènes, mais la mé- thode la plus utilisée est l’HPLC. Parmi les nombreuses méthodes développées, sont no- tamment retrouvées la chromatographie sur couche mince (Jeya Shakila et al. 2001), la mé- thode ELISA par compétition (Marcobal et al. 2005), l’électrophorèse capillaire (Kovács et al. 1999) ou la chromatographie gazeuse (Laleye et al. 1987).

L’HPLC est une technique chromatographique utilisée par un nombre important de méthodes de quantification des amines biogènes. Celles-ci diffèrent surtout selon plusieurs paramètres comme la préparation de l’échantillon, l’existence de modification en amont ou aval de la colonne et selon la méthode de détection (Duflos et al. 1999; Dadáková et al. 2009; Šimat & Dalgaard 2011). La méthode HPLC fait référence pour le dosage de l’histamine au sein de l’union européenne. D’un point de vue réglementaire, un poisson ayant une teneur en histamine inférieure à 100 ppm ou un produit ayant subi une maturation enzymatique avec une concentration inférieure à 400 ppm sont considérés comme accep- tables (European commission 2007, 2013).

L’utilisation des amines biogènes pour évaluer la fraîcheur d’un produit est intéres- sante d’autant plus qu’elle est le reflet de l’activité d’une partie de la flore d’altération et per- met d’évaluer la sécurité sanitaire du produit. Quelques études ont permis de modéliser l’évolution des amines biogènes via le calcul d’indice comme l’amine index ou indice de qua- lité (figure 2-15). Malgré de bonnes corrélations avec les indices de fraîcheur (Duflos et al. 1999), ces indices restent peu utilisés. La principale limite réside dans les variations de la teneur en amines biogènes d’une espèce à l’autre et même d’un poisson à l’autre, cela résul- tant de variations de la teneur en acides aminés libres (cf. Chapitre 1 II.). Enfin la méthode de conservation, notamment à température basse, peut réduire les cinétiques des flores his- taminogènes, sans empêcher le déroulement d’autres processus d’altération (Huss 1999).

d.

Mesure de l’oxydation des lipides

Comme vu dans le point I.2., dès la mort du poisson, les lipides vont subir une oxyda- tion. Celle-ci entraîne rancissement de la chair qui peut être mesuré, par le suivi de la syn- thèse de produits intermédiaires ou finaux, à l’aide de plusieurs techniques. Parmi les tech- niques les plus utilisées sont retrouvés l’indice de peroxyde, les techniques spectrométriques et la mesure des TBARS (Thiobarbituric acid reactive substances) (Olafsdottir et al. 1997).

L’utilisation des produits de l’oxydation des lipides ne s’avère pas être un outil adé- quat pour évaluer la fraîcheur des poissons, car seul un seuil à 10 µmoles éq. malondialdé- hyde/kg poisson a pu être établi avant le développement d’une flaveur rance marquée (Ke et

al. 1976). De plus, la présence d’une valeur faible d’indice de peroxyde reste ambivalente.